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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

21 Février 2023. Mort de Simone Segouin, une icône de la Résistance féminine armée...

Si c’était à refaire, je le referais parce que je ne regrette rien… Non, je n’ai aucun regret.
Simone Segouin.

Née en 1925 à Thivars en Eure-et-Loir, Simone Segouin s’engage dans la résistance locale en février 1944 et rejoint le groupe des Francs-tireurs et partisans (FTP) du lieutenant Roland Boursier. Après avoir accompli de nombreuses missions de liaison, elle est associée à la lutte armée de son groupe, ce qui est une chose exceptionnelle pour une résistante. Dès l’été 1944, elle accède à une certaine notoriété lorsque commence à être diffusées des photographies la représentant armée d’un pistolet mitrailleur pris aux Allemands lors de la venue du général de Gaulle à Chartres le 23 août 1944. La presse locale lui rend hommage et un reporter de l’armée américaine, Jack Belden, lui consacre un article dans la revue Life du 4 septembre 1944. Elle devient alors le symbole de la participation des femmes à la lutte armée bien que le phénomène soit demeuré très minoritaire en France(1). Simone Segouin a bien voulu nous recevoir en mars dernier pour revenir sur cet épisode marquant de sa vie.

Comment êtes-vous entrée en Résistance ? À la suite de quelles circonstances ?

Durant la guerre, j’habitais chez mes parents qui étaient cultivateurs à Thivars. Mon père était déjà engagé dans la résistance communiste. Au début de l’année 1944, il a refusé que je réponde à une réquisition d’officiers allemands occupant le château de Spoir qui voulaient que je vienne accomplir des tâches ménagères pour eux. Mon père leur a dit que je ne pouvais pas satisfaire à leur demande étant couturière. Ayant de la suite dans les idées, les Allemands m’ont apporté leurs travaux de coutures. Craignant que ces aller-venus à la ferme familiale, fréquentée par des résistants FTP du secteur, ne représentent une menace, mon père a trouvé un autre stratagème. Grâce à la complicité d’une tante qui travaillait au Bon Marché, il a expliqué aux Allemands que j’avais été contrainte de regagner Paris où j’avais trouvé du travail. J’ai dû alors quitter le domicile familial et entrer dans la clandestinité au sein des FTP qui m’ont fourni de faux papiers. Je m’appelais désormais Nicole Minet.

Comment avez-vous rejoint le groupe armé dirigé par le lieutenant FTP Roland Boursier ?

J’ai rencontré Roland Boursier un peu par hasard. Originaire de Caen, il avait été requis pour le Service du Travail obligatoire. Après une permission il n’a pas voulu retourner en Allemagne et le hasard a voulu qu’il vienne à Thivars. Je l’ai présenté à mon père. Militaire de carrière, Roland Boursier est devenu alors commissaire aux opérations militaires de l’état-major FTP et il m’a intégré dans son groupe.

Quelles ont été vos missions dans la Résistance ?

Au début, j’étais agent de liaison entre Châteaudun, Dreux et Chartres. Je devais transporter des messages et des armes, aussi ma première mission a été de me procurer une bicyclette, qui était le seul moyen de transport discret et sûr à l’époque. Cette bicyclette je l’ai dérobée à une secrétaire allemande de la Kommandantur qui venait tous les jours à l’Hôtel des Postes de Chartres chercher du courrier. J’ai attendu qu’elle soit rentrée dans la Poste et j’ai alors pris son vélo sans être inquiétée. C’était tout de même risqué et j’ai eu de la chance. Arrivée à ma planque, je l’ai repeinte en bleu pour que personne ne la reconnaisse.

Avec ce groupe armé, j’ai participé à un sabotage de voie ferrée en juin 1944 et le 20 août 1944, durant les combats de la Libération, à Thivars j’ai pris part à la capture de vingt-quatre soldats allemands. C’est à cette occasion que j’ai récupéré la mitraillette allemande avec laquelle je pose à Chartres devant les journalistes lors de la venue du général de Gaulle, le 23 août 1944. Vous êtes donc amenée à porter les armes.

Comment cela était-il perçu par les autres hommes du groupe franc ? Étiez-vous la seule femme dans ce groupe armé ?

