22 Avril 2021
Quel ramdam ce fut...
En ce début juillet 1923....
Quand les hommes du célèbre commissaire Achille Vidal de la Secrète, rue des Saussaies à Paris, secondés par des policiers, par des gardes forestiers et des gardes champêtres locaux, se mirent à explorer chaque buisson, allant même jusqu'à sonder les étangs.
Le barbu méridional Achille, bon enquêteur, était intimement persuadé que Guillaume Seznec avait, après l'avoir tué, fait disparaître le corps du conseiller général breton Pierre Quémeneur, quelque part sur la Nationale 12 entre Houdan et Gambais.
Quant à Seznec, il ne cessait de mentir et confondait les gares de Houdan et de Dreux.
Toute la maison Poulaga ne ménagea effectivement pas non plus ses efforts à la gare de Houdan et au restaurant du Plat d'Etain où les deux bretons avaient été vus dînant pour la dernière fois en ce foutu vendredi 25 mai 1923.
J'ai bien précisé le commissaire Achille Vidal car le flic Pierre Bonny n'était, à l'époque, qu'un simple porte-serviette. Il s'illustrera, par la suite, dans le scandale Stavisky (en 1933/1934).
Quel ramdam ce fut !
On en parla beaucoup aussi dans les chaumières de Lormaye, éloigné de Houdan ou de Gambais de seulement 19 km.
Quel ramdam ce fut !
On en parla tellement que Charles Huzo, homme de lettres et journaliste parisien, en vint à tricoter maille par maille, une fable : Guillaume Seznec avait tué à Lormaye, avec l'aide de Quemin père et fils, le conseiller général Pierre Quémeneur.
On était en août 1928.
Quatre années après la condamnation de Guillaume Seznec au bagne à perpétuité. Et, son épouse, Marie-Jeanne Seznec, cherchait à tout prix (on peut même dire "à n'importe quel prix") des témoignages innocentant son cher époux.
Ne se souciant guère, dans son entreprise, de salir d'autres gens et d'autres familles.
Une démarche, en quelque sorte, pas très catholique.
Aidée et même précédée par les démarches de son avocat Me Marcel Kahn.
Les Quemin tombaient donc à pic !
Ils étaient détestés des Lormaisiens.
Pour plusieurs raisons...
D'une part, ils étaient les plus riches de la commune, de tendance politique de droite...
D'autre part, ils exerçaient le job de maquignon, très mal vu des petits paysans locaux. Qui devaient leur vendre leurs animaux à plus ou moins bas prix.
Le père, Jean la sacoche, et son fils Jean-Louis (actuelle ferme Thirouin) furent salis en place publique...
En effet, notre ami Huzo, aidé par Charles Doucet, un commercial en graines, très en vue au village (grand laïc et franc-maçon de gauche, membre actif de la L.D.H.) soudoya deux pauvres sbires : Gilbert Viet, un jardinier qui abusait parfois de la dive bouteille, et Pierre Patrice, employé un peu simplet à la ferme de Quemin fils.
Viet raconta avoir vu le cadavre de notre conseiller général dans la rivière Auge à côté de la ferme du père Quemin (ou ferme Haincourt en face de l'ancien garage Bourinet).
La rivière Auge près de la ferme Haincourt (Photo Roger Tempête).
Pierre Patrice, lui, raconta avoir entendu parler de dollars-or...
C'était l'été 1928.
Et, comme tous les étés (encore aujourd'hui) la presse avait besoin de sujets pour gonfler ses ventes.
L'affaire Quemin fit l'affaire !
On alla même jusqu'à publier une lettre de Marie-Jeanne Seznec implorant les Lormaisiens de faire jaillir la vérité pour sauver son pauvre mari du bagne où il croupissait.
L'Ami du Peuple du 10 août 1928
Ce n'était pas la première fois que Marie-Jeanne évoquait des pistes toutes plus farfelues les unes que les autres, ce ne sera pas non plus la dernière.
Sa fille Jeanne surpassera sa mère, et le petit-fils Denis dépassera les bornes.
Les Quemin réagirent dès fin août 1928. Avec une lettre dans L'Ami du Peuple :
Et tout cela se termina au tribunal de Chartres fin décembre 1928.
Les Quemin s'offrirent l'éloquence du brillant avocat Maurice Garçon.
Huzo et L'Ere Nouvelle furent condamnés.
Viet et Patrice rappelés à l'ordre.
Le fils Quemin dans Le Petit Journal du 23 décembre 1928.
Le Petit Journal du 28 décembre 1928.
Tout cela en serait resté là...
Si je n'avais pas eu la brillante idée...
Lors de la sortie du livre de Denis Seznec "Nous, les Seznec", en septembre 1992, d'aller creuser un peu plus loin.
Je cochais toutes les cases...
Quittant L'Express, je venais juste de m'installer dans notre maison familiale de Chaudon, et mon grand-père Courtois était né à Lormaye.
Denis Seznec, lui, était on ne peut plus ravi !
