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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Qui était Rose Valland, la dame du Jeu de Paume sur le Front de l'Art ?

«Sauver un peu de la beauté du monde.
Rose Valland.

Rose Valland est née le 1er novembre 1898 dans le village de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs (Isère). A Grenoble et Lyon, cette élève studieuse et déterminée se destine à l’enseignement et aux Beaux-arts. Ses peintures révèlent ses qualités artistiques, précieuses pour apprécier les œuvres d’art.

 
École des Beaux-arts de Paris, École du Louvre, Institut d’art et d’archéologie et École pratique des hautes études : tels sont les institutions dont elle sort diplômées.
 
« C’est un esprit distingué, ferme, ouvert et bien doué pour nos études ». Ainsi la décrit un de ses maîtres les plus éminents, Henri Focillon, en 1936. Quant à Gabriel Millet, il est sensible à son dévouement désintéressé : « Elle aime sa tâche, elle est de celle sur qui l’on peut compter ».

Une attachée de conservation à la veille de la guerre

En 1932, Rose Valland entre à 34 ans comme attachée de conservation bénévole au musée du Jeu de Paume. Situé sur la terrasse surplombant la place de la Concorde, c’est un musée consacré aux avant-gardes de l’art contemporain, notamment aux écoles étrangères.
 
Rose Valland coorganise de grandes expositions et renforce progressivement sa position dans le musée.
 
Dès 1936, la France se prépare à une guerre qu’elle pressent. Sous l’impulsion de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-arts du Front populaire, est élaboré un plan pour protéger ses œuvres d’art. La mise en œuvre de ce plan est confiée à Jacques Jaujard, sous-directeur et futur directeur des musées nationaux (1940-1944), qui a participé au plan de sauvetage des œuvres du musée du Prado (Madrid) lors de la guerre civile espagnole (1936-1939).
 

 

Des « listes de châteaux, monastères ou abbayes pouvant accueillir les collections publiques sont dressées ; des plans d’évacuation, des itinéraires sont définis. On prévoit d’accueillir certaines grandes collections privées dans les lieux de refuge des collections nationales. Le départ du premier convoi d’œuvres du Louvre a lieu en septembre 1938, un an plus tard, grâce à une incroyable logistique, une quarantaine de camions quittent Paris ».
 
Tout le personnel des musées nationaux est mobilisé pour ces actions de préservation. Au musée du Jeu de Paume, Rose Valland et ses collègues participent à cette action.
 
Chambord devient une « gare régulatrice » à partir de laquelle les œuvres des musées nationaux – La Joconde, la victoire de Samothrace, la Vénus de Milo – sont confiées à des lieux de dépôts moins célèbres, parfois privés, afin de les protéger des bombardements ou de la convoitise de l’ennemi.
 
Au matin du 28 août 1939 débute le grand déménagement de pièces à la valeur inestimable. En quatre mois, 5 446 caisses contenant des collections de musées parisiens et de propriétaires juifs ayant confié leurs collections aux Musées nationaux quittent Paris dans 199 camions répartis en 51 convois, vers 11 abbayes et châteaux de l’ouest et du centre de la France .
 

Un patrimoine artistique national et privé convoité et pillé pendant la guerre

Les troupes allemandes entrent dans Paris le 14 juin 1940.
 
Les nazis visent à s’emparer des œuvres d’art des pays occupés d’Europe de l’Ouest : le Luxembourg, la Belgique, les Pays-Bas et la France.
 
Dès son arrivée au pouvoir en 1933, Adolf Hitler « fait des arts un enjeu majeur de la politique national-socialiste ».
 

 

Désireux d’imposer l’esthétique du IIIe Reich, le Führer stigmatise l’art moderne « dégénéré » (« Entartete Kunst » – peinture, musique, etc. – et l’exclut des cimaises des musées allemands. Les œuvres « dégénérées » confisquées sont détruites (autodafé berlinois du 20 mars 1939) ou vendues pour obtenir des devises étrangères alimentant les caisses du Parti nazi.
 