Ils convenaient qu’il pouvait y avoir des femmes qui fassent de la Résistance. Mais c’est vrai que peu de femmes prenaient les armes et j’étais la seule femme au sein de ce groupe FTP. Moi, je n’avais peur de rien. Je ne pensais pas qu’il pouvait m’arriver quelque chose et pourtant je me dis maintenant que j’aurais pu être tuée. Je crois qu’à 19 ans on est un peu inconscient vous savez. Quand on est jeune, on ne pense pas à tout cela. J’ai appris à me servir de mon arme prise aux Allemands. Vous savez cela fait une drôle d’impression tout de même pour une femme d’être armée d’une mitraillette. En revanche, ce que je n’ai jamais pu faire c’est tuer quelqu’un. Tuer est pour moi une chose inconcevable. Même si c’était un ennemi, je me disais il a une famille, des enfants, une femme, des parents. Je ne pouvais pas tuer quelqu’un et heureusement je n’ai pas eu à le faire.

Le 23 août 1944, plusieurs photographies vous représentent armée, mais élégamment vêtue, non loin de la tribune d’où le général de Gaulle prononce une allocution à l’Hôtel des Postes de Chartres. Vous souvenez-vous de l’ambiance qui régnait à Chartres à ce moment là et de la façon dont vous êtes arrivée tout près de la tribune ?

Cela s’est fait naturellement. Lors de la venue du général de Gaulle, il y a eu une prise d’armes et tous les responsables de la Résistance étaient présents avec leurs hommes. Comme j’étais couturière, en prévision de la Libération je m’étais confectionnée une tenue à la mode faite d’un chemisier, d’un calot et d’un short. Devant l’Hôtel des Postes de Chartres où le général a prononcé un discours c’était noir de monde.

Il y avait plein de photographes, des caméramans. Tout cela dans une ambiance de fête. Des photographes m’ont demandé de poser un peu en pointant ma mitraillette vers leur objectif.

Après la guerre vous n’avez pas eu envie de rejoindre l’Armée ?

Non pour moi ce n’est pas le rôle d’une femme normalement de combattre. Après la guerre tout cela était fini pour moi. J’ai voulu reprendre une vie normale.

Vous recevez la croix de guerre qui vous est remise à Chartres, le 24 mars 1946, par Charles Tillon, ministre de l’Armement et ancien chef des FTP, aujourd’hui une rue et une salle des fêtes à Courville-sur-Eure portent votre nom. Comment percevez-vous ces reconnaissances officielles ?

Vous savez je me dis que j’ai fait mon devoir de bonne Française, comme d’autres femmes l’ont accompli comme moi dans la Résistance. Je suis heureuse que ces hommages permettent de ne pas oublier ce que moi et mes camarades avons fait à cette époque. 

 

 

Photographie de la jeune résistante armée de Chartres

 

Très souvent reproduite dans de nombreux ouvrages consacrés à la Résistance, la photographie de cette jeune combattante prise à l'occasion de la venue du général de Gaulle à Chartres est devenue un symbole de l'engagement des femmes dans la Résistance (1). Alors même que la participation des femmes à la lutte armée était très minoritaire, la très large diffusion de ce cliché va contribuer à occulter la très grande diversité de leur engagement au sein de la Résistance. Mais l'intention du photographe était peut être différente. Peut être voulait-il présenter ainsi une allégorie vivante de la France au combat ?

 

Le 19 août 1944, Chartres est définitivement libérée (2) alors que débute l'insurrection de Paris. La veille le général de Gaulle avait quitté Alger pour Casablanca et en dépit des entraves américaines, avait atterri à Maupertus, non loin de Cherbourg, le dimanche 20 août, avec la ferme intention d'obtenir d'Eisenhower qu'il donne l'ordre à la 2e DB, encore stationnée à Argentan, de marcher sur Paris (3).
L'ordre fut enfin donné le 22 au soir et de Gaulle, qui se trouvait alors à Rennes, partit en direction de Paris le 23 au matin.
" Passant entre deux haies de drapeaux claquant au vent et de gens criant : "Vive de Gaulle ! " Je me sentais entraîné par une espèce de fleuve de joie. A La Ferté-Bernard, à Nogent-le-Rotrou, à Chartres, ainsi que dans tous les bourgs et les villages traversés, il me fallait m'arrêter devant le déferlement des hommages populaires et parler au nom de la France retrouvée. " (4)

La venue du général de Gaulle à Chartres le 23 août 1944

Même si comme le décrit le général de Gaulle, l'accueil des populations est enthousiaste et spontané il n'en demeure pas moins que les arrêts du Général sont programmés.

