5 Juillet 2021
Genre : atmosphérique.
Un hôtel modeste au bord du canal Saint-Martin... Inutile de raconter l'histoire, ce qui compte, évidemment, c'est... l'atmosphère de ce quatrième film de Marcel Carné.
Au départ, il est embauché par la société de production Sedi pour tourner un film avec la star du studio, la jeune et douce Annabella. On ne lui donne qu'une directive : faire un Quai des brumes, mais un Quai des brumes moral...
Privé de son ami Prévert, en voyage aux Etats-Unis, le réalisateur choisit alors Jean Aurenche et Henri Jeanson comme scénaristes. Très vite agacés par la fadeur du couple de jeunes premiers dramatiques (Annabella, donc, et Jean-Pierre Aumont), ils imaginent (merci à eux) un autre couple pour leur voler la vedette : monsieur Edmond, un voyou repenti (Jouvet, un seigneur dans son costard de mac), et Raymonde (Arletty, incarnation géniale de la gouaille du Paris populo), la prostituée au coeur tendre qui lance la réplique la plus célèbre du cinéma français.
Au bout du compte, Hôtel du Nord, véritable festival de dialogues, est plus un film de Jeanson que de Carné. Même les décors d'Alexandre Trauner sont plus importants que l'histoire : à eux seuls, ils feraient regretter à la Nouvelle Vague d'avoir déplacé les tournages en extérieurs naturels. Tendresse particulière pour le jeune Bernard Blier, dans le rôle de l'éclusier dingue de Raymonde (« Oui, ma petite reine », « Voilà, ma petite reine »)...
Poussiéreux, l'Hôtel du Nord ? Ceux qui osent dire ça sont de « drôles de bled »...
— Guillemette Odicino
Synopsis
L'Hôtel du Nord, situé au bord du canal Saint-Martin à Paris, est tenu par les époux Lecouvreur. C'est là que Renée, l'orpheline, et Pierre, le chômeur, ont choisi de mourir puisqu'ils ne pourront jamais être heureux. Ils ont dépensé leurs dernières économies pour acheter un revolver. Alors que l'hôtel résonne des bruits d'une fête de première communion, Pierre tire sur Renée. Mais il n'a pas le courage de retourner l'arme contre lui. Il s'enfuit. Monsieur Edmond, un malfrat, l'aide à se sauver. Le lendemain, Pierre se rend à la police. Renée, qui a échappé à la mort, est embauchée par les Lecouvreur comme bonne à tout faire. Monsieur Edmond, qui est aussi proxénète, se fâche avec Raymonde, sa protégée, et tombe amoureux de Renée...
Acteurs
M. Edmond : Ils ne ratent jamais une occasion de me faire sentir qu’ils ne peuvent pas me sentir.
Mme Raymonde : Il y a autre chose qui n’est pas à sa place ici !
M. Edmond : Quoi donc ?
Mme Raymonde : Une femme comme moi auprès d’un type comme toi !
Mme Raymonde : Le [gâteau de] Savoie, ça me bourre comme une vieille pipe !
M. Edmond : Tu pourrais pas changer de vocabulaire ?
Mme Raymonde : Vocabulaire… Le seul mot d’argot que j’entrave mal…
Mme Raymonde : D'habitude à cette heure-là, je fais les cent pas sous la voûte du métro. Un drôle de boulot quand on y pense, dans le froid sans faire de température. Il y a des soirs où je reste 20 à 25 métros sans trouver un client. Parce que quand je m'ennuie, je compte les métros qui passent au-dessus de ma tête. Un jour, j'ai battu mon propre record : 57 métros que je suis restée sans voir personne. Et pourtant, c'est une station qui travaille.
Mme Raymonde : Voyager avec lui, c’est un rêve. Cet homme-là dans une gare, c’est un autre homme. Il est aux petits soins et tout avec vous. Il vous achète des oranges, il vous les pèle… Il vous allume votre cigarette avant de vous l’offrir… Ah, il est imbattable, question délicatesse… Il vous explique tout le pays où qu’on passe : c’est là que le grand Charles il a le grand 7… là, c’est la région des tricards… Voilà Lyon où Alphonse a descendu Dédé… Un vrai géographe ! Et plus qu’on descend vers la mer, plus il devient tendre. Ah, il sait se tenir en wagon ! Avec lui on prend des troisièmes (classes), on a l’impression d’être en première…
Jeanne, l’employée de l’hôtel : Vous avez souvent voyagé ensemble ?
Mme Raymonde : C’est la première fois !
Mme Raymonde : Regarde-moi ça ! Je ne vois plus de l’œil gauche ! J’ai l’impression que je suis manchote !
M. Edmond : Ma vie n'est pas une existence...
Mme Raymonde : Eh bien, si tu crois que mon existence est une vie...
Mme Raymonde : Oh, t'as pas toujours été aussi fatalitaire !
M. Edmond : Fataliste !
Mme Raymonde : Si tu veux. Le résultat est le même.
Mme Raymonde : T'aimes pas notre vie ?
M. Edmond : Tu l'aimes, toi, notre vie ?
Mme Raymonde : Faut bien, je m'y suis habituée… Cocard mis à part, t'es plutôt beau mec… Par terre, on se dispute mais au lit, on s'explique… Et sur l'oreiller, on se comprend… Alors ?…
M. Edmond : J’ai besoin de changer d’atmosphère, et mon atmosphère, c’est toi.
Mme Raymonde : C’est la première fois qu’on me traite d’atmosphère ! Si je suis une atmosphère, t’es un drôle de bled ! Les types qui sortent du milieu sans en être et qui cranent à cause de ce qu’ils ont été, on devrait les vider ! Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? Puisque c’est ça, vas-y tout seul à la Varenne ! Bonne pêche et bonne atmosphère !
Mme Raymonde : Depuis votre histoire, M. Edmond travaille du cerveau. Il a le cafard… Il emploie des expressions d’avant moi… Votre mort, ça lui a gâté sa vie ! Avant, il ne pensait pas ; maintenant il pense et ça le dégoûte !
Mme Raymonde : J'en ai assez de cet hôtel où les bonniches vous prennent vos amants et où les patrons vous barbotent le sommeil à coup de pickup.