Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Montgomery Clift, la gueule d’ange meurtrie de Hollywood

Il aurait pu connaître un destin à la Brando. Au lieu de ça, l’acteur tourmenté, que l’on peut voir dans “L’Héritière”, récemment réédité, a vécu une longue descente en enfer. Sa carrière, en dents de scie, en a pâti. Mais n’en reste pas moins passionnante.

Montgomery Clift (1920-1966) n’aimait pas trop L’Héritière, que vient de rééditer Splendor Films. Ce qui ne veut rien dire : il n’aimait presque rien de ce que lui proposait Hollywood, au point de refuser des projets attirants (Sunset Boulevard de Billy Wilder, À l’est d’Éden d’Elia Kazan). De vouloir réécrire, parfois, les rôles qu’il acceptait – ceux de ses partenaires aussi, comme celui d’Olivia de Havilland dans le film de William Wyler, qui ne se laissa pas faire… Il était exigeant et génial, le plus doué, assurément, de cette génération d’acteurs qui émerge, via l’Actors Studio, dans le théâtre et le cinéma américains des années 1950. Plus fragile et plus nuancé que Marlon Brando. Plus viril et plus assuré que James Dean. Plus torturé que les deux réunis.

Si L’Héritière – plutôt une réussite, au demeurant –, est représentatif de la carrière de « Monty », c’est qu’il y incarne un faux candide prêt à tout pour réussir, jusqu’à simuler un sentiment. Un être double... Ce qu’il aura été toute sa vie, en fait : contraint de se masquer en permanence. À l’image du nouveau visage qu’il arbore après le terrible accident de voiture qui, en 1956, le laisse défiguré. Les chirurgiens l’opèrent du mieux possible. Ils font des miracles. Tout de même, il était beau, avant, le plus beau comédien de Hollywood. Après, il ne sera plus qu’un visage bouleversé qui bouleverse. Un fantôme de lui-même dont les yeux sembleront lancer en permanence des appels au secours, tant à ses partenaires (Elizabeth Taylor dans Soudain l’été dernier, 1959, Lee Remick dans Le Fleuve sauvage, 1960) qu’au public.

 

L’hypocrisie du cinéma

Autre masque : il est gay, ce qui, dans l’Amérique de l’époque, ne se dit pas, se vit en cachette, à ses risques et périls. La « peur lavande » (la persécution contre les homosexuels) règne : les maîtres chanteurs pullulent si le secret est bien gardé, les studios se déchaînent s’il est percé à jour : c’est la honte, alors, et l’opprobre, et le bannissement… Dans Prières exaucées, son roman « proustien » inachevé, Truman Capote décrit, avec une drôlerie féroce, un dîner ahurissant (et probablement vrai) réunissant trois alcooliques notoires : Montgomery Clift, l’actrice Tallulah Bankhead et la romancière Dorothy Parker. Laquelle, bien éméchée en fin de soirée, caresse le front, les pommettes, les lèvres du comédien – pas très frais, lui non plus. « Il est si beau, murmura miss Parker. Sensible, tellement bien fait. Le plus beau jeune homme que j’aie jamais vu. » Puis, toujours selon Truman Capote, la sentence tombe : « Quel dommage que ce soit un suceur de bites »…

 

Devoir avoir honte de ce qu’il est. Devoir supporter l’hypocrisie – et la médiocrité – de Hollywood. Devoir se supporter lui-même et n’y parvenir jamais… Pour conjurer l’angoisse, il boit, il se drogue, il drague. Beaucoup. Énormément, selon l’un de ses biographes, Sébastien Monod, qui, dans L’Enfer du décor, le décrit récupéré à plusieurs reprises par ses amis, à l’aube, devant des boîtes gay, souillé, dévasté, inconscient…

“C’est le seul être qui soit encore plus paumé que moi.” Marilyn Monroe

Sa carrière s’en ressent. Alors que Brando – pas très net, lui non plus – s’envole, Clift stagne : il tourne de moins en moins, on le juge, non sans raison, ingérable… John Huston menace même de le virer sur le tournage des Désaxés (1961), sombre chef-d’œuvre sur trois inadaptés en quête d’une pureté perdue. À propos de Clift, Marilyn Monroe, lucide et tendre, déclarera : « C’est le seul être qui soit encore plus paumé que moi »… Il est superbe dans le film, et John Huston l’admettra, au point de l’engager à nouveau pour Freud, passions secrètes (1962) – un nouveau cauchemar sans fin… Superbe, il le sera aussi dans les douze minutes où il apparaît dans Jugement à Nuremberg (Stanley Kramer, 1962), qui lui vaudra sa quatrième nomination pour un Oscar qu’il n’obtiendra jamais…

 

Il meurt d’une crise cardiaque à l’âge de 45 ans. Au moment où Elizabeth Taylor, son amie de toujours, se bat comme une lionne – au point de renoncer à son (faramineux) salaire – pour convaincre les producteurs d’en faire son partenaire dans Reflets dans un œil d’or, que prépare John Huston. Le destin en décidera autrement : c’est Brando, son éternel rival, qui le remplacera dans l’adaptation du roman de Carson McCullers.

« On a mythifié James Dean, dit l’éditeur François Guérif, et pas Montgomery Clift, qui est, pourtant, un Dean puissance dix. Pourquoi ? Parce que sa douleur est telle que ceux qui le regardent ont du mal à la supporter : elle est gênante. Une telle détresse est unique dans l’histoire du cinéma… »

S’il fallait absolument se persuader de son talent, on pourrait – pour la période 2, celle qui suit son accident – revoir Soudain l’été dernier, de Joseph L. Mankiewicz, où il incarne un veilleur. Une sorte de sentinelle dont les regards fouillent l’âme d’Elizabeth Taylor pour l’amener, progressivement, à la conscience d’actes subis ou perpétrés.

Et pour la période 1, celle de sa beauté triomphante, choisir Une place au soleil, de George Stevens (1951). Pour y remarquer mille détails : sa façon de se mouvoir légèrement voûté, par exemple, en accord avec la maladresse du personnage, mal à l’aise chez les riches. Ou l’imperceptible modification de ses traits, juste avant son exécution, lorsqu’on le sent brusquement envahi par la conscience de sa responsabilité – sa faute – dans un meurtre qu’il n’a pas commis, mais désiré.

Pierre Murat

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article