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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Les secrets du « Dernier Métro », le plus grand succès public de François Truffaut...

Il y a quarante ans, François Truffaut connaissait son plus grand succès public avec « Le dernier métro ». A bien des égards, cette histoire d’amour entre Depardieu et Deneuve, confinés dans un théâtre sous l’Occupation, est un film à clés. Le cinéaste de la Nouvelle Vague, qui allait disparaître quatre ans après ce triomphe, y a mis en scène des motifs très personnels.

Article de Samuel Blumenfeld publié dans Le Monde du 1er juin 2020

Ce jour de mars 1979, François Truffaut entre dans le bureau de Suzanne Schiffman, sa plus proche collaboratrice depuis presque vingt ans. Truffaut affiche un air soulagé. Celle qui a été sa scripte, son assistante, puis sa coscénariste, n’a pas l’habitude de voir le cinéaste de 47 ans ainsi. Elle le connaît anxieux, torturé. Surtout, elle le sait épuisé, laminé même, par la décennie qu’il vient de traverser. Dix ans au cours desquels il a tourné dix films, qui ont fait de l’ancien meneur de la Nouvelle Vague l’une des figures de proue du cinéma hexagonal, puis le réalisateur français le plus reconnu à l’étranger.

Surtout, elle le sait meurtri par l’échec public de ses deux derniers films. L’Amour en fuite, le cinquième volet de la saga consacrée à son alter ego, Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud), sorti deux mois plus tôt, un film détesté par son auteur, estimant qu’il n’aurait jamais dû voir le jour, et La Chambre verte (1978), son film le plus morbide.

François Truffaut pose une pile de papiers sur la table de travail de Suzanne Schiffman. Il s’écrie, heureux comme s’il venait de trouver la solution à un problème : « Voilà, j’ai un dossier sur le théâtre, un sur l’Occupation, on fait un film sur les deux. » Ces documents deviendront les premières fondations du scénario du Dernier Métro, qui sera tourné au printemps 1980, et sortira en septembre de cette année-là. Le film sera le plus grand succès public de sa carrière, avec 3,3 millions de spectateurs, celui qui le verra récompensé de dix Césars. Celui aussi qui, malgré cette gloire, est l’œuvre la plus secrète et la plus intime du réalisateur.

Un enfant de la guerre

À l’affiche, des vedettes : Catherine Deneuve et Gérard Depardieu. Et une intrigue qui n’a pas de lien direct avec la biographie du réalisateur : pendant la seconde guerre mondiale, l’équipe d’un théâtre tente de monter une pièce, tandis que le directeur, juif, est caché dans la cave, à l’insu de tous. Le Dernier Métro est le récit ultime du confinement. Un film qui se déroule la nuit, ignorant quasiment la lumière du jour. Un film en chambre, faisant abstraction du ciel, conçu à la manière d’un système de poupées russes où c’est d’abord un peuple, soumis aux contraintes de l’occupant, puis une troupe de théâtre, regroupée dans son sanctuaire, et enfin son directeur, cloîtré dans une cave, qui se trouvent mis sous cloche.

François Truffaut a été un enfant de la guerre. C’est durant l’Occupation – il avait 8 ans en 1940 – que ce lecteur compulsif s’est transformé en spectateur obsessionnel. L’enfant découvre dans les cinémas de son quartier parisien, entre la place de Clichy et la rue de Rochechouart, environ la moitié des deux cents films français tournés entre 1940 et 1944. Ses agendas au milieu des années 1940 indiquent treize visions du Corbeau (1943) de Clouzot, ou neuf des Enfants du paradis (mars 1945). Cette cinéphilie est alors clandestine, à la faveur de l’école buissonnière, et resquilleuse, le gamin se cachant pour entrer dans les salles. « J’avais aussi un grand besoin d’entrer dans les films, écrira François Truffaut dans Les Films de ma vie (Flammarion), et j’y parvenais en me rapprochant de plus en plus de l’écran pour faire abstraction de la salle. »

Sorti en 1959, Les Quatre Cents Coups, le premier film du réalisateur, aurait pu raconter cette histoire d’un enfant sous l’Occupation : Truffaut y avait songé. Mais ce projet restait impossible à monter pour des raisons budgétaires. Plutôt que de reconstituer la capitale française dans les années 1940, le réalisateur n’avait pas d’autre choix que de ­laisser Antoine Doinel évoluer dans un Paris contemporain.

