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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

« Lolita, méprise sur un fantasme », sur Arte : l’histoire d’un désastreux contresens...

Dans son documentaire, Olivia Mokiejewski revient sur la genèse du chef-d’œuvre de Nabokov et sa lecture actuelle, à l’heure de #metoo.

Humbert (James Mason), Lolita (Sue Lyon) et Charlotte (Shelley Winters), dans « Lolita » (1962), de Stanley Kubrick. 

 

Avec ses lunettes, sa sucette et son rouge à lèvres rouge (affiche du film de Stanley Kubrick), Lolita a longtemps (encore ?) été perçue comme le fruit défendu qui ne demanderait qu’à être croqué. Or, Lolita est une petite fille – elle a 12 ans –, ce qui ne l’empêche pas de dire : « Regarde ce que tu m’as fait. Je devrais appeler la police et leur dire que tu m’as violée », comme l’écrit Vladimir Nabokov dans son livre Lolita, publié en 1955 en France, et trois ans plus tard aux Etats-Unis.

Mais alors comment une enfant abusée a pu devenir une icône érotique dans l’imaginaire collectif ? Comment est-on arrivé à un si désastreux contresens ? Le documentaire d’Arte, Lolita, méprise sur un fantasme, se propose de faire le point sur la question.

D’abord en revenant sur la genèse du livre. Vladimir Nabokov savait que le livre serait une bombe à retardement : de fait, elle explosa au milieu des années 1950. En s’attaquant au tabou de la pédophilie, l’écrivain américain d’origine russe choque. Jugé immoral et pervers, le manuscrit est refusé par tous les grands éditeurs américains, et c’est finalement en France que le livre sera publié, grâce à Maurice Girodias, fondateur de The Olympia Press, où sont édités ces livres réputés pour n’être lus que d’une main – ce que Nabokov ignore alors.

« Une pauvre enfant que l’on débauche »

Le ministère de l’intérieur le fait interdire – la censure durera un an. Mais, comme souvent, l’atmosphère sulfureuse qui entoure l’ouvrage – et déplaît à Nabokov, qui voulait un triomphe littéraire et non un scandale – attire moult lecteurs : le livre connaît un succès bientôt mondial.

En 1962, Stanley Kubrick porte Lolita à l’écran, mettant de côté le côté pédophile de l’histoire, ce qui contribue à alimenter le malentendu et à faire de Lolita une antonomase, figure de style qui consiste à utiliser un nom propre comme nom commun. Invité, en 1975, sur le plateau de l’émission « Apostrophes », Vladimir Nabokov corrige un Bernard Pivot égrillard : Lolita n’est pas une jeune fille perverse, mais « une pauvre enfant que l’on débauche ».

Mais c’est sans aucun doute au Japon où l’image de Lolita a été la plus pervertie, comme en témoigne l’usage que l’on fait des jeunes filles dans les mangas, dans lesquels la pornographie juvénile est autorisée.

Un contresens total pour Vanessa Springora. Pour l’autrice du Consentement (Grasset, 2020), Lolita est une condamnation de la pédophilie : « Je me suis sentie prise en compte grâce à ce livre. Je me suis beaucoup identifiée à elle », affirme celle qui, à 13 ans, rencontra un homme de trente-six ans son aîné – Gabriel Matzneff. Quand est posée la question, à la fin du documentaire, sur la possibilité ou non de publier un ouvrage tel que Lolita à l’heure de #metoo, Vanessa Springora est catégorique : se priver d’un tel chef-d’œuvre serait « aberrant ».

Lolita, méprise sur un fantasmeun documentaire d’Olivia Mokiejewski (France, 2021, 52 min). Coproduction : ARTE France, TV Presse Productions.

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