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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

"Françoise Giroud devient la maîtresse de mon mari". Par Madeleine Chapsal...

"Françoise Giroud devient la maîtresse de mon mari". Par Madeleine Chapsal

Entourant François Mauriac à « L’Express », Madeleine Chapsal, (à g.), épouse de JJSS, et Françoise Giroud, sa maîtresse.

 

J’ai 26 ans et je suis folle de mon mari, Jean-Jacques Servan-Schreiber. Folle mais pas aveugle. Ce soir de novembre 1951, à un dîner chez l’éditeur René Julliard, se noue sous mes yeux une passion adultère qui va durer neuf ans.

A 27 ans, Jean-Jacques Servan-Schreiber, mon mari depuis quatre ans, est déjà éditorialiste en politique étrangère au « Monde ». Il a, chevillé au corps, l’ambition de fonder son propre journal. Dans les salons cossus de cet hôtel particulier de Saint-Germain-des-Prés, il sait que les invités sont du sérail, mais pas encore que cette petite femme brune de 35 ans au teint mat est la rédactrice en chef de « Elle ». Très vite, pourtant, il remarque qu’elle ne le quitte pas des yeux. Ce séducteur averti, en quête d’appuis, se laisse happer par son magnétisme. Leur manège ne m’échappe pas. Je reste à l’écart, étendue sur le sofa en velours à cause de cette fichue tuberculose qui m’empêche de me tenir debout trop longtemps.

Pendant qu’il lui parle, je sens son regard m’effleurer. Je fais remonter ma jupe un peu plus haut d’un mouvement de jambes, il lève sa coupe de champagne dans ma direction tandis que Françoise Giroud a toujours les yeux rivés sur lui. Nous passons à table. Jean-Jacques fait changer les plans de notre hôtesse pour être aux côtés de Françoise. Comme toujours, il obtient gain de cause. A la fin du dîner, nous regagnons notre voiture, garée sous la porte cochère. Jean-Jacques démarre en trombe. Un reste de brusquerie ­acquise pendant la guerre où il a été formé comme pilote de chasse ? Au premier croisement, un coupé nous dépasse. Fenêtre baissée, la main gantée, Françoise Giroud nous salue en souriant. Comme il ralentit pour lui répondre, elle accélère. Sur les quais, une course-poursuite s’engage alors à un train d’enfer. Il lui fait une queue de poisson, elle zigzague derrière nous pour se frayer un passage, il se rabat avant de relancer son bolide à toute allure. Leur petit jeu ne m’amuse pas du tout. Je suis pétrifiée sur mon siège. Arrivés chez nous, c’est silence radio. Je devine la naissance d’une passion musclée entre eux.

Dans les faits, Jean-Jacques dort tous les soirs à la maison. Mais, dehors, ça jase. Leur idylle est vite éventée. Pourtant, chacun a de la retenue, mes relations avec elle sont cordiales. Nous partageons le même goût pour la haute couture – ma mère travaillait chez Madeleine Vionnet, avenue Montaigne –, jusqu’à nous retrouver, un jour, nez à nez, la même robe en jersey bleu et noir sur le dos ! Pendant des mois, je vais porter son manteau en lainage gris qu’elle me prête, car elle sait qu’il me plaît. Dans l’effervescence de la création du journal, nous parlons littérature, art, mode, de tout sauf de sa liaison avec mon mari.

Ma famille ne manque pas de pointer la honte de ma situation. Mon amie Françoise Dolto me rassure : « Puisque cela fonctionne. » Je n’ai aucun souvenir du jour où, pour la première fois, mon mari s’absente tout un week-end. « Je vais travailler avec Françoise. Et toi, que vas-tu faire ? » Voir un film ou voir ma mère. N’en déplaise aux perfides, Jean-Jacques ne m’a jamais rendue malheureuse. Je suis une épouse consentante. Avec Françoise, ils ont gagné leur pari : le 14 mai 1953, le premier numéro de « L’Express » sort. Sartre, Mauriac, Camus ­contribuent à son succès. ­Françoise, qui connaît mon penchant littéraire, me fait ­signer dans les pages culture. Elle m’apprend les clés du ­métier : concision et clarté. Si Jean-Jacques peut être cassant, elle ne l’est jamais, et préfère sourire avant de lâcher : « On ne peut pas publier votre papier dans cet état, vous êtes bien d’accord ? Vous voulez le reprendre, ou vous me laissez faire ? » Mieux vaut la laisser faire…

Au fil des années, cette courtoisie se transforme en complicité. Souvent, elle me fait asseoir près d’elle : « Madeleine, mettez-vous là. » Combien de fois arrivons-nous dans un cocktail, Jean-Jacques entre nous deux, l’une et l’autre à son bras ? ­Pourtant, la pudeur caractérise notre trio. Mon mari est à la fois le ciment et la barrière entre nous. Et puis, un jour, sans que je me l’explique encore aujourd’hui, alors que nous sommes dans notre appartement, je lui lance : « Et si on divorçait ? » Lui me répond : « C’est une idée. » Cette fois, le sort de notre mariage est scellé. 

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