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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Frédéric Mitterrand : « Obtenir une photo de Brad Pitt pour mon livre fut la croix et la bannière »

L’ancien ministre de la Culture et homme de télévision s’est éteint le 21 mars 2024 à l’âge de 76 ans. Il publiait en avril dernier une biographie de Brad Pitt. Frédéric Mitterrand, fidèle à l’amour qu’il portait aux stars, analysait le parcours d’un comédien libre, rebelle et mélancolique.

L’académicien Frédéric Mitterrand consacrait son dernier livre à Brad Pitt, acteur artiste et créateur. Nous avons échangé à cette occasion avec l’auteur, disparu le 21 mars 2024 à l’âge de 76 ans.

 

Commençons par la couverture… « Frédéric Mitterrand de l’Institut » d’un côté, « Brad » de l’autre, n’est-ce pas un mariage surprenant ?

Non, pour qui me connaît, ce n’est pas surprenant. J’ai écrit des tas d’émissions sur les mythes du cinéma et je m’intéresse à ce qu’ils nous apportent et à la manière dont nous vivons à l’ombre des stars que nous avons aimées.

 

D’accord, mais vous auriez pu consacrer un livre à George Clooney ou à Leonardo DiCaprio… Qu’est-ce que Brad Pitt a de plus ?

Je lui trouve beaucoup de caractéristiques remarquables : il est mélancolique, dépressif, exigeant, ambitieux… Sa relation à sa propre beauté est intéressante parce qu’il la déteste, mais il s’en sert quand même. Il y a chez lui une élégance qui le rattache aux grands héros hollywoodiens que j’ai connus. Warren Beatty par exemple. Un type vraiment sympathique, intéressé par l’autre et pas uniquement par lui-même. Brad, lui, est libre, rebelle, pudique, mystérieux. On ne sait rien de lui. Il n’y a qu’une seule biographie qui se termine quand il a 30 ans ! Je pense qu’il a interdit toutes les autres. Obtenir une photo de lui pour mon livre a été la croix et la bannière. Regardez la communication sur ses derniers films : complètement verrouillée. Au début de sa carrière, il était plus innocent, il ne savait pas, mais dès qu’il s’est rendu compte de sa puissance, il a tout fermé. Le Brad Pitt d’aujourd’hui m’intéresse autant que le Brad Pitt d’hier : je reste persuadé qu’il cherche quelque chose. Au fond, sa carrière aurait pu se terminer avec Once Upon a Time… in Hollywood. C’était très bien. Mais avec Bullet Train, le voilà dans une comédie amusante et délirante. Pourquoi va-t-il dans cette direction ?

 

Vous pensez qu’il cherche une manière de tenir loin sa dépression potentielle ?

Oui, sans doute. S’il vient si souvent en Europe, c’est parce qu’il cherche un rôle comme celui de Burt Lancaster dans Le Guépard ; rôle qui a donné à la carrière de cette grande star une autre image. Franchement le lien entre le prince Salina du Guépard et l’ancien trapéziste, dans Trapèze de Carol Reed, n’était pas évident ! Lancaster avait 50 ans, Brad Pitt en a 60. C’est le bon âge. Mais qui suis-je pour donner un conseil à Brad Pitt ?…. C’est ça aussi le propre des héros : imaginer une vie avec eux…

 

Comment s’est passée l’écriture de cette biographie personnelle ?

Je sortais d’un livre que j’aime beaucoup et qui n’a pas marché, 1938. L’œil du cyclone , sur lequel j’ai travaillé pendant trois ans. Ce livre est peut-être ce que j’ai fait de moins mal. Donc Brad est venu assez facilement. Il y avait plein de choses que j’avais envie de dire sur lui… J’ai énormément travaillé sur les archives, ce qui m’a rappelé mes années à la télévision : retrouver les personnages de cinéma dans la vie réelle, comme Rita Hayworth ou Ava Gardner.