Confronté aux résurgences des années 1940

Vingt ans plus tard, le contexte a changé à tous égards. La sortie controversée et l’écho considérable rencontré, en 1971, par le documentaire de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié, dont Truffaut facilitera la distribution en salle, signifie que la France se trouve plus que jamais en proie aux résurgences des années 1940. Ce que l’historien Henry Rousso baptisera « le syndrome de Vichy ». Le Chagrin et la Pitié décrit, à travers la chronique de la ville de Clermont-Ferrand entre 1940 et 1944, des comportements quotidiens pour le moins ambigus, voire de franche collaboration avec l’occupant allemand, à rebours du discours dominant sur une France résistante. Une vision dont Truffaut avait toujours perçu, en tant que témoin, les limites.

Comme il le confiera, au début des années 1980, en prévision d’un livre de Mémoires, à Claude de Givray, son partenaire et ami, avec lequel il a écrit Baisers volés (1968) et Domicile conjugal (1970) : « Ce moment, on ne sait pas s’il est théâtral parce que lié à la perception de mon adolescence, ou parce que les Français de l’époque n’avaient pas envie de voir de trop près la réalité des choses. Dans la mesure où ils regardaient la vérité vraie, en face, la France aurait été un pays de résignés, face à la facilité de la collaboration, face aux dangers de la Résistance. »

En parallèle, au début des années 1970, François Truffaut se met à lire de nombreux livres sur le théâtre et des Mémoires de comédiens – Frédérick Lemaître, Sarah Bernhardt –, dont il raffole. Le réalisateur trouve les éléments qui donneront corps à l’intrigue de son nouveau projet dans les souvenirs d’Alice Cocéa, qui dirigea le Théâtre des Mathurins sous l’Occupation, et dans ceux de Simone Berriau, à la tête du Théâtre Antoine à la même période, mais aussi dans le film To Be or Not to Be (1942) d’Ernst Lubitsch sur une troupe de comédiens polonais répétant une pièce sur Hitler alors que l’armée allemande s’apprête à envahir leur pays.

Un témoin lointain de l’Occupation

Il imagine le Théâtre Montmartre privé de son patron, Lucas Steiner (Heinz Bennent), un juif allemand dont tout le monde pense qu’il a fui Paris pour se réfugier en Amérique du Sud, et remplacé par son épouse, Marion. Celle-ci engage un metteur en scène à succès, Jean-Loup Cottins (Jean Poiret), qui a ses entrées chez l’occupant, ainsi qu’un jeune premier, Bernard Granger (Gérard Depardieu), afin d’assurer les représentations de leur nouvelle pièce, La Disparue.

Les répétitions commencent et, avec elles, la vie du théâtre suivies sur presque deux années d’Occupation, de septembre 1942, juste avant l’invasion de la zone libre, jusqu’à la Libération de Paris, en 1944. Une période durant laquelle Lucas Steiner n’a, en réalité, pas quitté son théâtre : il vit clandestinement dans une cave aménagée par sa femme, d’où il peut entendre les répétitions et communiquer des indications de mise en scène.

 

Truffaut écrit son scénario entre mai et septembre 1979, avec Suzanne Schiffman et dans la maison de cette dernière, à Vaison-la-Romaine, dans le Vaucluse. Le fils adolescent de la collaboratrice de Truffaut, Guillaume Schiffman (qui, plus tard, deviendra directeur de la photo et supervisera, en 2014, la restauration du Dernier Métro) parvient parfois à glisser une oreille dans les séances de travail : « J’entendais parfois ma mère très énervée, dire : “Non, tu ne peux pas dire ça, François.” » Une allusion à la méconnaissance chez Truffaut du sort des Français juifs, au fait que le réalisateur soit resté un témoin lointain de l’Occupation. Les souvenirs de la scénariste nourriront le film, en particulier avec le personnage de Rosette, la fille d’un tailleur clandestin qui, pour voir la pièce, cache son étoile jaune avec son écharpe.

Un père fantôme

Le scénario du Dernier Métro est entièrement ­travaillé par le secret. Les personnages du film sont contraints à la duplicité, quand celle-ci ne fait pas partie de leur nature profonde. Il y a le secret de Marion Steiner, qui cache son mari. Celui de Bernard Granger, engagé dans les réseaux de la Résistance. La double vie de Jean-Loup Cottins, avec ses relations tant chez l’occupant qu’avec les opposants à Vichy, son homosexualité aussi qu’il dissimule. La non moins compliquée attitude d’une des comédiennes de la troupe du théâtre, Nadine Marsac (Sabine Haudepin), qui couche avec l’occupant pour faire avancer sa carrière, tout en entretenant une relation amoureuse avec Arlette Guillaume (Andréa Ferréol), la costumière de la pièce.

