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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Au revoir là-haut de Pierre Lemaître

« Ceux qui pensaient que cette guerre finirait bientôt étaient tous morts depuis longtemps. » C’est ainsi que commence le roman de Pierre Lemaitre « Au revoir là-haut » (Albin Michel). C’est aussi ce que rumine le deuxième classe Albert Maillard, malgré et envers les nouvelles d’un armistice de plus en plus proche.

Terré dans sa tranchée, le gars Albert, en ce 2 novembre 1918, se méfie d’un dernier zèle de sa hiérarchie. Plus particulièrement du lieutenant Henri d’Aulnay-Pradelle. On ne peut que lui donner raison. Et voilà que brusquement tout s’accélère.

Pradelle désigne « un jeune et un vieux » pour aller voir ce qui se passe du côté des Boches. Louis et Gaston ne ramperont pas longtemps. Ils sont dégommés en trois balles et moins d’une demie heure. De quoi révolter les copains restés à l’abri et permettre à Pradelle de lancer une « juste » attaque de représailles : « Et nous voilà de nouveau harnachés, pensa Albert, prêts à escalader les échafauds (c’est comme ça qu’on appelait les échelles utilisées pour sortir de la tranchée, vous parlez d’une perspective) et à foncer la tête la première vers les lignes ennemies. Tous les gars, en file indienne, tendus comme des arcs, peinaient à avaler leur salive. Albert était en troisième position derrière Berry et le jeune Péricourt qui se retourna, comme pour vérifier que tout le monde était bien là. Leurs regards se croisèrent, Péricourt lui sourit, un sourire d’enfant qui s’apprête faire une bonne blague. »

Et puis, c’est l’attaque : « Tous se ruent vers l’ennemi, armés d’une colère définitive, d’un désir de vengeance. »

En montant à l’attaque et en passant près des cadavres de Louis et de Gaston, le gars Albert va découvrir un horrible méfait de Pradelle. Ce qui va empoisonner sa vie pendant de longs mois. Mais qui, dans l’immédiat, va lui valoir de se retrouver jeté par son lieutenant dans un large trou d’obus. Impossible de sortir de cette fosse. Et comme un bonheur ne vient jamais seul, voilà qu’un nouvel obus éclate à quelques mètres, soulevant une énorme nappe de terre qui s’abat en pluie sur Albert. Histoire de l’enterrer vivant. Albert pense mourir. Et meurt un court temps, d’ailleurs.

C’est sans compter sur « le petit Péricourt » qui, malgré l’une de ses jambes fracassée par une balle, arrive à ramper jusqu’au trou d’Albert. Et à le sortir du pétrin.

Mais un perfide éclat d’obus vient arracher la moitié du visage d’Edouard Péricourt.

Nos trois personnages, pour des raisons différentes, vont s’en souvenir longtemps de l’attaque de la cote 113. Elle va même marquer leurs mois et leurs années à venir.

C’était ça la guerre. La promiscuité des tranchées. Les attentes entre deux attaques. Des amitiés (ou des inimitiés) se nouant entre gens qui ne se seraient jamais rencontrés dans la vie ordinaire.

Les trois personnages du roman de Lemaître sont en place : Albert, Edouard et Henri.

Un futur démobilisé, une gueule cassée, et un bellâtre fin de race en recherche de fortune pour la restauration de son domaine familial.

Albert est un brave gars. Qui ne lâchera jamais la main d’Edouard. Et pourtant ils vont en traverser des péripéties. Car cet après-guerre n’est pas un chemin semé de pétales de roses. La démobilisation des soldats prend un temps fou et leur rapporte bien peu. L’accueil des « gueules cassées » n’est pas une belle image sur un petit billet de loterie. Restent les menteurs, ceux qui prennent du grade sur la mort des autres, et défilent sans scrupules, médailles au poitrail. Henri sera des leurs, bien entendu.

La force du roman de Lemaître, c’est de nous les rendre intimes ces trois-là. De nous faire partager leurs douleurs, leurs angoisses, leurs fous rires, leurs larmes mais aussi leurs lâchetés. La force du roman de Lemaître, c’est de nous donner envie de les suivre. Page après page. En oubliant un peu le monde qui nous entoure. Et surtout de nous les faire pénétrer en lousdé dans notre vie. Dont ils ne sont pas près de ressortir.

La fin des guerres a toujours été le début des trafics. Du matériel militaire en tous genres, mais aussi, et bien pire, des trafics montés de toutes pièces sur les douleurs des familles.

Et nos trois héros vont plonger. Pour se retrouver mercantis.

Albert, le petit comptable trouillard, Edouard, l’artiste homo, fils de famille rejeté. Et Pradelle, qui, à défaut de fortune, va jouer de sa belle gueule et de son nom aristocratique.

Accrochez-vous bien pour le trafic des cercueils et les balades dans les cimetières militaires. Armez-vous de mouchoirs pour celui des monuments aux morts.

Mais aucun souci. Vous ne le lâcherez pas ce livre. Son écriture vous envoûtera jusqu’à la dernière ligne de sa dernière page. Avec un suspens raffiné, désorientant et insoutenable. Bon sang, mais c’est bien sûr, vous le saviez, n’est-ce pas, Pierre Lemaitre est surtout connu pour être auteur de polars !

Liliane Langellier

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