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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Pourquoi « Les Désaxés » de John Huston est-il l’un des films les plus morbides de l’histoire du cinéma ?

Retour en cinq points sur ce film à la beauté étrange réunissant Marylin Monroe, Clark Gable, Montgomery Clift et Eli Wallach.

Les Désaxés (The Misfits) de John Huston. Voici quelques faits et anecdotes pour tenter d’expliquer pourquoi, près de 60 ans après sa sortie, ce film fascine toujours autant.

Une Amérique qui agonise

Réalisé en 1961 par John Huston, Les Désaxés nous plonge à Reno, dans le Nevada des années 50. Roslyn (Marilyn Monroe) une jeune femme qui vient de divorcer avec son mari se lie d’amitié avec un cow-boy vieillissant (Clark Gable). Ce dernier a pour projet de capturer un troupeau de chevaux sauvages. Pour cela, il s’entoure de deux spécialistes du rodéo : Guido (Eli Wallach) et Perce Howland (Montgomery Clift). Mais alors que l’équipe repère les animaux et s’apprête à les attraper, Roslyn les interrompt en suppliant de sauver les chevaux de la mort.

Pour résumer simplement l’intrigue du film, il faut repartir de son titre particulièrement évocateur : Les Désaxés (dont on préférera le titre anglais The Misfits, c’est-à-dire « les mals-foutus »). Le récit met en scène quatre personnages inadaptés et seuls dans un monde où ils ne trouvent désormais plus leur place. C’est la fin d’une ère, celle du mythe du cow-boy libre dans la nature, et du grand ouest américain. En cela, le scénario de l’écrivain Arthur Miller dresse un constat grinçant et particulièrement sombre de l’Amérique d’Eisenhower de la fin des 50’s, une nation qui a du mal à communiquer et dont le rêve des « Pères fondateurs » a échoué.

 

La fiction comme écho de la réalité

Et qui de mieux pour interpréter cette Amérique agonisante que les acteurs qui composent le casting du film de Huston ? Loin de la figure triomphante du cow-boy à la John Wayne ou Gary Cooper, Clark Gable est désormais un vieil homme fatigué et abattu. Marylin Monroe, du haut de ses 35 ans, est une femme perdue dopée au cocktail antidépresseurs/whisky, rongée par la peur de voir son physique faner. Montgomery Clift sera lui décrit durant le tournage par l’actrice comme « le seul être qui soit encore plus perdu que moi ». Au final, Huston filme dans The Misfits autant la fin du mythe de l’Ouest que celui de l’âge d’or Hollywood.

Mais au-delà des correspondances entre l’état psychologique et physique des personnages et de leurs interprètes, The Misfits pousse encore plus loin l’effet miroir. Ecrit par Arthur Miller alors en plein divorce avec Monroe, le scénario du film se révèle être un cadeau d’adieu de l’écrivain à sa femme. Le rôle de Roslyn a été créé à partir de Marilyn et fait écho à leur relation. Pour la première scène de l’actrice, Miller lui fera ainsi littéralement rejouer son divorce devant un miroir.

Un duo Monroe/Gable ingérable

Dire que les relations furent tendues sur le tournage de The Misfits relève de l’euphémisme. Que ce soit entre les acteurs, entre Miller et Monroe, entre Huston et les producteurs de la MGM, les animosités jaillirent de partout. Entre une Marilyn Monroe imprévisible (elle supplie Miller de couper ses scènes avec Eli Wallach de peur que l’acteur éclipse son talent, interrompt le tournage durant deux semaines pour faire une cure de désintoxication) et un Clark Gable usé et à fleur de peau, leur relation devient très vite ingérable. Plus tard, l’actrice sera désignée responsable de la rapide chute de santé de Clark Gable par la femme de ce dernier. L’ultime jour de prises de vue, Gable aurait même déclaré en regardant sa partenaire « Christ, I’m glad this picture’s finished. She damn near gave me a heart attack. » (Seigneur, je suis soulagé que ce soit fini. J’ai failli avoir une crise cardiaque à cause d’elle »). 

Une hypothèse que l’on peut toutefois remettre en cause. L’acteur était, en effet, déjà extrêmement affaibli dès le début du tournage de par sa consommation excessive de tabac et d’alcool mais avait pourtant tenu à interpréter lui-même l’intégralité de ses scènes de cascades. Après la vision du premier montage du film, des tensions se firent sentir de nouveau, cette fois-ci entre Gable qui disposait d’un droit de regard sur le script et United Artists, la société de production qui avait évoqué son souhait de faire quelques retouches. Au final, United Artists pu faire les changements voulus.

 

La mort qui rôde

Film traitant d’une époque révolue, The Misfits marque aussi la fin d’un mythe. Celui de Marilyn Monroe et de Clark Gable dont ce fut le dernier film. Gable mourut d’une crise cardiaque deux jours après la fin du tournage et Marilyn Monroe disparût un an après la sortie du film laissant derrière elle l’inachevé Something’s Got to Give de George Cukor. Montgomery Clift tourna encore trois films avant d’être lui aussi emporté par une crise cardiaque quatre ans plus tard. Œuvre maudite pour certains, mise en abyme troublante où se télescopent la réalité et le sujet du film pour d’autres, The Misfits se révèle en tout cas sur de nombreux points l’incarnation ultime du film dit crépusculaire.

 

Un succès tardif

Dès le début de la production, les attentes de la United Artists autour de The Misfits sont très grandes. Réunissant la crème de la crème d’Hollywood : des acteurs au sommet du prestige, un réalisateur oscarisé, un scénariste de renom dont les pièces de théâtre ont fait le tour du monde (Les Sorcières de SalemVu du pont), le projet espère logiquement un succès public et critique considérable. Mais ces attentes laisseront très vite place à la désillusion du studio. Malgré le tournage des prises de vue en noir et blanc, le film affiche un coût de plus de 4 millions de dollars et engrange seulement 4,1 millions de dollars de recettes à sa sortie sur le territoire américain. Un réel désastre. Il faudra attendre quelques années, le temps que la mythologie autour de l’œuvre se construise puis la sortie en dvd pour qu’il acquiert le statut de film majeur.

Aujourd’hui encore, il paraît bien difficile de résister au charme troublant de cette oeuvre miroir, de ne pas se laisser emporter par la mélodie élégiaque de cette ultime danse avec les morts. Les images de Huston auront su capter pour une ultime fois les visages de ses acteurs en train de disparaître. Toutes ces éléments qui font de The Misfits l’un des plus beaux films de fantômes du cinéma américain.

 

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