Enfin, le secret le plus magnifique est celui entretenu par Truffaut lui-même. Et il explique à lui seul à quel point Le Dernier Métro représentait pour le réalisateur une étape complexe et douloureuse. À 12 ans, comme le raconteront Antoine de Baecque et Serge Toubiana dans leur biographie publiée en 1996, il avait découvert que le dessinateur et architecte Roland Truffaut n’était pas son père. Des années après, en 1968, à l’issue du tournage de Baisers volés, il avait fait appel aux services d’un détective privé pour retrouver son géniteur, l’homme ayant séduit sa mère, Janine de Monferrand, avant de disparaître mystérieusement alors qu’elle attendait un enfant au printemps 1931.

Une idée de famille

Les enquêteurs identifient rapidement ce père fantôme. Il s’agit d’un dénommé Roland Lévy, qui s’était installé à Paris à la fin des années 1920 pour faire ses études d’odontologie. C’est dans la capitale qu’il a fait la connaissance de Janine de Monferrand. Juif, Roland Lévy a été rejeté par les parents de sa compagne. Puis, des années plus tard, ­victime des lois antijuifs du régime du Vichy, il a dû abandonner son cabinet dentaire parisien. Les détectives retrouvent sa trace à Belfort où, divorcé, père de deux enfants, il exerce encore la profession de chirurgien-­dentiste.

Truffaut n’osera jamais aborder son père biologique. La découverte de sa judéité le secoue profondément. Soudain, celui qui, ignoré par sa mère, passa par un centre pour délinquants – une trajectoire douloureuse racontée à travers le jeune Antoine Doinel dans Les Quatre Cents Coups –, trouve une réponse à tant d’interrogations. Comme il l’expliquera à Claude de Givray, il s’est « toujours senti juif ». Et trouve une explication a posteriori à son goût pour les parias et les proscrits.

Le réalisateur, dont la propre histoire familiale est complexe, va construire la distribution du Dernier Métro autour de cette idée de famille. Celle des comédiens de théâtre d’abord, que François Truffaut a repérés sur scène et dont il veut faire les héros de ce huis clos : Maurice Risch, qui incarnera le régisseur ; Andréa Ferréol, dans le rôle de la costumière, et Jean Poiret, qui a débuté chez Sacha Guitry, dans celui d’un metteur en scène en partie inspiré par ce dernier. Sabine Haudepin, que le cinéaste avait rencontrée enfant, en visite sur le tournage de Moderato Cantabile, de Peter Brook, avant de l’engager, alors âgée de 7 ans, sur Jules et Jim (1962) puis sur La Peau douce (1964), est choisie pour le rôle de Nadine, la jeune comédienne ambitieuse. Elle se souvient que le cinéaste avait « une envie de s’entourer de gens familiers ». « C’est comme s’il avait placé des petits cailloux. On peut lire cela en filigrane dans Le Dernier Métro, comme si l’on décapait un tableau. »

Aussi, François Truffaut offre à Jean-Louis Richard, un ancien acteur de la troupe de Louis Jouvet, qui est aussi son coscénariste de La Peau douce, Fahrenheit 451, La mariée était en noir et de La Nuit américaine, son premier rôle d’ampleur au cinéma. Richard incarne Daxiat, le critique de théâtre antisémite et homophobe, dont la haine froide pèse sur le Théâtre Montmartre et son directeur. Daxiat s’avère le seul personnage du Dernier Métro entièrement inspiré d’un personnage réel, Alain Laubreaux, le critique du journal collaborationniste Je suis partout.

