Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

"J’examinais les articles à la loupe" : Robert Badinter, l’avocat historique de L'Express....

 L'ancien ministre de la Justice Robert Badinter est mort dans la nuit du 8 au 9 février. A l’origine de l’abolition de la peine de mort en France en 1981, il avait aussi été l'avocat de L'Express.

En 2023, à l'occasion de nos 70 ans, L'Express vous racontait à travers un grand récit son histoire, celle du plus célèbre et du plus ancien hebdomadaire français. L'occasion, aussi, de rendre hommage aux personnages qui ont donné à ce magazine une raison d'être. Parmi eux, Robert Badinter. L'ancien garde des Sceaux, mort dans la nuit du 8 au 9 février à l'âge de 95 ans, a été l'avocat de L'Express de 1953 à 1979.

"Jean-Jacques [Servan-Schreiber] a été le plus grand multirécidiviste que j’ai connu, sachant le nombre de condamnations qu’il a encourues en tant qu’écrivain et patron de L’Express." Dans la bouche de Robert Badinter, c’est un beau compliment. D’autant qu’il ajoutait : "C’était un homme d’un grand courage. Il n’aurait pas été saisi par le démon de la politique, il serait devenu le roi de la presse."

Le jeune Robert a 27 ans à la naissance de L’Express. Mais, spécialiste des affaires de presse, il fréquente depuis longtemps la famille Servan-Schreiber, qui possède Les Echos. "J’étais la petite main de l’avocat Georges Izard. Lui se chargeait des dossiers importants. Je m’occupais du reste. Jean-Jacques était un fournisseur habituel de la 17e chambre correctionnelle, d’autant que surgissaient une multitude de textes répressifs liés à la guerre d’Algérie et à la décolonisation."

L’Express est régulièrement saisi en Algérie et parfois en métropole. A six reprises entre mai et août 1960. A chaque fois, il faut modifier les textes incriminés, et retirer des centaines de milliers d’exemplaires. Ruineux, mais la publicité ainsi offerte par le gouvernement dope les abonnements. Robert Badinter, lui, est appelé au marbre pratiquement tous les soirs de bouclage pour lire la copie à risque. "A la demande de Françoise Giroud, je me rendais au journal pour examiner à la loupe les articles prêts et l’avertir des risques de procès en diffamation ou de saisie. Elle avait le talent admirable d’extirper le venin judiciaire tout en conservant le venin politique. Le papier en ressortait toujours aussi aigu et féroce." D’autres plumes célèbres venaient en renfort en cas de saisie comme, en 1958, Mendès France, Sartre et Mitterrand. "Quant à François Mauriac, il savait user de formules inattaquables pour se montrer très cruel." Un jour, en conférence de rédaction, le jeune avocat l’entend expliquer : "Ce n’est pas ma faute, je suis méchant."

​​​​​​​Pas question d’atténuer outrageusement le propos. Pas question de se coucher sous la menace de poursuites jugées imbéciles. Jean-Jacques dépassait les limites avec ardeur. "S’il y avait eu des palmes de l’audace, il les aurait collectionnées", résumait Robert Badinter. Le journal dénonçait les législations d’exception, les horreurs de la torture, les violations des libertés. "C’était une rédaction brillantissime menée par un homme et une femme d’exception qui eurent ce journal pour bébé." L’ancien garde des Sceaux insistait pourtant : "L’Express est né de la volonté de porter Pierre Mendès France au pouvoir, et non d’offrir une tribune à la plume d’un homme."

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article