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25 Mai 2022
Ce week-end, le réalisateur Alexandre Moix présentait Patrick Dewaere, mon héros, un documentaire où le parcours violent et flamboyant de l'acteur est raconté par sa fille, Lola Dewaere. Rencontre à Cannes, avec la voix off et le fan.
Qui était vraiment Patrick Dewaere ? L’acteur, abusé sexuellement par un homme qu’il croyait être son père quand il était enfant, exploité par sa mère dès l’âge de 3 ans, est mort à 35 ans sans avoir jamais réussi à remplir la quête d'identité qui l’obsédait. Aujourd’hui, 40 ans après le suicide par balle du comédien-né, Alexandre Moix tente dans Patrick Dewaere, mon héros d’apporter une réponse aux interrogations de l’acteur des Valseuses et de Série noire.
Dans ce documentaire - son deuxième en vingt ans sur Patrick Dewaere - le journaliste donne à entendre la voix de Lola Dewaere, fille de l’acteur qu’elle n’a jamais connu - elle avait un an et demi lorsqu’il s’est tué. La mort de Patrick Dewaere, qu’elle appelle « ce mec » plutôt que « mon père », signe le début de ce que Lola décrit comme « un chemin de vie » particulier : des petites et des grosses galères en région parisienne, une mère insolvable et dépendante à l’héroïne, et, sur les traits de son visage, l’empreinte ADN de son père absent.
À Cannes, Vanity Fair a rencontré Lola Dewaere et Alexandre Moix qui présentaient leur documentaire en sélection Cannes Classics.
Vous avez vu pour la première fois le film lors de cette projection cannoise. Qu’en avez-vous pensé ?
Lola Dewaere : Le voir m’a fracassée de fatigue. Quand les lumières se sont rallumées, j’ai simplement eu envie d’aller me coucher. Il y a des moments très lumineux dans la vie de ce mec, et des moments qui sont pour moi trop durs à regarder. Je l’ai fait pour Alexandre (Moix, ndlr) et puis pour mon père : il n’a jamais rien gagné à Cannes ni ailleurs et il en souffrait. Je ne sais pas s’il y a une vie après la mort, mais peut-être qu’il voit qu’on l’a célébré aujourd’hui.
Lorsque Thierry Frémaux a présenté le film aux spectateurs, il vous a invité à parler de Patrick Dewaere et vous avez refusé de vous exprimer. Parler de votre père est toujours compliqué pour vous ?
Lola Dewaere : Je n’accepte jamais de parler de Patrick Dewaere. Je reçois tous les mois des demandes d’interviews que je décline systématiquement. Ce « truc » que les gens projettent sur moi, ça n’est pas moi. Je ne veux pas porter ce « truc » là. Je suis rien dans son histoire et je ne veux pas y être associée. La première fois que j’ai parlé de mon père, c’est Alexandre qui m’a mis le pied à l’étrier.
Comment vous êtes vous rencontrés ?
Lola Dewaere : Alexandre est moi sommes entrés en contact au début des années 2000, lorsqu’il réalisait son premier documentaire sur Patrick Dewaere. Il m’avait demandé de témoigner.
Alexandre Moix : Patrick Dewaere est un acteur qui me passionne depuis que j’ai 17 ans. À l’époque, j’étais tombé sur une VHS de Coup de Tête chez mes parents. Je savais seulement que c’était un acteur qui s’était foutu en l’air. Et quand j’ai vu ce film, j’ai immédiatement été happé par le jeu de Patrick. Je m’intéressais déjà au cinéma mais je n’avais jamais vu ça : lui ne jouait pas. Il était ses personnages, au sens propre. Je me suis mis à rechercher tous les films de Dewaere que je pouvais trouver, et j’ai lu les quelques biographies disponibles, ainsi que le documentaire de Marc Esposito sorti en 1992. Quand je suis devenu journaliste et que je travaillais à l’Obs, j’ai voulu réaliser un docu sur cet acteur. Je crois que la vie de Patrick, son enfance violente, ses conflits internes et ses tourments ont parlé à l’adolescent que j’étais, un peu empêtré dans ses soucis.
Ce nouveau documentaire réunit un grand nombre d’archives vidéos, audio, et écrites. Quel est le Patrick Dewaere que l’on découvre ?
Alexandre Moix : Sa vie était violente dès l’enfance. Il s’est flingué avec une carabine, face à un miroir. Je ne voulais surtout pas édulcorer cette violence, parce que si on passe à côté de ça alors on ne comprend pas qui est Patrick Dewaere. Dans une archive que j’ai retrouvée, Patrick Dewaere déclare : « Dans Série noire, c’est moi. » Quand il tue cette vieille dame qui prostitue sa fille dans le film, il tue sa mère, Mado Morin. Et son regard passe alternativement de la tendresse à la haine absolue. Patrick Dewaere utilisait ses personnages pour essayer de retrouver qui il était. Et c’est cette quête d’identité qui est fascinante, parce qu’elle est universelle.