Mais le film tient vraiment sur les épaules de Catherine Deneuve, pour qui François Truffaut a écrit ce rôle de comédienne de théâtre, épouse de Lucas Steiner. Dix ans après La Sirène du Mississipi (1969) avec Jean-Paul Belmondo, un des plus cinglants échecs de la carrière du réalisateur, le personnage incarné par Deneuve se prénomme à nouveau Marion. Comme pour mieux revendiquer la parenté entre les deux films, Truffaut injecte dans la pièce qu’elle répète une des répliques de la Sirène. Des phrases qui sont des déclarations à l’actrice, prise ici dans un triangle amoureux. « Tu es belle, Eléna, si belle que te regarder est une souffrance. – Hier, tu disais que c’était une joie ! – C’est une joie et une souffrance. »

Pour Le Dernier Métro, Truffaut a composé un personnage à l’opposé de la beauté froide et vénéneuse incarnée par Deneuve dans La Sirène du Mississipi« Truffaut trouvait que mon physique m’avait beaucoup servi, expliquera Catherine Deneuve en 2004 dans l’émission “À voix nue”, sur France Culture. Il pensait que ce pouvait être un poids et un inconvénient. Il voulait me donner un rôle de maturité, le rôle d’une femme active, brusque, virile, une femme qui a à prendre une décision, une femme un peu brutale. »

À l’intérieur de cette famille recomposée, Gérard Depardieu, qui n’avait jamais travaillé auparavant avec Truffaut, fait figure d’intrus. De fait, il en incarne un dans le film : un jeune premier étranger à la troupe de ce théâtre, tandis que son engagement gaulliste le met en porte-à-faux avec le reste des personnages.

En 1980, Depardieu est l’acteur emblématique de son époque, un comédien d’un genre particulier, formé au théâtre, mais qui a aussi fréquenté les troupes américaines stationnées à la base militaire de Châteauroux, où il a grandi. Il est facile de deviner ce qui, chez Depardieu, séduisait Truffaut : un physique imposant capable d’une grande douceur, et ce visage arrondi et épais qui en faisait, aux yeux du réalisateur, l’héritier de Jean Gabin, et donc à même de se fondre dans la France des années 1940. L’acteur français a travaillé avec les plus grands : Bertrand Blier, Claude Sautet, Bernardo Bertolucci ou Maurice Pialat, mais jamais avec Truffaut. Depardieu aime Les Quatre Cents CoupsL’Enfant sauvage, mais n’apprécie guère les autres films du réalisateur. Il exprime ses réserves au cinéaste, une franchise qui séduit ce dernier. Très vite, les deux hommes se découvrent des affinités, avec ce sentiment d’être chacun des outsiders.

Son film le plus cher

Avant le début du tournage, le 28 janvier 1980, sur la scène du Théâtre Saint-Georges à Paris, François Truffaut est inhabituellement nerveux. Le Dernier Métro est son film le plus cher, l’équivalent de 11 millions d’euros aujourd’hui, et donc, son pari le plus risqué, au moment où il a désespérément besoin d’un succès. Le financement a été ardu, TF1, Gaumont et la SFP entrant en participation. « J’étais très surpris de ses angoisses, se souvient Alain Tasma, assistant du réalisateur sur le film. C’était quelqu’un de très sûr de lui. Mais là, je ne le sentais pas à l’aise. » Truffaut n’est pas entièrement satisfait de son scénario. L’écriture du personnage de Lucas Steiner lui apparaît approximative.

Deux semaines avant le premier tour de manivelle, il découvre à l’Odéon-Théâtre de l’Europe une pièce de Jean-Claude Grumberg, L’Atelier, qui se déroule, au lendemain de la guerre, dans un atelier de confection dont une partie des employés ont survécu à la Shoah. Truffaut est convaincu que Grumberg saura réécrire le rôle de Lucas Steiner. Ce dernier finira aussi par concevoir certaines scènes avec Daxiat, celle en particulier où il se lance dans un discours antisémite à la radio. « Truffaut m’avait expliqué que ce n’était pas tant un film sur la guerre qu’une histoire d’amour entre Depardieu et Deneuve, explique le dramaturge. Je ne pouvais donc pas me sentir à l’aise ici. Une histoire d’amour sans confinement ne peut être la même qu’une histoire d’amour avec confinement. »

Jean-Claude Grumberg se souvient d’avoir fait le reproche à Truffaut d’intituler son film Le Dernier Métro, sans montrer le métro parisien avec sa dernière voiture réservée aux juifs. « On ne s’est pas bien entendus et je n’aime pas beaucoup le film. Truffaut le savait. Heinz Bennent n’avait pas la moindre idée de ce que c’était que d’incarner un juif, a fortiori dans le contexte de l’Occupation. Le personnage principal du Dernier Métro, c’est bien cet acteur dans sa cave. Or, cet interprète ne remplit pas sa cave. Avec Charles Denner à la place de Heinz Bennent, on avait un autre film, mais Truffaut m’avait expliqué qu’avec Denner, le film aurait été trop marqué. »