Hitler ambitionne de créer un immense musée des Beaux-arts à Linz (Autriche). « Pour alimenter ses collections, les services culturels nazis sous les ordres de Goebbels rédigent un catalogue des réclamations des objets culturels d’origine germanique, connu sous le nom de rapport Kümmel. Les pays conquis sont considérés comme un formidable réservoir d’œuvres aptes à nourrir les ambitions du Führer ».
 
Les collections appartenant à des juifs – Paul Rosenberg, les Rothschild, David-Weil, Schloss, Wildenstein, musée Camondo, Seligmann, Jacques Bacri, Alphonse Kann, Jacobson, Leven, Roger Lévy, Reichenbach, Kapferer, Erlanger, Raymond Hesse, Simon Lévy, Léonce Bernheim, Veil-Picard, etc. -, dont celles confiées aux Musées nationaux, et des francs-maçons sont systématiquement pillées par le service d’Alfred Rosenberg, l’ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, Équipe d’intervention du Reichsleiter Rosenberg) et Otto Abetz, ambassadeur d’Allemagne. L’ERR réquisitionne le Jeu de Paume comme siège de ses opérations et centre de transit. Là, les marchands français et allemands se servent en œuvres pour leurs trafics.
 
Dès novembre 1940, Rose Valland indignée assiste pendant quatre ans à « la vaste entreprise de spoliation du patrimoine artistique français » : au musée, sont triées des œuvres dérobées destinées en particulier au musée d’Adolf Hitler, à la collection d’Hermann Goering, qui se rend à 21 reprises au Jeu de Paume, ou aux musées allemands.
 

En 1943, un autodafé de 500 à 600 œuvres « dégénérées » signées notamment par Picasso, Kisling et Mané Katz, a lieu dans un lieu isolé du jardin des Tuileries, à l’abri du regard de curieux.

Ne pouvant entraver ce pillage, Rose Valland, germanophone, se rend indispensable pour les Allemands tout en établissant secrètement, « dans des conditions périlleuses les listes détaillées des œuvres qu’elle voit défiler dans les salles du musée avant leur expédition en Allemagne. Ces renseignements, transmis régulièrement » à Jacques Jaujard, à « la Direction des musées nationaux, s’avéreront capitaux pour l’établissement d’une stratégie de récupération après guerre ». Un rôle d’autant plus important que le conservateur du Jeu de Paume, André Dezarrois, est malade depuis 1938.

Avec minutie, courage et dévouement, Rose Valland enquête, recueille la moindre information, interroge gardiens et transporteurs… Ses notes retracent la chronologie, la nature et l’ampleur des pillages et en dessinent la cartographie européenne par les lieux de destinations des œuvres d’art volées.
 

Ainsi, en 1944, elle informe Jacques Jaujard, directeur du Louvre, que les derniers convois doivent se rendre au château de Nikolsburg, alors en Tchécoslovaquie. Ce directeur en informe le réseau de Résistance-Fer. Le train est arrêté en gare d’Aubervilliers et les œuvres d’art, notamment celles du collectionneur Paul Rosenberg, sont récupérées. « Il ne faut pas oublier qu’à cette époque des trains de juifs – convoi du 17 août 1944 avec les 50 derniers juifs -, et de déportés politiques – convoi du 15 août 1944 avec en particulier Germaine Tillon – partaient de Drancy », insiste Emmanuelle Pollack, interviewée par Vincent Lemerre, lors de l’émission Mémoires vives , le 6 décembre 2009.

Rose Valland devient la secrétaire de la CRA en raison de l’importante documentation qu’elle a rassemblée pendant les quatre années d’Occupation.

Listes des œuvres, listes des propriétaires, localisation des dépôts en Allemagne… Ces informations communiquées aux armées alliées permettent de sauvegarder des dépôts dissimulés menacés par les opérations militaires (bombardements) contre l’Allemagne nazie.
 
