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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Un long dimanche de fiançailles. Le roman de Sébastien Japrisot.

Et puis, Mathilde est d'heureuse nature. Elle se dit que si ce fil ne la ramène pas à son amant, tant pis, c'est pas grave, elle pourra toujours se pendre avec.

Après avoir visionné le film...

J'ai ressenti le besoin urgent de lire le livre de Sébastien Japrisot..

Je l'ai lu en 24 heures...

Car une fois plongée dedans...

Je n'ai pas pu le lâcher.

Voilà donc l'histoire :

Dans les tranchées de la Somme...

Pendant la Première Guerre Mondiale...

Ils sont cinq soldats français...

Condamnés à mort par une cour martiale.

Les bras attachés dans le dos.

Désarmés.

A être conduits en ce sale jour de janvier 1917, dans le no man's land, pour s'être automutilés.

Afin de ne plus vivre cette horreur de guerre.

On les jette au-delà d'un avant-poste appelé Bingo Crépuscule.

Parmi eux...

Manech, dit Le Bleuet.

Un jeune Landais originaire du Cap Breton.

Qui n'a pas encore 20 ans et une fiancée Mathilde.

Juste avant la guerre, ils se sont promis que rien ne pourrait les séparer.

Elle va remuer ciel et terre pour connaître enfin la vérité.

Découvrir s'il a pu s'en sortir.

Qui a donné cet ordre absurde.

Et ce qui s'est réellement passé.

La vérité à tout prix.

"Une chose pareille ne s'invente pas et les choses qui ne s'inventent pas sont très pratiques pour reconnaître le vrai du faux".

On suit, pas à pas, l'enquête de l'obstinée Mathilde qui va découvrir la vie de ces soldats et de leur entourage.

Elle va aller jusqu'à engager un détective privé : Germain Pire.

Mathilde est une héroïne attachante, pleine d'espoir, bouleversante, au caractère fort...

Elle va reconstruire avec une minutie d'horloger le parcours de son premier et unique amour "Jean".

Japrisot dénonce avec force la bêtise de la guerre...

"Depuis plus de deux ans que les armées s'étaient enterrées, de part et d'autre, sur toute la longueur du front, si chacun était rentré tranquillement chez soi en laissant la tranchée vide, cela n'aurait rien changé."

A travers un épisode bien peu glorieux de l'armée française.

Ce roman est entièrement écrit par la voix de Mathilde.

On pense par ses yeux.

On voit avec sa tête.

Le roman commence par "Il était une fois..."

Le style en est volontairement naïf et enfantin.

Brillant et poétique.

"Mathilde touche du doigt qu'elle aimera toujours Manech".

L'intrigue en est implacable.

Avec le même plaisir qu'un Agatha Christie.

Le sujet qui intéresse Japrisot, ce n'est pas tant les horreurs de la guerre, mais le destin de ceux qui sont restés derrière : les femmes, les fiancés, la famille, les amis...

A travers Mathilde...

On ressent en nous-mêmes ce qu'ont ressenti nos arrières grands mères.

Et plus particulièrement, pour moi, ce qu'a ressenti ma grande tante Jeanne.

En recherchant son Paul.

Pour ce livre, Sébastien Japrisot a reçu le prix Interallié 1991.

Et, c'est bien mérité !

 

Liliane Langellier

 

Extraits :

"Mathilde ne sait si Manech l'entendait, dans le brouhaha de son enfance, dans le fracas des grandes vagues où elle plongeait à douze ans, à quinze ans, suspendue à lui. Elle en avait seize quand ils ont fait l'amour pour la première fois, un après-midi d'avril, et se sont juré de se marier à son retour de la guerre. Elle en avait dix-sept quand on lui a dit qu'il était perdu. Elle a pleuré beaucoup, parce que le désespoir est femme, mais pas plus qu'il n'en fallait, parce que l'obstination l'est aussi. Il restait ce fil, rafistolé avec n'importe quoi aux endroits où il craquait, qui serpentait au long de tous les boyaux, de tous les hivers, en haut, en bas de la tranchée, à travers toutes les lignes, jusqu'à l'obscur capitaine pour y porter des ordres criminels. Mathilde l'a saisi. Elle le tient encore. Il la guide dans le labyrinthe d'où Manech n'est pas revenu. Quand il est rompu, elle le renoue. Jamais elle ne se décourage. Plus le temps passe, plus sa confiance s'affermit et son attention. Et puis, Mathilde est d'heureuse nature. Elle se dit que si ce fil ne la ramène pas à son amant, tant pis, c'est pas grave, elle pourra toujours se pendre avec."

