2 Avril 2024
C'était une des nombreuses expositions de Colette Laget...
Des heures et des jours à la préparer.
Parce qu'une exposition, ce n'est pas seulement coller des cartes postales sur un tableau.
C'est expliquer.
Surtout expliquer.
Il faut y mettre du coeur, de l'âme et du savoir.
On était fin novembre 1995.
Colette, à l'époque, était première adjointe du maire de Lormaye : Bertrand Thirouin.
Elle avait une facilité de plus : celle d'avoir un mari, Jacques Laget qui, fils du plus grand libraire d'art de Paris, Léonce, manageait la Librairie des Arts et Métiers à Lormaye.
Une librairie par correspondance.
Jacques allait souvent à Drouot. L'Hôtel des Ventes parisien.
Ce qui lui permettait de rapporter des trésors.
Retour sur une fort belle exposition.
Article de L'Action Républicaine du 28 novembre 1995.
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A Lormaye, la mairie est dans l'église. Tout le monde le sait. Enfin, plus exactement, dans ce qui reste de l'église Saint-Jean. A savoir, sa Tour. Mais, la vieille dame, d'un âge certain, avait besoin d'un bon ravalement pour continuer de plaire à ses concitoyens. Depuis dimanche, c'est chose faite.
De l'âge de la vieille dame
Si l'on ne dit pas l'âge des femmes, on proclame celui des tours. A Lormaye, on ose même une exposition dans le ventre de la tour pour tout raconter... En image : deux panneaux d'histoire et quatre panneaux de travaux. Un travail de fourmi. C'est-à-dire un travail de trois fourmis du conseil municipal : Colette Laget, Brigitte Duffay et Pierre Metteau. Les trois premiers adjoints.
Tout commence par la reproduction d'une "vue cavalière" de l'agglomération nogentaise au début du XVIIe siècles. Gravée par Chastillon. Où l'on peut voir la réelle silhouette de l'église Saint-Jean.
Les Lormaisiens apprennent avec fierté que Lormaye, au Moyen-Age, portait déjà le nom de ville. Une ville extrêmement importante par ses tanneries et ses manufactures de draps. On imagine l'église riche et prospère. Puis vient la Révolution. Et le dernier curé du village, François Boutroüe porte serment à la Constitution Civile du Clergé, le 23 novembre 1791, à l'issue de la messe paroissiale. (Dans le texte). Il devient donc officier d'état public. Et à partir de cette date, l'église qui n'est plus réouverte, glisse lentement vers sa ruine. Comme une femme abandonnée. En 1821, la ville de Nogent-le-Roi l'achète pour récupérer ses matériaux de démolition. Le prix : 3.151 Francs 60 centimes. Nogent-le-Roi s'engage en contrepartie à faire restaurer le clocher. Mais aucuns travaux n'ayant été assurés, après négociations, la Tour est rétrocédée à la commune de Lormaye.
C'est cette restauration qui devient l'obsession de tous les conseils municipaux à partir de février 1836. Enfin, en décembre 1859, sous le mandat de M. Caillat, les conseillers sont invités à délibérer sur la nécessité d'abattre 61 ormes (d'où le nom de Lormaye) et 36 peupliers pour engager les travaux. Un livre est même ouvert en mairie pour recevoir "les dires, les observations et les réclamations" pour ou contre le projet d'abattre les arbres. Un livre où 8 habitants vont s'exprimer. Parmi eux Sulpice Guillery qui accuse ombres et racines des ormes et tilleuls d'empêcher ses salades de pousser !
Les travaux sont effectués en 1860 par le seul entrepreneur qui possède le seul échafaudage à la hauteur de la grande dame : 26,60 mètres. D'autres travaux sont encore effectués en 1886 et en 1899. La suite a déjà été longuement racontée... et le drapeau tricolore flotte sur l'échafaudage pour le 14 juillet 1895.
Les autres panneaux sont plus visuels. Un tracé de M. Bucher, agrégé en architecture, qui assure l'élaboration du chantier. Des panneaux avec photos avant et photos après. Et trois thèmes développés : la pierre, le bois, l'ardoise.
