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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Madame Claude: sexe, pouvoir et décadence

Le monde est dirigé par la bouffe et le sexe. Moi, je ne suis pas douée en cuisine.
Madame Claude.

Ci-dessous l'article de Catherine Schwaab de Paris Match...

Qui est, de loin, celui que je préfère sur ce sujet.

 

Dans « Madame Claude », le nouveau biopic qui lui est consacré (le 2 avril sur Netflix), la cinéaste Sylvie Verheyde révèle les dessous sordides d’un cercle de prostitution réservé aux puissants. Retour sur une femme gangster et sur une époque… préhistorique.

Les anciens de la BRP s’en souviennent : en garde à vue, l’interpellée Fernande Grudet dégageait une autorité certaine. Hautaine, cassante, voire menaçante. A la brigade de répression du proxénétisme, la patronne Martine Monteil avait réussi à « serrer » la célèbre Madame Claude, 68 ans, au terme de deux mois de surveillance habile. Les flics ont découvert qu’elle pilotait ses « filles » depuis son petit appartement du Marais à Paris. Ironie, le matin de l’arrestation, cette diable d’entrepreneuse était en train de faire passer, disons, un entretien d’embauche à une ancienne du Crazy Horse.

On est en 1992 et, malgré ses déboires passés avec la justice, Madame Claude n’a pas rendu les armes. Elle s’est remise dans le même business, c’est plus fort qu’elle. Elle a bien tenté un moment de vendre des fringues rue Dauphine, mais son œil impitoyable sur le physique des clientes et son franc-parler les a fait fuir. L’incorrigible aime la beauté, elle n’y peut rien. Elle préfère les grandes. Et elle a horreur des grosses. Si vous suivez ses conseils, régime, coiffure, chirurgie esthétique, elle peut vous transfigurer en cygne. D’ailleurs, il semble que ce soit une des filles éconduites à « l’entretien » qui ait mis les policiers sur sa piste. Trop ronde. La proxénète en tailleur Chanel ne recrute que du premier choix.

 

Elle avait "l’œil"

Elle le répétait pourtant : « Je ne suis pas une proxénète ! J’ai aidé beaucoup de filles à devenir quelqu’un ! Pour certaines, j’ai même été comme une mère. Et je n’abuse pas. Je ne veux pas qu’elles me trahissent, alors je ne prends pas plus de 30 %. Comme une agence de mannequins. » Les agences prennent bien plus aujourd’hui. En ces années 1960-1970, Madame Claude avait toutes les qualités d’un « talent scout » – un chasseur de top models ; elle avait « l’œil », mais elle ne courait pas les boîtes de nuit ni les sorties de lycée pour dénicher ses perles. Par le seul bouche-à-oreille, elle drainait une tribu de créatures époustouflantes venues des quatre coins du monde. Le genre scandinave avait sa préférence, ou grande bourgeoise type Deneuve dans « Belle de jour ». « Plus d’étrangères que de Françaises », raconte un ancien chroniqueur américain du « Spectator ». Au plus fort des affaires, elles étaient jusqu’à cinq cents ! On connaît maintenant les noms prestigieux des clients : lord Mountbatten, Elie de Rothschild, John Kennedy (lui réclamant « une Jackie mais en plus hot »), le couple Onassis-Callas qui appréciait le triolisme, Gianni Agnelli, patron de la Fiat qui préférait l’amour en groupe, Moshe Dayan, Kadhafi, Marlon Brando, Rex Harrison, le shah d’Iran qui offrait des rubis en pourboire… Sans parler des politiques français, à commencer par certains ministres. Ce qui explique la protection tacitement accordée à Madame Claude pendant vingt ans. On dit qu’elle fournissait des renseignements aux « services. » Elle avait surtout dans ses carnets noirs de quoi déclencher des scandales d’Etat en cascade.

Au-delà du physique et des talents, ses « filles » savaient être discrètes en toutes circonstances. Pour celles qui ont réussi à « faire un beau mariage », travailler pour Madame Claude était « une référence ». A condition d’en sortir. Car, une fois recrutées, les candidates avaient certes droit à un coaching efficace, beauté, érotisme et culture générale, mais pas gratuit. Madame Claude payait le relooking, chirurgie du nez, dents refaites, garde-robe de couturier et coiffeur, mais il fallait rembourser. « Une servitude sexuelle pure », résumait Françoise Fabian qui l’avait rencontrée en 1977 pour incarner son personnage dans le biopic de Just Jaeckin. « Arrêtez de dire que je travaille dans la prostitution, s’énervait-elle à nouveau tout rouge. Je ne contrains ni ne violente personne, je ne vole pas ma commission ! J’opère un échange de services, point ! » C’est clair ?