"Une autre vie, c'est les chats. Mathilde en a six, et Bénédicte un, et Sylvain un, ce qui fait huit bonheurs dans la maison et pas mal de petits chats et de petites chattes qu'on donne aux amis méritants. Les chats de Mathilde s'appellent Uni, Due, Tertia, Bellissima, Voleur et Maître Jacques. Aucun ne ressemble à l'autre, sauf que tous supportent Mathilde, jamais ils ne la regardent de travers. Le chat de Bénédicte, Camembert, est le plus intelligent mais aussi le plus gourmand, il lui faudrait un régime pour maigrir. La chatte de Sylvain, Durandal, est une pécore, elle n'adresse même pas la parole à Bellissima, sa fille, qui en souffre et ne la quitte pas d'un poil de queue. Mathilde, qui appréhende toujours l'avenir, voudrait que les chats vivent plus longtemps."

"La maison de Juliette Desrochelles est sous les arbres, sur une colline, tout près de là, de pierres grises, au toit de tuiles plates, avec un petit jardin devant, un plus grand derrière. Il y a beaucoup de fleurs.
Quand Mathilde est dans la maison, assisse dans sa trottinette, qu'on en a fini des supplications, des larmes et des bêtises, elle demande à Juliette Desrochelles, sa future belle-mère, de la pousser jusqu'au jardin de derrière, où Manech est en train de peindre, et de la laisser seule avec lui un moment. Il est prévenu de sa visite. On lui a dit qu'une jeune fille qu'il a beaucoup aimée vient le voir. Il a demandé son nom, qu'il a trouvé beau.
Quand Juliette Desrochelles et Sylvain se retirent, Mathilde est à vingt pas de lui. Il a les cheveux noirs, tout bouclés. Il lui paraît plus grand qu'elle ne s'en souvenait. Il est devant une toile, sous un appentis. Elle a bien fait de ne pas se mettre du noir sur les cils.
Elle essaye de s'approcher de lui, mais le chemin est de gravier, c'est difficile. Alors, il tourne la tête vers elle et la voit. Il pose son pinceau et s'approche, et plus il s'approche, plus il s'approche, plus elle se félicite de n'avoir pas mis de noir à ses yeux, elle ne veut pas pleurer mais c'est plus fort qu'elle, un moment elle ne le voit plus venir qu'à travers des larmes. Elle s'essuie vite. Elle le regarde. Il est arrêté à deux pas. Elle pourrait tendre la main, il s'approcherait encore, elle le toucherait. Il est le même, amaigri, plus beau que personne, avec des yeux comme Germain Pire l'a écrit, d'un bleu très pâle, presque gris, tranquilles et doux, avec quelque chose au fond qui se débat, un enfant, une âme massacrée.
Il a la même voix qu'avant. La première phrase qu'elle entend de lui, c'est terrible, il lui demande: "Tu peux pas marcher?"
Elle bouge la tête pour dire non.
Il soupire, il s'en retourne à sa peinture. Elle pousse sur ses roues, elle se rapproche de l'appentis. Il tourne à nouveau les yeux vers elle, il sourit. Il dit: "Tu veux voir ce que je fais?"
Elle bouge la tête pour dire oui.
Il dit: "Je te montrerai tout à l'heure. Mais pas tout de suite, c'est pas fini."
Alors, en attendant, elle s'adosse bien droite dans sa trottinette, elle croise les mains sur ses genoux, elle le regarde.
Oui, elle le regarde, elle le regarde, la vie est longue et peut porter encore beaucoup plus sur son dos.
Elle le regarde."

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