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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

C'est consignées dans un camp et gardées par des sentinelles en armes que les " War brides " passent leurs dernières journées en territoire français...

Par PIERRE AUBERY

Publié le 05 juin 1946

Le Havre, juin.- Le 70e convoi d'épouses de guerre vient d'entrer dans la gare du Havre. Ce ne sont derrière les vitres levées que sourires et toilettes claires qui ensoleillent un peu cette grise après-midi. Une voiture est réservée aux mamans, qui descendent bientôt, leurs poupons sur les bras. L'une d'elles, faisant fi des routines ancestrales, transporte son bébé dans une sorte de berceau portatif qu'elle tient comme un sac à provisions par deux anses, voulant sans doute montrer par son esprit d'innovation qu'elle est digne de devenir citoyenne du pays où l' " efficiency " est élevée à hauteur d'un dogme.

En rang, deux par deux comme des écolières, les " War brides " défilent dans le hall de la gare où, pour la 70e fois, mais toujours avec le même entrain, un orchestre de prisonniers allemands joue pour elles la Marche nuptiale de Mendelssohn. Elles sont environ 400 qui montent immédiatement dans des autocars, et en route pour le camp Philip Morris, où elles seront hébergées en attendant le départ.

Le quartier qui leur est réservé dans l'immense camp de transit, capable d'abriter 35.000 personnes à la fois, était autrefois affecté aux " nurses " de l'armée américaine C'est un véritable petit village avec club, chapelle, restaurant, services administratifs où les jeunes femmes doivent remplir les ultimes formalités qui leur permettront de quitter la France " régulièrement ".

Les petites maisons de bois où elles logent ont été baptisées par les Américains du nom agreste et un peu sauvage de " huttes ", qui cadre mal avec l'aspect du camp, froid, impersonnel, battu par tous les vents, d'une laideur d'usine avec ses allées de ciment qui se coupent à angle droit et ses baraques en tôle ondulée. Par surcroît le quartier des " War brides " est entouré d'une haute clôture en grillage, à la manière d'une volière, gardée par des sentinelles en armes.

Lorsque le capitaine qui commande le camp annonce à ses recrues qu'elles y seront consignées jusqu'à leur départ, les épouses ne manquent pas de marquer quelque déception. Mais toutes ne sont pas, tant s'en faut, jeunes et timides ; aussi elles prennent leur parti et se remettent à rire et à plaisanter. C'est leur premier contact avec l'Amérique, telle qu'elle est, plus formaliste et puritaine qu'on ne serait tenté de l'imaginer à voir ses soldats. Une Amérique dont la sensibilité particulière n'est pas absolument accordée à la nôtre. Une Amérique qui préfère le confort à la beauté, mais qui sait aussi être tendre, d'une gentillesse toute maternelle, avec les faibles.

Il y a parmi ces jeunes femmes des Françaises, des Belges, des Luxembourgeoises et même des Ukrainiennes. L'une d'elles, originaire de Jitomir nous conte son aventure. Envoyée en Allemagne à l'âge de quatorze ans, elle y a connu après la victoire un GI de Brooklyn, qui l'a épousée. Avec ses tresses blondes, relevées sur le front, elle a gardé, malgré son manteau brun d'une coupe très sobre, une silhouette typiquement slave, ce qui ne l'empêche pas de préférer partir vers l'inconnu des États-Unis plutôt que de retourner dans son pays natal.

Les jeunes Françaises qui partent sont conscientes d'être des ambassadrices de notre pays, de notre civilisation, dont l'action secondera efficacement, pour faire aimer et connaître le vrai visage de la France, celle de nos représentants diplomatiques accrédités.

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