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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

" LA NUIT DE L'IGUANE " de John Huston. Par JEAN DE BARONCELLI...


C'est John Huston qui a réalisé la Nuit de l'iguane. Et, comme il a beaucoup de talent, il a beaucoup fait pour ce film ambitieux, grandiloquent et baroque.

Il n'en reste pas moins qu'avant d'être film la Nuit de l'iguane fut une pièce et que ce que nous voyons à l'écran porte la marque indélébile de l'auteur original, Tennessee Williams.

Tennessee Williams est considéré comme un des " grands " du théâtre américain. Depuis la Ménagerie de verre il n'a guère connu que des succès. Succès que le cinéma s'est chargé d'amplifier et de vulgariser. Des intrigues " audacieuses " qu'anime l'éternel conflit de la sexualité et du puritanisme, de belles héroïnes mythomanes ou nymphomanes qui crient aux quatre vents leur folie amoureuse, des décors étranges, un univers inquiétant, équivoque, marécageux : voilà ce qu'offre le plus souvent l'auteur du Tramway nommé Désir.

Il faut aimer cela. Personnellement, il m'a toujours semblé qu'il entrait beaucoup d'artifices et de sophistication dans ces mélodrames savamment teintés de psychanalyse, dans ces symboles tapageurs, dans cette poésie moite qui imprègne l'œuvre de ce dramaturge à la mode. Affaire de goût, naturellement...

Quoi qu'il en soit, Tennessee Williams reste fidèle à lui-même dans la Nuit de l'iguane. Le héros de la pièce (et du film) est un pasteur qui, à la suite de certains scandales, a dû se défroquer et qui est devenu guide dans une miteuse agence de tourisme au Mexique. Parmi ses clientes se trouve une " teenager " déchaînée qui, un soir à l'étape, se fourre littéralement dans son lit. Un nouveau scandale éclate, et le pasteur cherche refuge dans un hôtel-hacienda, tenu par la veuve d'un de ses amis, une créature de feu qu'escortent en permanence deux jeunes Mexicains prêts à lui apporter sur commande la paix du corps sinon celle de l'âme. Arrive également dans l'hacienda un couple étrange formé par un poète de quatre-vingt-dix-sept ans et par sa petite-fille, une sorte de quakeresse dont le visage (c'est celui de Deborah Kerr) exprime toute la bonté et la pureté du monde...

Au cours d'une longue nuit d'orage ces divers personnages vivent leur minute de vérité. Et quand l'aube se lève chacun s'étant plus ou moins réconcilié avec soi-même se trouve en mesure de faire face à son destin.

Ce qu'il y a de meilleur dans le film, c'est le commencement, alors que John Huston, encore libre de ses mouvements, peut dessiner un portrait vivant, truculent et sensible de son misérable pasteur, aux prises d'abord avec ses ouailles, ensuite avec les vieilles chipies qu'il promène au Mexique. La pièce proprement dite commence à l'arrivée dans l'hôtel-hacienda. Dès lors Huston est condamné à " mettre en scène " le texte copieux, envahissant comme une flore tropicale, de Tennessee Williams. Son art consommé nous vaut une scène au clair de lune entre Ava Gardner (la tenancière de l'hôtel) et ses deux " boys ", dont l'audace n'a d'égale que la beauté formelle, et, quand le vieux poète, avant de mourir, achève de réciter la dernière strophe de son dernier poème, un moment de réelle émotion.

Le reste est entre les mains des acteurs, qui, eux aussi, font du bon travail. Richard Burton porte sur ses robustes épaules le poids du film. Du pasteur égaré, conscient de sa déchéance et cependant encore attaché à son état de prêtre, tiraillé entre le désir et le remords, il donne une image saisissante et pathétique. Deborah Kerr n'est pas moins remarquable sous les traits de la vieille fille qui a refréné en elle toutes les passions et qui sait par expérience apaiser ceux qui souffrent. Et Ava Gardner demeure la superbe comédienne que nous avons connue. Face à ces trois monstres sacrés, la petite Sue Lyon, qui fut " Lolita ", apparaît un peu insignifiante. Mais son charme n'en est pas moins efficace.

De tous ces talents rassemblés sous la houlette de John Huston ne peut naître une œuvre indifférente. La Nuit de l'iguane est un film qui a le corps et le poids d'un bon cru. Mais la vraie tragédie en est absente. Ces plaintes, ces gémissements, ces appels au secours, tous ces orages accumulés, nous les accueillons sans trop y croire. Un je ne sais quoi nous met en garde. Quelque chose nous dit que le sorcier qui les a engendrés n'était qu'un habile faiseur.

 

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