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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

15 septembre 1890, naissance d'Agatha Mary Clarissa Miller à Torquay, bourgade engourdie du Devon...

C'est à Torquay, bourgade engourdie du Devon, au sud-ouest de l'Angleterre que naquit, le 15 septembre 1890, Agatha Mary Clarissa Miller, la future reine du crime. Ses villas cossues, ses criques et sa lande ont planté le décor d'une quinzaine de ses romans.

Rien ne semble avoir bougé: on ferme les yeux et l'on imagine sans peine la petite Agatha patiner en riant, sur le Princess Pier, s'arrêter pour regarder un pêcheur, puis repartir. Sur la longue jetée en bois, il est désormais interdit de faire du patin à roulettes. Mais les pêcheurs sont toujours là, appuyés le long de la rambarde peinte en blanc. Blanches aussi les façades des villas cossues, fierté surannée de la cité balnéaire. Rien de plus facile que d'emboîter le pas de la reine du crime, en suivant l'Agatha Christie Mile conçu par l'office de tourisme. D'abord, on s'imprègne de son quotidien, au travers d'objets et de photos confiés par sa famille au musée municipal. Une plaque bleue, dans Barton Road rappelle Ashfield, la maison d'enfance, détruite dans les années 60. Familière des soirées du millionnaire Isaac Merritt Singer (celui des machines à coudre) dans son opulente demeure d'Oldway Mansion, la jeune Agatha fréquente également les thés dansants et les soirées de l'hôtel Imperial. Pour s'y rendre, il faut prendre la voiture ou son élan; juché sur une falaise, il délivre une vue fabuleuse sur la baie de Tor. Elle s'en inspire pour créer l'Hôtel Majestic dans La Maison du péril et Un cadavre dans la bibliothèque, mais c'est sous son vrai nom que l'établissement apparaît dans La Dernière Enigme. On peut toujours y boire un verre et peut-être, apercevoir le fantôme de Miss Marple sur la terrasse. On redescend sur le front de mer, direction le Pavilion, ancien théâtre aujourd'hui à l'abandon. Après un concert de Wagner, Archibald Christie y demande sa main à miss Miller et les jeunes mariés passent leur nuit de noces au Grand Hotel, le 24 décembre 1914.

Reine des empoisonneuses

La guerre est là, fi de frivolités. Archie, pilote de son état, rejoint son régiment du Royal Flying Corps (ancêtre de la RAF). Agatha devient infirmière bénévole au Voluntary Aid Detachment (VAD) à Torquay. Une mauvaise grippe la tient un temps éloignée de l'hôtel de ville transformé en hôpital militaire. «Quand j'y retournai, un service pharmaceutique avait été créé et on me proposa d'y travailler [...] Pour avoir ce poste, je devais passer un examen de préparatrice en pharmacie», raconte la jeune femme dans son autobiographie. Diplômée de la Société des apothicaires, elle se passionne alors pour les poisons et leur composition. De là à mijoter des histoires de meurtres... L'idée germe, mais Madge, sa soeur, parie sur un échec. En 1916 pourtant, Agatha profite de ses vacances pour se terrer au Moorlands Hotel à Haytor, un hameau au coeur de la lande. C'est là qu'elle donne corps à son héros, Hercule Poirot, le flanque de son faire-valoir Hastings, opte pour la strychnine comme arme du crime: en deux semaines, La Mystérieuse Affaire de Styles est achevée. S'il tarde à sortir, le polar rencontre un joli succès. Il est même encensé par le Journal des pharmaciens anglais, félicitant l'auteur de ses précisions médicales et surtout de ne pas avoir commis l'erreur du «poison qui ne laisse aucune trace»! C'est cette connaissance aiguë des poisons qui a donné l'idée à Alison Marshall, chef jardinier de l'abbaye médiévale de Torre, d'imaginer un jardin dédié aux plantes vénéneuses. La belladone, l'aconit et la digitale y figurent en bonne place, mais l'on découvre bien d'autres armes du crime en puissance au gré des allées, symbolisées, selon leur toxicité, par des têtes de mort...