Ainsi, les autorités chartraines avaient été prévenues dès la veille au soir et organisèrent la venue du chef de la France combattante avec la fébrilité que l'on imagine puisque "  le Cahier des messages et services des sapeurs pompiers signale que le 22 à dix-huit heures trente-cinq, le camion porteur de la grande échelle était parti place des Épars pour poser des drapeaux sur la Poste " (5). C'est en effet à l'Hôtel de la Poste de Chartres, un des trois centres de la Résistance pendant la libération de la ville, que le général de Gaulle prononcera son allocution. Une estrade fut aménagée sur le perron et une véritable " mise en scène " fut semble t-il imaginée. Deux blindés, un char Hotchkiss H39 à canon de 37 long et un Renault R 35, arborant la croix de Lorraine récupérés lors de la Libération de la ville (6) furent disposés de part et d'autre du perron de la Poste pour donner quelque décorum au discours du Général. Des FFI en armes et une fanfare viennent compléter ce dispositif.

 

Un long article de l'Indépendant d'Eure-et-Loir du jeudi 24 août 1944  retrace l'ambiance de liesse qui règne dans cette ville fraîchement libérée.
" Très rapidement, la nouvelle s'était répandue parmi la population. Elle fit tache d'huile. Et, de toutes parts, souvent de villages éloignés, la foule accourut pour acclamer, à travers les rues de notre ville, abondamment pavoisées, le chef du gouvernement provisoire de la République (...)
Dès avant midi, une foule compacte se masse sur la place des Épars, sur le boulevard Sainte-Foy, qui a très heureusement repris son ancienne dénomination (7), et sur la place Collin-d'Harleville, en face de l'hôtel de la préfecture.
On se presse aux balcons, aux fenêtres, sur les arbres. Pour tromper l'attente - car le général a été retardé en cours de route - des hauts-parleurs diffusent de l'hôtel des P.T.T. des chants de notre pays, des chants que nous n'écoutions plus que portes closes. (...) Les organisateurs nous ont réservé une agréable surprise. A douze heures trente et treize heures, nous pouvons entendre le bulletin d'information de la B.B.C. Plus besoin de se cacher désormais ! ".

Enfin le Général arrive(8)  et prononce une allocution ponctuée par les ovations de la foule et qui s'achève par la Marseillais. A cette occasion, les femmes sont mises à l'honneur. Au pied du podium, une infirmière (en blouse et coiffée d'un voile identique à celui porté par les infirmières de la Grande Guerre) tient dans ses bras une petite fille. Non loin d'elle se tient, sur les marches du perron, une jeune résistante armée d'un pistolet mitrailleur allemand de prise et arborant sur le bras gauche un brassard orné d'un bonnet phrygien et du sigle FTPF. Un opérateur de cinéma de l'armée américaine et un reporter américain, Jack Belden, furent saisis par le charme de cette amazone des temps modernes. Jack Belden lui consacra un long article dans la revue Life du 4 septembre 1944, numéro qui présente aussi des photographies de Frank Capa, dont celle restée emblématique de l'épuration sauvage dite de " la tondue de Chartres ".(9)

 

Qui est cette jeune Résistante ?

En Eure-et-Loir, l'identité de cette jeune combattante va être rapidement connue grâce à la presse locale qui lui rend rapidement hommage. Il s'agit de Simone Segouin, dite Nicole dans la clandestinité, une jeune combattante âgée de 18 ans, ralliée depuis six mois au groupe franc FTP du lieutenant Boursier. L'indépendant d'Eure-et-Loir du 26 août 1944 dresse un portrait moral de Simone Segouin,

" un des types les plus purs de cette légion de Françaises héroïques qui ont préparé les voies de la libération ", et qui " animée du plus ardent patriotisme, (...) a participé à toutes les opérations périlleuses au milieu de ses camarades du groupe franc dont elle a partagé tous les risques et de qui elle faisait l'admiration par son allant extraordinaire et son total mépris du danger.". L'article se poursuit en chantant les exploits guerriers de cette jeune résistante. Ainsi, on apprend qu'elle participa à " des actions armées de convois ennemis et de trains, des attaques contre des détachements ennemis qu'elle exterminait avec ses camarades du groupe ".

Son dernier exploit se situe à Thivars le 20 août où elle prit part à la capture de vingt-quatre prisonniers avec son chef le lieutenant Boursier alias Germain et deux autres FTP. C'est à cette occasion qu'elle récupère le pistolet mitrailleur Schmeisser MP40 avec lequel elle pose fièrement à Chartres lors de la venue du général de Gaulle. C'est d'ailleurs juste après avoir rendu les honneurs au Général, que les différents groupes de résistants du département s'ébranlent vers Paris à bord de camions pris à ennemis tandis que les deux blindés ayant servi de cadre au discours du général de Gaulle ouvrent la marche et tombent en panne très rapidement entre Chartres et Ablis ! La plupart de ces résistants gagnent Paris et font leur jonction avec la 2e DB le 25 août à six heures du matin. Entrés par le boulevard Saint-Michel, ils sont acclamés par la foule parisienne.

