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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

“Jeanne du Barry” en ouverture du Festival de Cannes : immersion avec Maïwenn lors du montage...

“Jeanne du Barry”, le film historique de Maïwenn, sera projeté en ouverture du Festival de Cannes 2023. “Télérama” la rencontrait en début d’année, alors qu’elle était en montage, après un tournage imposant. Au casting, Johnny Depp dans le rôle de Louis XV.

Tous les matins, le même chemin. Quatre étages à gravir dans une aimable cour en bordure du canal Saint-Martin. L’ascenseur est calé au rez-de-chaussée, les murs sont dénudés, les escaliers couverts de bâches, éclats de peinture et bandes adhésives. Le décor prête à sourire certains jours, d’autres non. Les travaux n’en finissent pas, l’immeuble est en réfection et le film, en chantier. Au dernier étage, Maïwenn, face aux écrans, se coule au plus profond d’un vaste canapé de cuir brun, les pieds sur une table basse où trône un buste miniature de la comtesse du Barry. Après les fêtes de Noël, l’humeur est en eaux basses. « Je ne vais pas vous dire que c’est la foire du Trône… » Le montage est commencé depuis deux mois et elle vient de montrer pour la première fois une version du film.

Une angoisse revient qu’elle connaît parfaitement mais ne sait guère apprivoiser : « On sort de quelques semaines d’entente très agréables avec la monteuse, la pression monte d’un coup, et c’est le coup de bambou… On n’entend jamais les critiques qu’on pensait entendre. Ma propre perception change lors de la projection, je me surprends à ne plus supporter des choses que j’aimais, c’est extrêmement déstabilisant. » Elle n’ouvre la salle qu’à deux personnes, le producteur et un coscénariste. Elle cherchait autrefois d’autres critiques pour accompagner la réflexion, elle en est revenue : « Quand les avis se multiplient, je ne parviens plus à trancher, je ne sais plus où sont mes goûts, je me sens anéantie, j’ai envie de fuir dans le désert en Algérie… » Ensuite le travail reprend, le film retrouve son souffle, elle aussi.

Le modèle “Barry Lyndon”

Elle le sait mais ne sait plus qu’elle le sait. Rien ne lui semble clair dans la salle de montage baignée d’une grande lumière. Il faut dire qu’elle fige en ces jours une histoire qui l’excite et tourbillonne dans son esprit depuis plus de quinze ans. Depuis 2006, très exactement, quand elle a vu le Marie-Antoinette de Sofia Coppola et découvert Mme du Barry sous les traits d’Asia Argento. « Mon cerveau a vrillé, dit-elle, je ne voulais plus quitter ce personnage. Tout me parlait chez elle, tout faisait écho à mon rapport à la vie, aux préjugés de classe, à la jalousie que je ressens depuis longtemps. »

Elle se trouve « obsédée » par la roturière dont l’éclat, la candeur et l’esprit l’amènent à traverser tous les cercles de la cour jusqu’aux bras du roi. Elle aime passionnément cette « loseuse magnifique », lit les innombrables livres qui retracent sa fuite en avant et, dans un même élan, repousse cette attraction. « Je me méfiais du film d’époque, trop lourd, trop compliqué, trop cher… Je me disais que je n’y trouverais pas la liberté dont j’ai l’habitude. » Elle n’en écrit pas moins plusieurs moutures d’un scénario qui convainc producteurs et diffuseurs. Elle l’étoffe en dévorant moult essais sur le siècle de Louis XV, se nourrit de l’avis d’un universitaire (« toujours au bord d’avoir une attaque »), cherche une langue d’époque qui resterait la sienne, garde le cap sur la vérité historique en sachant qu’elle l’accordera à ses sentiments, travaille et travaille encore. Et se jette à l’eau.

Alors qu’elle se trouve sans équilibre au milieu du gué, elle ne peut que mesurer l’ampleur du défi. Elle a souhaité tourner en 35 millimètres pour s’approcher de la majesté et des teintes profondes des films qu’elle a aimés, Barry Lyndon, de Kubrick, en particulier. Elle désirait se fixer un cadre et des contraintes. Elle souhaitait « placer la caméra au centre de tout » mais chez Maïwenn toute géométrie est flottante, si elle se chasse elle-même du centre, elle y revient forcément. L’actrice réclame sa place auprès de la cinéaste et elle s’est retrouvée, dans le château de Versailles, à diriger un grand film en costumes tout en interprétant la du Barry. « À la fin du tournage, je me suis dit que je ne le ferais plus jamais, que je ne jouerais plus dans un film que je mets en scène. Tout en sachant que je ne pourrais faire autrement. Non pas en raison d’un orgueil démesuré, comme je le lis parfois, mais parce que ma place est au cœur du film. J’ai le sentiment que personne ne peut le comprendre mieux que moi. Une relation viscérale, névrotique, que je peux difficilement partager. »

Une distribution royale

Dans ses longs métrages précédents où l’improvisation était reine et où le numérique n’imposait pas les mêmes limites que la pellicule, elle laissait tourner la caméra pour se ranger du côté des comédiens, faire corps avec eux, lancer des idées, donner le ton ou l’humeur de la scène. Dans le costume de la du Barry, il fallait fermement diriger une manœuvre de tout autre ampleur, garder l’œil et avoir l’oreille, vérifier chaque plan, scruter les détails, sonder les lumières, guetter les inflexions du jeu, varier les prises, créer un nuancier pour chaque scène entre fébrilité, fantaisie et ironie : « Dans le passé, je terminais toujours le tournage avec des centaines d’heures de rushes. Là, je savais que j’en aurais beaucoup moins, que je ne pouvais pas me laisser aller à vagabonder au risque de manquer. » Alors que ses partenaires s’extasiaient de jouer le siècle de Louis XV dans les salons et les jardins de Versailles, elle n’en a pas profité. Elle a terminé le tournage épuisée et dit « avoir regardé le plafond pendant un mois » avant de rejoindre la salle de montage.

Elle y est seule à présent avec son riche casting, Benjamin Lavernhe, Pierre Richard, Melvil Poupaud, Noémie Lvovsky, Pascal Greggory… Et l’amant avec qui la rencontre ne pouvait être qu’électrique, Johnny Depp, corsaire américain dans le rôle d’un roi de France. L’acteur sortait de son procès quand il a rejoint le plateau, il était sur les nerfs, elle aussi. Après avoir écrit le rôle pour un comédien français qui s’est défilé, elle avait couché sur un papier trois noms qui la faisaient rêver. Johnny Depp a accepté, en majesté, sans se plier à la moindre lecture. « On ne peut pas dire qu’il n’incarne pas la royauté, s’amuse-t-elle. Quand Johnny Depp débarque quelque part, c’est un seigneur qui fait son entrée. » Elle le voulait, elle l’a eu, ça ne pouvait être qu’épique ! Dans la salle de montage, quelques images restent figées sur l’écran. Ce jour-là, on enregistre une voix off. La curiosité est piquante, le mystère reste entier.

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