Lola Dewaere : c’est quelqu’un qui est mort de ne pas avoir été aimé. Il disait, moi, je joue dans des films nouveaux. Les films de mon père, ça n’était pas La Chèvre avec Gérard Depardieu et Pierre Richard. C’était élitiste alors qu’il avait besoin de popularité. Il avait besoin de faire des films popu'.
Alexandre Moix : Lors d’une interview que j’ai menée, Bertrand Blier me dit : « Quand on est réalisateur et qu’on a un acteur d’une telle violence, on l’exploite ». C’est une phrase très dure quand on connait la vie de Patrick Dewaere, qui était exploité en tant que comédien par ses parents dès l’âge de trois ans. Après coup, les réalisateurs qui ont fait tourner Patrick Dewaere ressentent beaucoup de culpabilité. Ils se sont servis de lui. Ils écrivaient les rôles pour Patrick, très inspirés de sa vie. Mais d’un autre côté, c’est Dewaere qui voulait incarner ces rôles. Quand, dans Beau Père, il joue le rôle d’un mec qui couche avec une fille de quatorze ans, alors qu’il a lui même été abusé sexuellement lorsqu’il était enfant, ça interroge. Patrick Dewaere rejouait sans cesse sa vie.
Lola Dewaere : Je ne sais pas pourquoi il s’est foutu en l’air. Je ne saurai jamais. Ce qu’Alexandre a rassemblé, permet par contre de comprendre les conflits internes de ce mec. Le film est limpide, c’est clair.
Pourquoi avoir choisi le point de vue de Lola Dewaere, sa fille qui ne l’a jamais connu, pour raconter Patrick Dewaere ?
Alexandre Moix : Je crois que Lola est plus légitime que moi pour interpeller Patrick Dewaere. Je voulais faire le film à travers ses yeux, ce qui permet de lever certains tabous sur son enfance, sur son absence. Je connais Lola depuis vingt ans maintenant et je connais son phrasé et comment elle parle, je sais ce qu’elle ressent à propos de son père.
Lola Dewaere : Alexandre a entièrement écrit mon texte. Je lui ai simplement demandé de retirer certains noms ou certains passages qui pourraient blesser les membres de ma famille. Du côté de mon père, on n'a plus vraiment de contact, mais je les respecte quand même. M’écouter parler m’a fait une drôle d’impression, parce que je mange les mots. À certains moments, je cherche à me débarrasser du texte le plus vite possible. Parfois, lorsque je dois lire certains passages violents, lorsqu’il parle de sa mort ou de ses viols, je ne peux pas contenir mon stress. Ce film, ç'était trois jours de voix off et trois semaines de cauchemars.
Est-ce que Patrick Dewaere vous ressemble ?
Lola Dewaere : S’il y a bien un truc que je ne veux pas, c’est ressembler à Patrick Dewaere. Je me suis toujours maquillée pour essayer d’effacer son visage du mien. On a le même gueule carrée, que j’essaie d’atténuer au maximum. Pareil pour la fossette sur le menton. Mais il y a des choses qui m’échappent, dans la gestuelle, dans le regard parfois. Je n’ai jamais regardé les films de Patrick Dewaere comme des sources d’inspiration pour mon métier de comédienne et je n’aborde pas du tout le métier comme il le faisait.
Participer à ce documentaire a-t-il changé votre rapport à votre père ?
Lola Dewaere : Quand je me suis lancée là-dedans, des gens très proches m’ont dit : « Ne fais pas ça, t’as pas besoin, laisse reposer ton père en paix. » Mais j’ai surmonté ce truc là. Après la mort de Patrick Dewaere, ma mère a eu un chemin de vie assez particulier. J’avais 18 ans, et on s’est fait virer de chez nous parce qu'elle était ruinée. Je me remettais à peine d’un accident de voiture et les huissiers sont venus parce que ma mère ne payait plus l’appartement. Tout a été mis dans un garde meuble, j’ai tout perdu. Dix ou quinze ans plus tard, mon agent de l’époque m’appelle pour me dire qu’un huissier lui explique qu'il a des affaires qui m'appartiennent. S’il était pas venu, les objets de valeurs auraient été mis aux enchères et les affaires personnelles auraient été brûlées. On a récupéré ce carton, que je n’ai jamais osé ouvrir seule. On l’a ouvert avec Alexandre, des années plus tard, quand on a travaillé sur le film. On a redécouvert un vieux porte-feuille qui lui appartenait et qui contenait des lettres qu'il avait écrites. J’en ai retrouvé une dans laquelle il écrit à ma mère : « Je t’aime et je t’enculerai ». À la fin de la projection, Brigitte Fossey (actrice et amie de Patrick Dewaere, ndlr) m’a prise entre quatre yeux, et elle m’a engueulée : elle m’a dit « arrête de t’échapper, de raser les murs. Tu es légitime et tu as le droit de parler de Patrick. Tu as le droit d’être fière. » Alors oui, je me suis accordé le droit de parler de mon père. Ça a été dur mais aujourd'hui, j'ai reconstitué le puzzle.