Un confinement à l’intérieur du confinement

Truffaut se révèle d’une extrême nervosité tout au long du tournage. Catherine Deneuve se remet d’une foulure. Suzanne Schiffman, victime d’une occlusion intestinale, est hospitalisée. Le cinéaste demande à ses comédiens d’éviter de communiquer entre eux. « Il m’avait expliqué que les gens ne parlaient pas entre eux durant l’Occupation, souligne Maurice Risch. Du coup, les comédiens ne se voyaient ni avant ni après les scènes. »

Le choix d’installer le film dans la pénombre accentue cette atmosphère si particulière, où l’on évolue en contrebande. Les éclats ponctuels de lumière apportée par les lampes anciennes allumées dans le noir, restituant un imaginaire de l’Occupation, sont l’œuvre du grand directeur de la photo Néstor Almendros. Ce dernier crée un confinement à l’intérieur du confinement, rendant mystérieux et labyrinthique le théâtre arpenté par les personnages, avec l’impression que le moindre pas de trop les précipiterait dans le vide.

Sur le plateau, Truffaut n’élève jamais la voix. Le réalisateur maintient aussi le vouvoiement entre lui et son équipe. « Une manière d’instaurer un respect, remarque Andréa Ferréol. Pour les rôles importants, chacun avait son propre coiffeur et sa propre maquilleuse. Et si Truffaut nous encourageait, le soir, à découvrir les rushes de la journée, nous arrivions chacun de notre côté, pour ensuite repartir seuls. » Seuls Gérard Depardieu, qui, de sa propre initiative, tutoie le metteur en scène, et Sabine Haudepin, dont l’historique avec Truffaut lui autorisait la même familiarité, échappent à cette mise à distance.

Lorsqu’il termine son film, l’auteur des Quatre Cents Coups n’est pas satisfait. Le Dernier Métro lui déplaît. Sentiment qui se renforcera durant les quatre mois de montage où François Truffaut devient encore plus sceptique. Seules les premières projections tests en septembre 1980, avec un accueil très positif, le rassurent. « Le film n’est pas mal et marchera gentiment, mais si on prononçait deux fois moins le mot juif, il n’en serait que meilleur », explique un responsable de la Gaumont au réalisateur.

Le soir de la première du film, au cinéma Champs-Élysées, le public se lève et applaudit. Mais Truffaut, rétif aux soirées mondaines, confie à Catherine Deneuve : « C’est un enterrement, c’est un enterrement, ce sont les condoléances pour un enterrement, c’est un enterrement », comme la comédienne le relate dans son livre À l’ombre de moi-même.

L’assentiment exceptionnel des spectateurs

Les dix Césars reçus par François Truffaut le 31 janvier 1981, dont ceux de meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleur acteur et meilleure actrice, s’accompagnant du plus grand succès public de sa carrière, en choeur avec le succès critique, racontent pourtant une autre histoire.

Au bout d’une décennie 1970 où le cinéma français s’attaquait au tabou du gouvernement de Vichy : Lacombe Lucien (1974) de Louis Malle ; Les Guichets du Louvre (1974) de Michel Mitrani ; Section spéciale (1975) de Costa-Gavras ; Monsieur Klein (1976) de Joseph Losey, qui furent, à l’exception du film de Louis Malle, dédaignés par le public, seul Le Dernier Métro suscitera un tel assentiment chez les spectateurs. Pris sans doute par le couple Deneuve/Depardieu, prêt peut-être à regarder en face l’épisode le plus douloureux de l’histoire française contemporaine.

Pourtant, la noirceur du Dernier Métro ne repose pas uniquement sur le clair-obscur. Elle tient aussi à la position particulière de ce film dans la carrière de François Truffaut. Lorsque le cinéaste, un an plus tard, retourne derrière la caméra, c’est pour filmer celle qui est devenue sa compagne, Fanny Ardant. Avec La Femme d’à côté (1981), de nouveau avec Gérard Depardieu, Truffaut raconte un drame conjugal. Suivra le polar Vivement dimanche ! (1983), avec la même Fanny Ardant et Jean-Louis Trintignant. Le réalisateur mourra en 1984, à seulement 52 ans, d’une tumeur cérébrale. Après Le Dernier Métro, plus jamais François Truffaut ne parlera à la première personne, plus jamais il ne convoquera le monde de son enfance, thème auquel il avait consacré tant de films, plus jamais il n’abordera de manière aussi douloureuse ses propres secrets.

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