 

Avez-vous revu tous les films avec Brad Pitt ?

Bien sûr et aussi tous les films publicitaires qu’il a tournés. Ces spots, réalisés par de grands cinéastes, David Fincher ou Damien Chazelle par exemple, sont très importants parce que souvent ils se résument à une minute de vérité. Dans un spot réalisé par Damien Chazelle pour du café, on voit Brad Pitt à moto rouler sur les routes californiennes avant d’arriver chez lui. La solitude y est très présente à l’inverse de George Clooney qui rigole avec des filles autour de lui pour un pub aussi sur le café.

Quel est le film de fiction où il vous semble le plus près de ce qu’il est réellement ?

Once Upon a Time… in Hollywood est vraiment un portrait de lui. On n’est pas loin d’un personnage à la Clint Eastwood : une élégance détachée, une manière de traverser le monde en étant lui-même, sans compromis, sans emmerder personne.

Pensez-vous que la mélancolie, la dépression, les papillons noirs dont vous parlez, sont toujours des traits de caractère inhérents aux stars ?

Pour devenir une star, il faut quand même être à part. Décalé, étrange, singulier… Se projeter sur un grand écran n’est pas permis à tout le monde. Affirmer sa puissance et sa séduction dans un rôle demande un ego très riche. Et parfois, c’est très douloureux.

À ce propos, vous faites un parallèle entre Marilyn Monroe et Brad Pitt. D’autant que Brad Pitt a produit Blonde d’Andrew Dominik pour Netflix, biographie très personnelle de Marilyn.

Ce n’est évidemment pas un hasard si Brad produit ce film. Entre Marilyn et lui, il y a, d’une manière plus ou moins importante, le désespoir, la mélancolie, la dépression… La différence, c’est que Brad est un peu plus fort, il sait mieux se défendre. Dominik est un emmerdeur épouvantable, mais Brad est toujours là pour lui. L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, d’Andrew Dominik, est le film préféré de Brad. Sans doute parce qu’il traite de l’amitié, de la trahison, de l’abandon… Son rôle, celui de Jesse James, est très proche de lui. Indépendant et hors-la-loi. Qui cherche toujours quelque chose.

Alors quoi ?

Brad est un acteur, mais il est surtout un artiste et un créateur. Ce n’est pas un bouchon qui flotte dans l’eau, c’est quelqu’un qui invente constamment. C’est lui qui trouve l’argot du gitan irlandais qu’il utilise dans Snatch de Guy Ritchie. Il a passé une semaine à chercher une façon particulière de parler et un jour en arrivant au studio, il a inventé un truc. Tous les cinéastes importants avec lesquels il a travaillé disent que son apport aux personnages est considérable, alors qu’il n’a pratiquement jamais pris de cours de cinéma. Inventer, c’est être différent des autres. Et être différent des autres est aussi la définition d’une star. C’est un rayonnement particulier qui se voit à l’écran. Quelque chose de difficile à définir. C’est là ou ce n’est pas là. À n’importe quel âge. Comme Lillian Gish, par exemple, que j’ai bien connue. Elle ressemblait à ma grand-mère. Même à 80 ans, elle avait ce truc. Aujourd’hui, je rêve de voir Brad Pitt incarner un grand héros romanesque mis en scène par Quentin Tarantino. Je suis sûr qu’il cherche ce type de rôle.

Si vous l’aviez en face de vous, dans un cadre informel, qu’aimeriez-vous lui demander ?

Je parlerais architecture. Je lui demanderais s’il connaît Hassan Fathy, l’architecte égyptien. Je lui dirais que j’ai acheté plusieurs livres d’Hassan Fathy pour les lui donner, et je lui demanderai son adresse. J’ai vraiment deux cartons entiers de bouquins pour lui. J’aimerais les lui envoyer. Je cherche le moyen…

 

Brad de Frédéric Mitterrand, 336 P., XO, 20,90 €.

 

 

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