Cela collait parfaitement avec sa thèse du complot national contre son grand-père.
Mon article sur 2 pages dans L'Action Républicaine du 10 novembre 1992.
Denis Seznec vint par quatre fois dans notre canton nogentais :
- le samedi 14 novembre 1992, pour dédicacer son livre à la Maison de la Presse Antoine,
- le vendredi 11 décembre 1992, pour tourner avec l'équipe de TF1 de Bernard Nicolas, sur les différents lieux Seznec, en particulier sur le pont de l'Auge avec Marcel Polvé et Robert Lahaye, et pour rencontrer chez le Chaudonnais Paul Jolly, le boucher Pierre Peltier, qui en connaissait un bout sur les Quemin...
- le vendredi 19 avril 1996, en conférence à la salle des fêtes de Coulombs,
- et le vendredi 26 septembre 2003 en conférence à celle de Lormaye.
Il faut bien préciser que tous les instituteurs avaient été mobilisés depuis des années dans la presse de leur corporation par l'une des leurs, institutrice à Riec-sur-Bellon et très exaltée, Mme Françoise Bosser.
Elle avait également mobilisé la Ligue des Droits de L'Homme.
Ce sont d'ailleurs deux instituteurs lormaisiens qui me mirent sur la piste de Lormaye : d'une part Madeleine Fémeau (qui fut ma première interview début octobre 1992) et, d'autre part, Marcel Polvé.
Et puis....
Comme nombre d'aficionados de l'affaire...
Suite à l'échec de la réhabilitation du bagnard le 14 décembre 2006...
Je découvrais début janvier 2007, sur le forum du site de Marylise Lebranchu, ex-ministre de la Justice grâce à qui le procès avait été ré-ouvert, que Denis Seznec nous avait menti.
Bien que le reportage sur France 3 Bretagne de Bernez Rouz, auquel je participai en août 2004, m'ait déjà éveillé quelques suspicions...
La lecture de son livre "L'affaire Quéméneur - Seznec. Enquête sur un mystère", paru en mars 2005, confirma mes doutes.
Non, Guillaume Seznec n'était pas un pauvre être crucifié par son destin...
Mais un magouilleur de première, au bord de la ruine, qui traficotait principalement dans les bagnoles.
Une fois la faille établie, le barrage céda !
Après de longs échanges et bagarres sur le forum Justice Affaires Criminelles...
L'un des aficionados dénonça sur son blog "L'affaire Seznec revisitée" en 2013 tous les mensonges, page après page, de Denis Seznec.
Lire :
Nous, les Seznec de Denis Seznec, une référence ou une imposture ?
Me Denis Langlois, l'ancien avocat de la famille Seznec, publia, lui, en février 2015, un second livre "Pour en finir avec l'affaire Seznec" où il relayait la version du fils aîné de Guillaume : Petit-Guillaume Seznec.
Et contait par le menu ses embrouilles avec Denis Seznec.
Et enfin, l'historien du bagne, Michel Pierre publia en septembre 2019 "L'impossible innocence. Histoire de l'affaire Seznec".
Où il décompose, page après page tous les mensonges de la famille Seznec et de ses soutiens.
Où il explique la terrible manipulation de l'opinion publique : Huzo, Hervé, Bosser, Privat et autres...
Une machination à nulle autre pareille !
Le livre de Michel Pierre, c'est l'ouvrage indispensable...
Car, dans la vie, les mensonges vous rattrapent toujours.
Et on peut dire que si Denis Seznec, sa mère et sa grand-mère ont fait preuve d'une incroyable ténacité...
Dans le mensonge...
Ils ont aussi, au cours de toutes ces années, manipuler des gens sans craindre de salir leurs familles pour gagner leur cause.
Dessin Gilles Pascal pour France 2.
L'affaire Seznec serait, en fait, un simple crime crapuleux.
Après une dispute, au sortir du restaurant, entre les deux passagers de la Cadillac passablement alcoolisés...
Lire : "Un verre, ça va, trois verres, bonjour les dégâts !"
Pas de préméditation, donc, mais un lourd cric comme arme du crime.
Dans sa croisade pour la vérité...
Michel Pierre devrait présenter son livre à Nogent-le-Roi dès la fin du Covid.
J'espère que vous serez nombreux à venir l'écouter.
Michel Pierre qui n'est pas loin de penser, lui aussi, que le corps du conseiller général Pierre Quéméneur aurait été enterré...
Quelque part sur la Nationale 12 entre Houdan et Gambais...
Comme le pressentait déjà notre commissaire Achille Vidal...
La boucle est bouclée !
Liliane Langellier
P.S. Pour les plus curieux...
Je rappelle mon blog : "La Piste de Lormaye".
Jean-Louis Quemin devant sa ferme route de Maintenon (photo Colette Quemin)
Lire aussi : "La Piste de Lormaye, la fake news de l'affaire Seznec".
Regarder " L'affaire Seznec dans "Cinq Colonnes à La Une" du 2 juin 1967 :