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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

La Chandeleur et le retour de la lumière par la Nogentaise Nadine Cretin-Dupont...

 

"Présentation de Jésus au temple", Andrea Mantegna, 1465. 

 

La Chandeleur est la fête de la Présentation du Seigneur au temple de Jérusalem, rapportée dans l’évangile de saint Luc (II, 22-32), selon la loi de Moïse qui l’imposait à tout garçon premier-né quarante jours après sa naissance. Célébrée à Jérusalem vers 383, elle donnait lieu à une procession des cierges à partir des années 450. Au VIe siècle, la fête se répandit en Orient sous le nom d’Ypapante, du grec « rencontre », allusion à celle de la prophétesse Anne et du vieillard Syméon qui reçut l’Enfant-Jésus dans ses bras, « lumière pour éclairer les nations ». Elle gagna l’Occident dans la seconde moitié du VIIe siècle et le pape Serge 1er (687-701) d’origine syrienne instaura avant la messe, à l’aurore, une procession à caractère pénitentiel de Saint-Hadrien (Forum) à Sainte-Marie-Majeure, avec les fidèles qui tenaient un cierge allumé. A partir du début du IXe siècle et jusqu’en 1969, cette festa candelarum (à l’origine du nom populaire de Chandeleur)fut considérée dans les pays francs comme fête de la Purification de Marie, car les quarante jours correspondaient à la période des relevailles qui concernait toute accouchée. Si la procession des cierges existait déjà, leur bénédiction, elle, n’apparut qu’à partir du milieu du Xe siècle.

LES CIERGES

La lumière purificatrice est de première importance lors de cette fête qui annonce un allongement visible des jours, d’autant plus que le mois de février (du latin februare, purifier) sous-entendait le réveil de la nature et des forces infernales et sombres censées résider dans le sous-sol. Cette période du calendrier était déjà célébrée par la fête celtique d’Imbolc, purificatrice au sortir de l’hiver, qui fut recouverte par la Sainte-Brigite, le 1er février, et qui donnait lieu à des feux domestiques, comme nous l’avons vu. Comme la « Marie aux chandelles », sainte Brigite était souvent représentée une bougie à la main. La Saint-Blaise, le 3 février, occasionnait également la présence de cierges dans les rituels de protection. Tels des sacramentaux dont on attend des effets spirituels, les cierges bénits rapportés de l’église sont conservés précieusement : en Morvan, il s’agissait encore au début du XXe siècle d’une bougie d’un mètre environ, fabriquée par le chef de famille à l’aide de la cire provenant de ses ruches[1]. En cas d’orage ou, plus généralement de la présence d’« esprits des Ténèbres » lors de veillées funèbres, de maladies ou de relevailles, la maîtresse de maison allumait ce « cierge de famille ». En Auvergne et en Provence, on traçait parfois avec la fumée du cierge (ou un tison) un signe de croix sur les portes et fenêtres pour protéger la maison des sorcelleries.

Outre les vertus habituelles des cierges de la Chandeleur, les cierges verts de Marseille (qui semblent avoir été répandus en Provence avant 1620) sont réputés promettre la fécondité et aider aux accouchements. Chaque année, dans l’église Saint-Victor, on sort la statue de Notre-Dame de Confession, la Vierge noire de la crypte, sur l’esplanade qui domine le port de Marseille alors qu’il fait encore nuit, puis on la place dans l’église haute où elle reste pendant huit jours. Sa descente occasionne une autre procession, sur un plus grand périmètre, celle-là. Vêtue de vert à chaque Chandeleur (symbole de régénération, de « purification », dit-on), cette statue en noyer de Nouestrou-Damo-de-Fue Nou (du « feu nouveau », devenue par erreur « du fenouil ») date du XIIIe siècle. Elle peut en avoir remplacé une, plus ancienne. Une confrérie Notre-Dame de Confession mentionnée dans une bulle de Célestin III en 1195 et active jusqu’en 1790, fut rétablie en 1886[2].

Les fidèles rapportent au retour de la cérémonie le 2 février des « navettes » (du latin navis, barque), pâtisseries créées par le boulanger Antoine Lauzière à la Chandeleur de 1782. Ces gâteaux secs allongés et fendus rappellaient, pour leur inventeur, la barque de saint Lazare et des saintes Maries qui se serait échouée sur les côtes de Provence au début de l’ère chrétienne. La pratique, interrompue peu après ses débuts, a repris avec succès en 1878.