En 1938, Agatha Christie épouse en secondes noces l'archéologue Max Mallowan. Elle apprend par hasard la mise en vente de Greenway House, qui lui rappelle une demeure où, enfant, elle adorait aller. «Une maison géorgienne blanche, datant de 1780, avec des bois qui descendaient jusqu'à la Dart... La maison idéale, une maison de rêve», dépeint la romancière. Comme elle, on emprunte le train à vapeur qui dessert la station de Greenway Halt, longeant l'estuaire de la Dart, s'imprégnant des paysages bucoliques si typiques de la campagne anglaise. Par beau temps, et à condition d'avoir de bonnes chaussures de marche, on dédaigne même la navette pour une demi-heure de promenade à travers bois.

Scènes de crimes

Désormais gérée par le National Trust - qui déboursa 4,5 millions de livres sterling pour sa rénovation -, la fière bâtisse est restée dans son jus. Tellement british, avec ses canapés et ses fauteuils fleuris encadrant la cheminée. On s'attarde dans le fouillis délicieusement orchestré du jardin, on chuchote devant le cimetière des chiens de la romancière, on rêvasse au bord de l'eau... Bon sang mais c'est bien sûr: Greenway n'est autre que Nasse House dans Poirot joue le jeu et Sunny Point House dans Témoin indésirable.

En repartant, on marque un détour par le hameau de Churston Ferrers, anglais jusqu'à la tour de guet de son église. L'écrivain l'appréciait tant qu'en 1955, elle verse les royalties de sa nouvelle Le policeman vous dit l'heure pour la réfection d'un vitrail dessiné par James Patterson.

Pour s'éloigner des foules qui, dès les beaux jours, envahissent les plages autour de Torquay, on se rend à la crique d'Elberry, l'un de sites de baignades favoris d'Agatha, non loin de Paignton. On accède à pied à la plage de galets et l'on admire toujours les ruines XVIIIe des bains de Lord Churston. L'endroit est charmant... et là où d'aucuns ne verraient que romantisme, la reine du crime trouve une raison supplémentaire pour y organiser le meurtre de Sir Carmichael Clarkell, dans A.B.C. contre Poirot !

L'incorrigible «duchesse de la mort» (son surnom favori) placera ainsi ce Devon qu'elle aimait tant sillonner en auto en toile de fond d'une quinzaine de ses polars. «Dans les villes, j'existe, tandis qu'à la campagne, je vis», affirme-t-elle. C'est d'ailleurs lors d'une de ses promenades, à la tombée du jour, qu'elle aperçoit, à l'embouchure de l'Avon, la presqu'île de Burgh, accessible à pied à marée basse. Elle y séjourne, conviée par l'excentrique milliardaire qui l'acheta en 1929. Le superbe hôtel Art déco qui détonne dans ce paysage désolé deviendra dix ans plus tard le site de son intrigue la plus célèbre, Dix Petits Nègres.

Un Dartmoor pour deux

Le parc national de Dartmoor ? Un autre roi du crime y était très attaché. L'Ecossais Sir Arthur Conan Doyle y cache son fameux chien des Baskerville. Agatha Christie, quant à elle, y assassine un vieil excentrique misogyne, à Sittaford, dans Cinq heures vingt-cinq. Tous les deux furent anoblis. Tous les deux créèrent un personnage culte - Agatha Christie ne dissimule d'ailleurs pas l'influence de Sherlock Holmes sur son personnage de Poirot. Non sans humour, elle glisse même une allusion à son confrère, en narrant une séance de spiritisme, dont Conan Doyle était un ardent défenseur !

Venir dans le Devon sans s'y attarder, c'est manquer toute la beauté tourmentée du comté. Car il y a du Brocéliande dans la densité de ces forêts, dans ces gracieuses maisons coiffées de chaume. Il y a des surprises lorsqu'on croise un troupeau de poneys sur cette lande désolée ou, s'enfuyant dans les bois, l'altière silhouette d'un cerf. Et enfin, il y a du mystère, beaucoup de mystère, dans ses tors pelés et au détour de ses marais embrumés... S'aventurer dans les campagnes du Devon contribue à comprendre l'attachement d'Agatha Christie pour cette destination à la fois discrète et austère. Comme elle, alors, difficile de ne pas succomber à son magnétisme et de ne pas tenter d'en percer les secrets.

 

 

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