 

L'arrivée de Giscard au pouvoir la force à s’exiler en Californie

 

Pendant vingt ans, elle a eu le temps de peaufiner son expérience. Cette petite femme gracile qui n’aimait pas son corps avait commencé par transformer sa propre image, et façonner sa légende. Née en 1923 à Angers dans une famille ultra-modeste, elle s’est inventé une éducation religieuse, une déportation à Ravensbrück avec Geneviève de Gaulle et un père résistant ; mais la vérité est encore plus héroïque : c’est une self-made-woman. Enceinte à 16 ans – violée sans doute –, prostituée à Paris dans le quartier de l’Opéra, elle apprend le métier en aidant une mère maquerelle avant de prendre son envol. Peu portée sur le sexe, selon ses propres dires, elle sait en revanche se construire une allure : deux liftings, un à 37 ans, un autre à 54 ans, révélait la respectable en col roulé beige Hermès qui avait commencé par s’offrir une denture parfaite. Ambitieuse, elle était aussi cynique que douée en diplomatie : « Les hommes ont besoin d’être flattés, martelait-elle à ses filles. Répétez-leur qu’ils sont beaux. Pas qu’ils sont intelligents. Et rassurez-les sur leurs performances sexuelles. » Simple. Et pas faux.

La journaliste Dany Jucaud, ancienne correspondante de Paris Match aux Etats-Unis, a souvent déjeuné avec elle au restaurant Ma Maison de Patrick Terrail à Los Angeles ; elle se souvient d’une « bourgeoise pète-sec » dénuée d’affect : « Pour elle, le monde se partage entre des hommes puissants qui ne pensent qu’au sexe et des femmes jeunes qui rêvent de luxe. » Mai 1968 va venir pondérer cette philosophie mais n’entachera pas sa prospérité. Du moins pas tout de suite. C’est l’arrivée de Giscard au pouvoir en 1974 qui la force à s’exiler en Californie. Selon les nouveaux arbitres des Finances, elle doit l’équivalent de 1,7 million d’euros au fisc, sans parler d’une amende de 250 000 francs et d’une condamnation de dix mois avec sursis. Il faut dire que, avec le déferlement à Paris des pétrodollars et leurs cheikhs friands de plaisirs interdits, les caisses de Madame Claude débordent.

A Los Angeles, madame s’ennuie à mourir. Pour émigrer aux Etats-Unis en tant que citoyenne suisse, elle a fait un mariage de convenance. Ensuite, elle épouse un barman américain gay pour avoir sa carte verte. Enfin, sans grande conviction, elle ouvre une pâtisserie avec des associés… qui la balancent à l’immigration ! Elle fera un court séjour en prison avant de retourner à son désœuvrement, devant ses placards bourrés d’escarpins et de fourreaux griffés qu’elle ne peut pas porter car là-bas personne ne s’habille. Elle va déjeuner chez Terrail, refuge de stars et de quelques rares Français, elle qui ne parle pas anglais. Aussi célèbre que Faye Dunaway et Clint Eastwood qui fréquentent les mêmes restos, elle se raconte aux Américaines tout émoustillées. Joan Collins (« Dynastie ») fait partie de ses fans. Mais que la vie est longue sous ces palmiers déprimants !

 

Madame Claude gardera sa prestance et sa lucidité jusqu’à ses 90 ans

En 1985, ses amis parisiens lui assurent que la voie du retour au pays est libre et pavée de prescription. Elle rentre en France discrètement, se croyant oubliée. Erreur. Elle se fait arrêter la même année dans sa maison de Cajarc dans le Lot. Ses quatre mois de détention à Cahors dans un château du XVIIe ne lui laissent pas un mauvais souvenir. « J’y avais pris mes habitudes, j’avais des casseroles, je faisais ma cuisine. » Elle qui chipotait sur une demi-salade de poulet à Los Angeles rattrape une folle envie de confit de canard. Elle « remonte » à Paris. Dédaigne la rue de Marignan, près des palaces et des ministères où elle a tissé autrefois son réseau, et prend un appartement dans le Marais où la BRP va la surprendre.

Elle sort de Fleury-Mérogis en 1992 après seulement six mois de prison. Elle a payé une caution. Cette fois-ci, elle a compris. Elle ne va pas replonger. Au volant de la Fiat offerte par son ami Gianni Agnelli pour célébrer sa libération, elle descend dans la Beauce… Mais, décidément, les paysages bucoliques la font pleurer. On la retrouve à Nice, en 2000, explique Dany Jucaud : « Elle y achète un appartement qu’elle revend au bout de sept ans pour un plus petit. Elle vit sobrement de sa modeste fortune et engage un détective privé qui retrouve sa fille, Annie. » Ni attachement ni affinités, les deux femmes n’ont rien à se dire, elles se séparent définitivement.

Madame Claude gardera sa prestance et sa lucidité jusqu’à ses 90 ans. En interview, elle continuait de résumer les choses de la vie : « Le monde est dirigé par la bouffe et le sexe. Moi, je ne suis pas douée en cuisine. » Elle est morte en 2015 à 92 ans à l’hôpital de Nice, emportant avec elle l’illusion d’une prostitution distinguée.

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