C'est la raison pour laquelle, un cliché présente Simone Segouin aux côtés de deux de ses camarades lors des combats insurrectionnels de la Capitale.

Sa conduite valeureuse dans la clandestinité et lors des combats de la libération valut à Simone Segouin l'attribution  du grade de sous-lieutenant. Elle a par ailleurs été décorée par Charles Tillon, ministre de l'Armement et ancien chef des FTP lors d'une visite officielle qu'il fit à Chartres le 24 mars 1946.

Cependant, Simone Segouin ne fut pas la seule femme à prendre les armes contre les Allemands en Eure-et-Loir. Roger Joly, historien chartrain ayant pris part aux combats de la libération de la ville, rappelle (10) que Mme Cohade, plus connue sous son nom de jeune fille d'Olga Pauchet, fit elle aussi le coup de feu lors de la libération de la capitale beauceronne. Mais l'Histoire avec elle a été plus ingrate !

 

Frantz Malassis

(1) Signalons deux autres photographies similaires. L'une, prise en Corse en septembre 1943, représente Melle  Mathéa Pittiloni le regard dans le lointain armée d'un pistolet mitrailleur anglais Sten. Cette résistante née le 1er août 1927, prit le maquis pendant quatre mois, assurant les liaisons entre les différents groupes de maquisards. Au cours d'une mission de nuit, elle est parvenue à mettre en échec trois soldats allemands qui l'avaient attaquée. L'autre montre Silvia Montfort, adjointe de Maurice Clavel dans la clandestinité, armée d'un pistolet.

(2) Le 10 août, Maurice Clavel alias Sinclair, chef départemental des FFI, délègue ses pouvoirs au commandant Pierre Grima, responsable régional du réseau " Kasanga ", qui assura la direction des opérations de la libération de Chartres avec l'ensemble des éléments FFI et FTPDu 15 au 19 août, aidés par la 7e division blindée et la 5e division d'infanterie américaine, les FFI et les FTP prennent les armes pour chasser les derniers éléments de l'armée allemande qui à Chartres et ses environs tentent de retarder l'avance alliée.

(3) Le 23 août à la première heure, la 2e DB fonce sur Paris par différents itinéraires. " le groupement tactique V (...) file par Alençon, Mamers, Bellême, Nogent-le-Rotrou ". Aux abords de Chartres il se divise . " Une partie passe néanmoins par la capitale beauceronne (...) la colonne qui a traversé Chartres continuera sa lancée sur Paris par Ablis ". Roger Joly, La Libération de Chartres. Récits et témoignages rassemblés et commentés (Paris, Le Cherche Midi, 1994, 202 pages) p.152.

(4) Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, tome II, l'Unité 1942-1944, Plon, 1956, p.302.

(5) Roger Joly, op.cit. , p.148.

(6) Ces deux blindés avaient été récupérés par les Allemands et remis en service après quelques modifications dès 1941 pour pallier le manque de blindés de la Wehrmacht.

(7) Pendant l'Occupation, il portait le nom de maréchal Pétain.

(8) Le général de Gaulle est arrivé par la Place des Épars (en face de la Poste) pour gagner la préfecture où il est reçu par le préfet Chadel et différentes personnalités après avoir reçu les honneurs des FFI d'Eure-et-Loir. Il repart ensuite pour le clos Saint Jean (cimetière provisoire) pour se recueillir sur les tombes des combattants et victimes civiles tombés lors de la libération de Chartres. Il se rend alors à la Cathédrale où est entonné un Magnificat. C'est après ces différentes manifestations qu'il prononce une allocution à l'Hôtel des PTT pour regagner la Préfecture où il est convié à un déjeuner. Enfin, le Général accompagné de M. Le Trocquer, commissaire du gouvernement de la République pour les régions libérées, du préfet et du secrétaire général, prirent la direction de Rambouillet libérée via Maintenon.

(9) Cet article a été en grande partie traduit dans les colonnes de l'Écho républicain du 18 août 1946.

(10) Roger Joly, op.cit. , p.184.

(11) Ce cliché, référencé sous la cote SC 193539,appartient à la collection USIS/DITE, service photographique de l'armée américaine. La légende de l'époque, dactylographiée au dos du cliché original est la suivante : " "Nicole" a French Partisan who captured 25 Nazis in the Chartres area, in addition to liquidating others, poses whith an automatic rifle with which she is most proficient. France, August 23.1944 " (" Nicole ", une partisane française qui captura 25 nazis dans la région de Chartres et qui en tua d'autres, photographiée avec son fusil automatique avec lequel elle est très habile. France, 23 août  1944).

L'article de Jack Belden de Life du 4 septembre 1944.

A lire ci-dessous...

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