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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Madeleine Chapsal et L’Express : les trois rencontres marquantes de la journaliste...

La journaliste et écrivaine Madeleine Chapsal, première épouse du fondateur de L’Express, Jean-Jacques Servan-Schreiber, est décédée dans la nuit à l’âge de 98 ans, a annoncé son mari ce mardi 12 mars. Critique littéraire du journal pendant 25 ans, elle a interviewé les plus grandes personnalités de son temps.

En septembre 1947, Madeleine Chapsal épouse Jean-Jacques Servan-Schreiber, cinq ans après leur rencontre à Megève pendant la guerre. La jeune femme est aux premières loges lorsque son mari, éditorialiste au Monde, et Françoise Giroud, directrice de la rédaction du magazine Elle, décident de lancer un journal.

Dans son livre L’Homme de ma vie, l’ancienne épouse de Jean-Jacques Servan-Schreiber raconte sans fard la rencontre sentimentale entre son mari et Françoise Giroud et décrit l’alchimie intellectuelle qui règne entre les fondateurs de l’hebdomadaire : "Jean-Jacques regorge d’idées neuves - il en a des dizaines par jour - et Françoise sait retenir celles qui lui paraissent pouvoir se réaliser, et elle met tout en œuvre pour les concrétiser. C’est de ces deux talents d’exception et complémentaires que va surgir L’Express".

Témoin privilégié de cette aventure journalistique, Madeleine Chapsal en est aussi actrice. Férue de littérature, elle signe trois notules littéraires dans le premier numéro paru le 16 mai 1953. Ainsi naît une collaboration qui s’achèvera 25 ans plus tard, en 1978, lorsque Jean-Jacques Servan-Schreiber cédera L’Express au milliardaire Jimmy Goldsmith. Quant à l’union entre Madeleine et Jean-Jacques, elle avait pris fin en 1960 mais la première épouse de JJSS restera toujours très proche de la famille Servan-Schreiber. C’est à Sabine de Fouquières, la deuxième épouse de JJSS et ses 4 fils, que Madeleine Chapsal avait dédié son récit L’Homme de ma vie.

Durant son quart de siècle passé à L’Express, Madeleine Chapsal a rencontré les plus grandes personnalités de tous bords. "Je peux téléphoner à qui je veux : Michel Leiris, Jean Paulhan, André Breton, Claude Lévi-Strauss, on me répond avec empressement et j’obtiens mon rendez-vous. Ces hommes de plume, même les plus célèbres, rêvent tous de paraître dans cet hebdomadaire dont on parle et qui touche de plus en plus de lecteurs, L’Express. Ce pouvoir qui m’est donné par le journal, jamais je ne le prends pour moi. Je sais que ce qui compte c’est de transmettre au plus juste, en préservant leur style, leur singularité, les paroles de ces hommes et de ces femmes, tous d’une immense culture. Je m’apprends le métier à moi-même, sur le terrain : ce que j’ai de mieux à faire, c’est de laisser venir leur parole qui s’adresse, à travers moi, à la foule invisible, mais bien présente, des lecteurs."*

Parmi les nombreux grands entretiens menés par Madeleine Chapsal au cours de ses années à L’Express, nous vous proposons de redécouvrir trois rencontres marquantes.

Voyage au bout de la haine… avec Louis-Ferdinand Céline

En 1957, Céline signe son retour sur la scène littéraire avec la publication de son ouvrage D’un château l’autre. Madeleine Chapsal rencontre l’écrivain devenu paria dans sa maison de Meudon par l’entremise de l’écrivain Roger Nimier (1925-1962), chef de file du mouvement littéraire dit des "Hussards".

En 2011, elle confiera au magazine Lire les tensions suscitées dans la rédaction : "L’idée de donner beaucoup de place à Céline les avait beaucoup remués. […] Je suis rentrée très fière de moi à L’Express, mais là, en raison des propos provocants de Céline, une discussion en conférence générale a commencé. Il a été décidé de rendre compte de nos réticences dans une courte introduction. Mais il n’y a pas eu de censure et nous avons bien fait de publier cet entretien, car il n’existait que peu de choses sur Céline à l’époque."

Sur le déroulement de la rencontre, Madeleine Chapsal ajoute : "Il avait le sens de la mise en scène. Il nous a reçus dehors, devant sa maison. Il y avait un chat, un balai et des cactus. Cela faisait un peu terrain vague. Je n’ai pas aperçu sa femme. J’ai eu le sentiment qu’il vivait un peu comme il en avait envie, librement. Il était habillé comme quelqu’un qui balaye devant chez lui ou fait du jardinage. Il était évident qu’il était d’une intelligence remarquable, supérieure. En fait, je n’ai pas eu grand-chose à dire. A la première question, il est parti dans un monologue éblouissant. Je n’ai pas eu à l’interrompre une seule fois et j’ai donc rajouté les questions après. A cette époque, il avait cessé de s’attaquer aux Juifs. Sa nouvelle bête noire, c’était les Chinois. On était là pour qu’il aille le plus loin possible. Il nous a mis au défi à plusieurs reprises : 'Cela vous n’oserez pas le publier !' On n’a pas coupé, bien entendu."

Le premier entretien de Jacques Lacan

En mai 1957, Jacques Lacan reçoit Madeleine Chapsal chez lui rue de Lille et livre aux lecteurs de L’Express les clefs de la psychanalyse. Il compare Freud à Champollion : "Le psychanalyste n’est pas un explorateur de continents inconnus ou de grands fonds, c’est un linguiste : il apprend à déchiffrer l’écriture qui est là, sous ses yeux, offerte au regard de tous. Mais qui demeure indéchiffrable tant qu’on n’en connaît pas les lois, la clé." Soixante ans après cette interview, la psychanalyse est toujours solidement implantée en France, dans les universités, les centres de soins, les médias mais est davantage délaissée et ignorée dans la majorité des pays du monde.

Tête-à-tête avec Françoise Sagan après son accident de voiture

En avril 1957, Françoise Sagan est victime d’un grave accident à bord de son Aston Martin, lancée à vive allure. Quelques mois plus tard, Madeleine Chapsal l’interroge sur sa vision de la vie. "Je dis que les épreuves n’apportent rien parce qu’elles sont rarement suffisantes pour tarir ces deux tendances profondes que sont : un certain appétit de bonheur et un certain abandon au malheur. Cet équilibre, ou ce déséquilibre, chez une personne, varie peu."

* Extrait de L’Homme de ma vie (Fayard, 2004).

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