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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

“Les Femmes et l’Assassin” de Mona Achache et Patricia Tourancheau sur Netflix...

"Les femmes et l'assassin" sur Netflix, un "true crime" au féminin sur l'affaire Guy Georges.

 

Vingt ans après la condamnation de Guy Georges, Patricia Tourancheau et Mona Achache retracent l’affaire du tueur de l’Est parisien à travers le regard des femmes qui l’ont vécue au plus près : la mère d’une victime, la policière, les avocates… Un éclairage singulier et des témoignages forts.

Des visages souriants, solaires, se succèdent sur la chanson de Françoise Hardy Le Temps de l’amour. Des jeunes femmes pleines de vie filmées dans leur quotidien par la caméra d’un proche. En s’ouvrant avec les images des victimes de Guy Georges telles qu’on ne les a jamais vues à l’écran, Les Femmes et l’Assassin affirme d’emblée sa singularité.

Dans les true crimes, genre surexploité par Netflix – pour le meilleur comme pour le pire –, les victimes sont la plupart du temps reléguées au second plan, englouties dans l’abîme sordide d’un parcours criminel. Pas dans ce film signé par la réalisatrice Mona Achache (Le Hérisson, Les Gazelles) et Patricia Tourancheau, journaliste à la rubrique police-justice de Libération pendant vingt-neuf ans, autrice d’un livre de référence sur l’affaire du tueur de l’Est parisien (1), qu’elle a couverte tout au long des années 1990.

Les faits sont connus. Ils ont déjà été amplement racontés, analysés, transposés également en fiction (dans L’Affaire SK1, de Frédéric Tellier, également inspiré par le livre de Patricia Tourancheau). Ce qui change ici, outre le fil du récit, remarquablement mené afin de pouvoir passionner un public ignorant de l’affaire (les jeunes ou les spectateurs hors Hexagone), c’est le point de vue adopté : celui des femmes qui ont vécu au plus près l’affaire, ont œuvré pour la vérité et en sont restées marquées à vie.

Dysfonctionnements révoltants

Dans une première partie, Martine Monteil, alors patronne de la Brigade criminelle, raconte l’enquête et la traque du violeur et tueur de sept jeunes femmes, de 1991 à 1998. Et rien ne sonne comme une froide analyse policière : la vision effroyable des scènes de crime ; les dossiers qui s’empilent sur son bureau et transforment le quotidien en course contre la montre... Avec un franc-parler lesté d’humanité, elle démêle un écheveau de malchances, de fausses pistes, de recoupements tardifs, de dysfonctionnements révoltants, également soulignés par Patricia Tourancheau.

La police dispose d’un ADN mais n’a aucun moyen de l’exploiter : à l’époque, il n’existe pas de fichier d’empreintes génétiques. Deux autres jeunes femmes seront encore tuées avant l’identification et l’arrestation de Guy Georges, en mars 1998. La colère qui fut alors celle d’Anne Gautier, mère d’Hélène Frinking, violée et assassinée en 1995, a laissé place à une parole apaisée, recueillie, on le devine, dans le cadre d’une relation de confiance tissée avec la journaliste. Il faut entendre cette femme évoquer sa douleur et son deuil, puis sa volonté de comprendre, de cerner le Mal pour mieux le juguler.

Frédérique Pons

Un second volet est consacré au procès, qui s’est ouvert le 19 mars 2001. Et là encore, rien n’entre dans les cases d’une reconstitution purement factuelle et distancée. Vingt ans après, Solange Doumic, avocate de la partie civile, et Frédérique Pons, avocate de la défense (aux côtés d’Alex Ursulet) se font face dans la salle de la cour d’assises de Paris. Chacune à sa place et dans son rôle, à la différence près que peuvent désormais s’exprimer les doutes et les moments de vacillement. Le dispositif pourrait sembler artificiel… Il donne des scènes sidérantes comme lorsque Solange Doumic se lève pour « rejouer » une de ses interventions, moment de bascule du procès qui brisa la stratégie de défense de Guy Georges.

Jamais dans ce true crime pas comme les autres, la réalisation n’autorise le moindre glissement sur le terrain du voyeurisme. Policière, avocates, mère de victime, journaliste, les cinq femmes qui y témoignent ont en commun d’avoir regardé en face une part de ténèbres, terrifiante parce qu’humaine, comme le souligne l’avocate Solange Doumic. Grâce à elles, à leur parole digne et sans fard, l’émotion qui perce ici nous entraîne loin de l’effroi.

De gauche à droite, Anne Gautier (mère d’une victime), Patricia Tourancheau (journaliste), Martine Monteil (patronne de la Brigade criminelle de 1996 à 2002) et Solange Doumic (avocate de la partie civile) dans Les Femmes et l'assassin.

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