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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

L'histoire vraie de «Rosalie»: héroïne inspirée de Clémentine Delait, femme à barbe et brillante femme d'affaires...

À l'écran, Nadia Tereszkiewicz incarne Rosalie. Une femme à barbe éprise d'amour et de liberté dont le destin est inspiré de la vie de Clémentine Delait, brillante femme d'affaires et figure historique majeure, quoique méconnue.

« Je craignais les moqueries de mes compatriotes, au contraire ils se sont montrés fous de moi », écrivait Clémentine Delait dans son journal intime. Tenancière d'un café à Thaon-les-Vosges (Vosges), cette audacieuse a fait de ses angoisses la clé de sa renommée. Atteinte d’hypertrichose, elle a développé une abondante pilosité dès l'enfance, longtemps dissimulée par le rasage. Mariée à Joseph, un boulanger souffrant de multiples problèmes de santé, elle a su renverser les préjugés en choisissant d'assumer fièrement sa barbe, dans la France rurale de 1900. Sa vie inspire très largement le film Rosalie, réalisé par Stéphanie Di Gusto et sorti mercredi 10 avril en salles. Nadia Tereszkiewicz interprète le rôle-titre, alter ego solaire et attendrissant de Clémentine Delait, aux côtés de Benoît Magimel (Joseph), Anna etBenjamin Biolay, Guillaume Gouix et Gustave Kervern. L'occasion de revenir sur la vie de celle qui fut, plus qu'une figure locale, l'incarnation d'une certaine idée de la liberté.

Née en 1865, la jeune femme a constaté l'apparition d'un duvet naissant autour de ses lèvres à l'aube de sa majorité. « Ma jeunesse fut celle de toutes les filles de la campagne, rude et laborieuse, mais à 18 ans ma lèvre supérieure s'agrémentait déjà d'un duvet prometteur qui soulignait agréablement mon teint de brune », décrivait-elle dans son journal, découvert en 2005 et dont les citations ont été rapportées par le Républicain Lorrain la même année. Jusqu'à ses 36 ans, elle a procédé à un rasage minutieux. Le déclic est venu lorsqu'elle a assisté à une représentation de cirque donnée à Nancy en 1901.

Pantalons et cartes postales

À l'époque, les femmes à barbe faisaient partie des compagnies et étaient exhibées au même titre que les « monstres », individus aux physiques atypiques, et/ou atteints d'anomalies et malformations. De retour au café, elle raconte l'anecdote à un client qui la met au défi de laisser pousser sa barbe contre l'équivalent de 5 000 euros. Pari tenu.

« J’avais une barbe magnifique, frisée, fournie qui s’épanouissait en double panache », s'enthousiasme-t-elle dans ses journaux. Cette singularité attise la curiosité des clients qui viennent en nombre observer « la femme à barbe », comme on l'appelle déjà. « Mon café ne désemplissait pas, la nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. »

Loin de s'en offusquer, Clémentine Delait comprend vite comment tirer parti de sa différence et se mue en audacieuse femme d'affaires. Elle pose pour des séances photo et développe une série de cartes postales à son effigie qui se vendent comme des petits pains. Elle travaille son image au point de demander une autorisation de travestissement pour pouvoir porter des pantalons, une exception à l'époque où cet accoutrement était strictement interdit aux femmes.

Pas une bête de foire

Pendant la Première guerre mondiale, elle rejoint la Croix-Rouge et devient égérie des Poilus. Avec son mari, elle adopte une fille orpheline de guerre, Fernande. À mesure que croit sa notoriété, Clémentine Delait rêve d'un futur très différent des autres femmes à barbes connues pour leurs numéros de cirque et couche son ambition sur papier : « Il ne me vint pas à l'idée que je ne pouvais être qu'une femme curieuse exhibée, j'étais beaucoup plus et beaucoup mieux que cela. » Raison pour laquelle elle décline la proposition de Phineas Taylor Barnum, célèbre directeur du cirque éponyme qui souhaite la recruter dans sa compagnie pour trois millions de francs. La santé de son mari décline, elle reprend les affaires.

À sa mort, en 1928, elle voyage, rencontre les grands de ce monde -le prince de Galles, le Shah de Perse, le roi d'Espagne et celui d'Égypte- et accepte quelques tournées pour des représentations sur l'ensemble du continent. De retour dans son village, elle ouvre son propre bar et y monte des spectacles pour se mettre en scène comme bon lui semble, en toute maîtrise. Des curieux de toute l'Europe viennent à Thaon-les-Vosges pour admirer ses performances. Disparue en 1939 à l'âge de 74 ans, elle s'est amusée de son parcours hors normes jusqu'à la fin de sa vie, avec une espièglerie vivifiante : « Mon vieux Saint-Pierre, je parie 50 francs qu'il n'y a pas une barbe aussi belle que la mienne dans ton paradis. » Un destin de cinéma.

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