LES CRÊPES

La Chandeleur est la dernière fête familiale avant le Carnaval, déjà tourné vers l’extérieur. Cette « bonne dame crêpière », selon l’expression berrichonne, occasionne la fabrication de pâtisseries obligatoires : crêpes, beignets, bugnes, oreillettes, mariottes ou gaufres… que l’on mange en grand nombre, ce qui est prometteur. Les familles réalisent facilement ces gourmandises propres au printemps, que l’on retrouve à Mardi-Gras ou à la Mi-Carême, et qui ne demandent pas d’ingrédients coûteux (œufs, farine et lait). La consommation de lait évoque justement les saintes Brigite ou Agathe voisines dans le calendrier, favorables à la fécondité. Ces pâtisseries prouvaient qu’après l’hiver, on pouvait encore manger à satiété et  jouaient un rôle protecteur en veillant sur l’économie domestique : la première, lancée sur le dessus d’une armoire ou d’un vaisselier y restait une année entière. Pour cette même raison, l’usage veut qu’on fasse sauter la première crêpe une pièce de monnaie à la main.

L’arrivée du printemps donne ainsi l’occasion dans différents pays d’Europe de multiplier les petits gâteaux annonciateurs de fécondité-fertilité, sous forme de figurines entières (telles les mariottes de Montbard, censées aujourd’hui représenter des fées) ou d’ex-voto. Issus de rites lointains, ces pâtisseries ont pris la forme des seins d’Agathe en Espagne, ou des navettes de Marseille dans lesquelles certains voient des vulves stylisées, comme en témoignaient la nurole en Picardie et la navette d’Albi dont on dit que l’origine est liée aux tisserands cathares. Les symboles phalliques, eux aussi, survivent dans certains gâteaux [3]. La plupart du temps, des explications tardives ont recouvert ces origines souvent désavouées liées au renouveau pré-printanier.

La crêpe, « ronde comme le soleil », a une dimension cosmique. Ce grand gâteau plat, enfariné, « réplique exacte du déguisement en Pierrot lunaire », est pour Claude Gaignebet l’expression de la face pleine de la lune [4] : comme le Carnaval, la Chandeleur, grâce aux astres, devient un point déterminant du calendrier et annonce une avancée vers Pâques « quarante » jours plus tard.

 

Le dicton de l’ours

Quarante jours, c’est aussi une période qui apparaît dans le dicton météorologique de l’ours ou du loup, très répandu en Europe, auquel A. Van Gennep accorde une origine sémitique générale [5]. Déjà attesté dans l’Histoire Naturelle de Pline l’Ancien au Ier siècle, le réveil de l’ours (ou du loup) qui sort de sa caverne, annonce l’arrivée du printemps. Si le temps est clair et permet à l’animal de voir son ombre, l’hiver doit se prolonger et l’ours retourne dormir quarante jours. Si au contraire, le temps est gris et couvert, l’animal reste éveillé car le printemps n’est plus loin. Cet être psychopompe qui revient de l’Au-delà en sortant des entrailles de la terre rappelle l’homme sauvage qui « sait le temps », comme nous l’avons vu avec saint Blaise, le 3 février [6]. Il ramène de l’inquiétant monde souterrain, dans son ventre ou dans une vessie, les âmes de l’au-delà qu’il libère en lâchant un pet sonore. La figure de l’ours est fréquente au Carnaval avec son corps couvert de fourrures et le visage noirci, comme c’est encore le cas dans les Pyrénées : les simulacres de rapts et de viols par ces masqués couverts de poils ou les jeux autour de sa mise à mort suivie de sa résurrection et de son rajeunissement annonçaient les débordements du Carnaval, et la condamnation d’un bouc émissaire qui en disparaissant permettait à la nature de renaître [7].


[1] M.-F. Gueusquin-Barbichon, « Protection des personnes et des espaces dans un village du Morvan », 1981, n° 3, p. 225.

[2] Claire Laurent, « La Chandeleur à Saint-Victor de Marseille : pluralité des pratiques », Ethnologie des faits religieux en Europe, N. Belmont, F. Lautman dir., CTHS, 1993, p. 46.

[3] Ch. Armengaud, Le diable sucré, Ed. de La Martinière, 2000, pp. 26-29.

[4] C. Gaignebet, Le Carnaval, p. 53.

[5] Bibliographies, Le folklore français, Ed. R. Laffont, p. 336.

[6] Voir le chapitre 1, le Carnaval, les enjeux amoureux, page ? ; et le chapitre 36, la saint Blaise, l’homme sauvage, page ?

[7] Voir Michel Pastoureau, L’Ours, Le Seuil, 2007, pp. 149, sq.

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