Etonnant de voir, l'espace d'un cliché, le démontage de la couverture qui permet de photographier à ciel ouvert la cloche installée en 1833. Qui est, depuis, sagement rentrée dans l'ombre. Surprenant d'apprendre que pour changer les sablières, il a fallu soulever l'ensemble de la charpente. Décontenançant de constater l'emplacement de chaque ardoise, le tracé sur le voligeage, le coupage des ardoises à la mesure. Et puis, chère au coeur de Colette Laget, une vieille tradition du bâtiment : le petit message glissé dans la base du coq avec le texte suivant : "Après restauration de la Tour, le coq a été remis en place le 3 octobre 1995, Bertrand Thirouin étant maire de Lormaye".
A l'hommage qui lui fut rendu
Un maire, un conseiller général, un député, un président du conseil général - sénateur et un sous-préfet sont venus déposer, ce dimanche matin, leurs hommages au pied de la Tour qui rayonnait de beauté malgré une pluie lourde et persistante. Presque tous les élus des communes du canton s'étaient joints à l'assemblée de nombreux Lormaisiens. Des Lormaisiens qui ont tout écouté avec délectation. Leur tour, ils y tiennent. Alors, quand les autres la flattent... "Une grande dame de Lormaye, la tour du Pilori vient de retrouver une nouvelle jeunesse après des travaux de qualité" a commencé Bertrand Thirouin. Après avoir remercié les maîtres d'oeuvre des travaux, Jean-Marc Bucher, architecte de Maintenon, l'entreprise Tue de Figeac, l'entreprise Girard de Lanneray, près de Châteaudun, ainsi que les Duffay qui ont offert les lettres en laiton formant le mot Mairie et apposées au-dessus de l'entrée principale, Bertrand Thirouin, ému, n'a pas pu ne pas se souvenir de Robert Renard. Le peintre, d'abord, avec ses célèbres pastels, le maire, ensuite, avec ses six années à la tête de la commune et la mise en place du carillon de la tour. Qui fut sa fierté. Et qui déclenche un pincement au coeur de tout Lormaisien quand résonne "Oh when the saints go marchi'in". Ce fut à Jean-Paul Mallet d'enchaîner, maire de Nogent-le-Roi, conseiller général du canton, et surtout littéraire : "En 1912, Charles Péguy écrivait :
"un homme de chez nous fait ici jaillir / depuis le ras du sol jusqu'au pied de la croix / plus haut que tous les rois / la flèche irréprochable et qui ne peut faillir / c'est la gerbe de blé qui ne périra point / qui ne fanera point au soleil de septembre / qui ne gèlera point aux rigueurs de décembre / c'est votre serviteur et c'est votre témoin."
"Sans vouloir effectuer d'impossibles comparaisons, a précisé M. Mallet, la tour délaissée par son double vaisseau aujourd'hui sombré dans la mer de l'oubli, n'est pas sans évoquer la tige et le blé, l'épi le plus dur qui soit jamais monté des sillons de Lorraine."
Et puis Gérard Cornu : "A Lormaye, vous avez osé remettre la maison du peuple dans la maison du Bon Dieu. Grâce à cela, vous risquez d'être protégé longtemps..."
Le Docteur Martial Taugourdeau, lui, est passé alternativement des mots d'humour à ceux du souvenir : "Quand vous avez dit que Nogent avait repris les pierres de Lormaye, je ne savais pas que Nogent faisait partie de "la bande noire"... Ce qui me touche aujourd'hui, c'est le souvenir aigu de M. Renard inaugurant son carillon. Je voulais vous féliciter de continuer son oeuvre... En attendant que Nogent vous reconstruise une nef, je pense que vous aurez accompli quelques mandats..."
Quant au sous-préfet Bernard Jouineau, qui héritait de la lourde tâche de clore les discours, il fut bref et drôle : "On me reproche parfois, je me reproche souvent, peut-être parce que le rituel républicain m'oblige à parler le dernier, de parler religion. Mais aujourd'hui je suis rassuré par ce mélange indissociable de l'histoire religieuse et de l'histoire républicaine de la commune de Lormaye. Vous avez perdu une église. Vous avez gardé une tour."
M. le sous-préfet n'hésita pas à apostropher l'abbé Jeanne, curé doyen, qui lui tira son chapeau. "Ce n'est pas l'église, Monsieur le curé, avec le chiffre qui m'a été annoncé récemment qui aurait pu réaliser une telle réfection !"
Marcel Polvé exécuta quelques airs de carillon. Les bouchons de champagne sautèrent. Et la tour, elle, est toujours sur la place.
Liliane Langellier