Nommée lieutenant puis capitaine dans la Première armée française, Rose Valland devient l’agent de liaison entre la CRA et le gouvernement français de la zone d’occupation en Allemagne. Dans une Allemagne en ruines, dès le 11 mai 1945, « elle est alors chargée de retrouver, en lien avec les Alliés, les pièces appartenant à des collections françaises [dans les dépôts dissimulés des zones d’occupation française, britannique et américaine] et de veiller à leur retour ». L’officier Beaux-arts américain James J. Rorimer la décrit « rude et déterminée ».
 
La CRA disparaît par décret du 30 septembre 1949. Son action, ainsi que celle des Alliés, aura permis de rapatrier en France environ 60 000 œuvres d’art, provenant majoritairement d’Allemagne et d’Autriche. En 1950, 45 000 œuvres d’art ont été restituées à leurs propriétaires légitimes spoliés ou à leurs ayants-droit quand les propriétaires avaient été assassinés lors de la Shoah. A noter que, sous l’Occupation, 100 000 œuvres d’art avaient été emmenées hors de France, vers l’Allemagne. Deux mille MNR ont été mis en dépôt.
 
Rose Valland est « à l’origine du sauvetage de plus de la moitié du patrimoine culturel juif, dès l’immédiat après-guerre ».
 

Une « expérience donnée en partage »

Le ministère de l’Éducation nationale et des Beaux-arts, administration de tutelle, récompense Rose Valland pour ses actions de récupération des œuvres d’art et de la mise en sécurité des collections au service de la Nation et de l’Etat. En 1952, à 54 ans, Rose Valland obtient le statut de conservateur de musée, auquel elle aspirait depuis longtemps, et se voit confier de nouvelles missions.
 
Certes, le contexte a changé – c’est la guerre froide -, mais des menaces pèsent sur le patrimoine artistique national.
 
Il importe de nouveau de concevoir de nouveaux plans de sauvetage de ce cher patrimoine. L’expérience de ceux ayant œuvré en ce but lors de la Seconde Guerre mondiale revêt alors un intérêt particulier.
 
Rose Valland est chargée de mettre en place un plan d’évacuation des chefs d’œuvre des musées français. Cette mesure s’inscrit dans le cadre de l’accord international de La Haye sur la protection des biens artistiques (1907).
 
En 1961, est publié Front de l’art, Défense des collections françaises, 1939-1945 (Plon). Rose Valland y retrace l’histoire du sauvetage des collections particulières des familles juives et « l’âpre combat des services des musées nationaux face aux exigences allemandes ». Un livre salué par la presse. Et qui reste « jusque dans les années 1990 une référence sur l’histoire de la récupération des œuvres d’art ». Un livre republié par la RMN en 1997.
 
En 1964, Suzanne Flon incarne Rose Valland dans Le train réalisé par John Frankenheimer.
 
A sa retraite en 1968, Rose Valland continue de classer le fonds d’archives de la Commission de récupération artistique (« fonds Rose Valland »). En octobre 1979, elle donne ses archives personnelles à la Réunion des musées nationaux. En 2005, est apposée une plaque à son nom sur un mur du Jeu de Paume.
 
Cette exposition et les deux livres pour la jeunesse sur Rose Valland éclairent une forme peu connue de résistance : la résistance civile et administrative, via le parcours d’une « femme qui fit le choix de lutter contre la mainmise des nazis sur les collections privées et publiques du patrimoine artistique français ». Une dame qui fit partie, selon ses mots, de « ceux qui luttèrent pendant la dernière guerre, pour sauver un peu de la beauté du monde ».
On aurait aimé avoir des informations sur l’intérêt de Rose Valland pour d’autres sujets que l’art, et par exemple, les juifs persécutés.
 
On s’interroge aussi pour savoir si la menace terroriste islamiste aurait inspiré un plan de protection de joyaux du patrimoine artistique mondial.
 

 

Interview d’Emmanuelle Polack, chargée de mission au Musée des monuments français au sein de la Cité de l’architecture et du patrimoine, commissaire invité de l’exposition La Dame du Jeu de Paume, Rose Valland sur le front de l’art par Vincent Lemerre, le 6 décembre 2009, dans l’émission Mémoires vives sur RCJ.

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