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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Au bon beurre d'Edouard Molinaro (décembre 1981)...

Ce qu'il y a de bien dans notre partie, c'est que personne ne peut s'empêcher de manger, pas vrai, Madame Poissonnard ?
Charles-Hubert Poissonnard (Roger Hanin).

S'il y a un film qui incarne l'ambiance des années d'Occupation 1940/1944 en France...

C'est bien celui-là !

La première image nous montre le jeune étudiant en Histoire, Léon Lécuyer (Jean-Claude Dauphin), après la défaite de juin 40, prisonnier dans son Stalag de Poméranie, avec des idées d'évasion plein la tête...

Alors qu'il était sorti pour se soulager aux toilettes...

Un orage éclate. Et coupe l'électricité du camp.

Dans l'obscurité, Léon tombe, cherche en vain ses lunettes, et... Se retrouve hors du camp.

"Merde ! J'suis dehors !"

Evasion bien peu glorieuse, s'il en est !

Voilà notre Léon libre dans la petite ville portuaire d'à-côté.

Et dragué par une prostituée transsexuelle, Helmut, l'Ober-Lieutenant, pilote de stuka.

Terrorisé, avant même de conclure, Léon se saisit d'un lourd cendrier en verre et tue l'Allemand.

Prisonnier français évadé et criminel, voilà qui commence à faire beaucoup !

Quelques temps plus tard, le voilà  dans la capitale "J'arrivai à Paris dans les premiers jours de février..."

Où il retrouve sa mère (Monique Mélinand).

Qui file acheter quelques extras chez son épicier habituel "Poissonnard".

Derrière son comptoir, Julie Poissonnard (Andréa Ferréol) règne en despote absolue sur les cartes de tickets d'alimentation.

Dans la queue, on parle politique...

Le pétainiste Lebugle (Fred Personne) s'éclate. En propos diffamatoires. Et achète des oeufs coque au marché noir.

La petite Josette, elle (Christine Pascal), chétive et naïve, se présente pour la place de vendeuse (et de bonne à tout faire). Salaire 200 francs par mois. Nourrie le midi.

Quand c'est son tour, Mme Lécuyer, bien imprudente, révèle que son Léon s'est évadé. Et, toute joyeuse, en achète un extra : 6 tranches de jambon de Bayonne et un camembert fait à coeur. 

Le soir même...

Charles-Hubert Poissonnard (Roger Hanin) revient d'un patelin à côté de Caen, avec son camion à gazogène bourré de marchandises achetées au marché noir.

La Poissonnard, elle, cuisine le dîner : au menu : omelette bien grasse et rôti de veau pommes de terre. Avec des oeufs au lait comme dessert.

Ambiance.

La fille, Jeannine (Béatrice Masson) passe son temps à table tandis que son frère Riri, 8 ans, (Romain Trembleau), le chouchou, picole du pinard sous les yeux émus de son père.

Et, énervé, pique une crise de nerfs. Seul moyen d'endiguer les larmes : un énorme loukoum !

On retrouve tellement ici la Ferréol de "La grande bouffe" (Marco Ferreri. 1973) et ce rôle lui va si bien !

Quant à Jeannine, grâce à un quart de beurre et six oeufs tous les quinze jours, la maîtresse acceptera de lui donner des leçons particulières.

Poissonnard déclare que c'est bien trop cher payé, ce sera une fois le quart de beurre et une fois les six oeufs : "Le beurre, ça se mange, les leçons particulières, ça ne se met pas en tartines !".

Tandis que son mari l'attend impatiemment dans son lit, sous lequel sont cachés saucissons, crèmes de marron et autres conserves diverses et variées... Avec Bouillons Kub, Olida et Banania sur table de nuit et coiffeuse...

La crémière, au milieu du collage des tickets d'alimentation, va avoir une idée diabolique : dénoncer le fils Lécuyer à la Kommandantur de l'Opéra.

"J'ai l'honneur de venir vous dire qu'il se passe dans le vingtième arrondissement des agissements qui révoltent le coeur honnête du peuple français, le prisonnier de guerre, Léon Lécuyer...."

On aborde là le douloureux problème des lettres de délation anonymes qui a pourri l'ambiance de cette période d'Occupation : entre trois et cinq millions de lettres anonymes !

Lire sur ce blog :

La délation dans la France des années noires.

Quant à la nouvelle vendeuse, la petite Josette, elle est traitée en véritable esclave et nourrie aux rutabagas.

Comble du bonheur, elle sera dénoncée par cette peste de Jeannine, et, virée pour avoir volé un petit morceau de Port-Salut.

Sur sa route...

Clin d'oeil à la maréchaussée collaborationniste : Poissonnard, en leur offrant du vrai café, achète le silence de deux gendarmes.

La scène d'achat de marchandises entre Poissonnard et deux fermiers bretons silencieux et peu accortes devant leurs assiettes de crêpes, est à s'étouffer de rire.

Après avoir donné ses prix, et plaidé sa cause, Poissonnard tend sa large main (et il a de belles mains, Roger Hanin !) au paysan qui finit par lui donner la sienne. Marché conclu !

Pendant ce temps...

Suite à la dénonciation de la Poissonnard, qui jubile en les entendant...

Les soldats allemands débarquent chez les Lécuyer. Et Léon a juste le temps de se sauver par la fenêtre.

Il rejoindra, par les toits, la chambre de la petite bonne Emilienne (Annick Blancheteau). Qui, après une nuit d'amour, lui refilera les vêtements de son fiancé et suffisamment d'argent pour qu'il puisse tenter de passer en zone libre.

Ainsi va la vie chez les épiciers voleurs...

Trois scènes inoubliables :

- celle où le médecin de famille, après un malaise de Poissonnard, qui mange trop, découvre la caverne d'Ali Baba et exige d'être payé grassement en alimentation.

- celle où Léonie (Catherine Allégret), la seconde employée des Poissonnard, menace de les dénoncer à l'inspection des fraudes car ils coupent le lait. 

- celle où toute la famille part pour Vichy rencontrer le Maréchal avec, comme cadeau, un panier plein à ras bord de victuailles...

Une fin inattendue...

Où notre Jeannine, grâce aux lingots d'or accumulés par sa mère, épousera un futur ministre : Le Granier de La Ravette.

Et, où, Riri, toujours aussi paresseux et nul en classe, se verra refuser son entrée en classe de troisième...

Ce qui coûtera au professeur Léon Lécuyer une mutation à Oran.

Et lui fera dire : "Mon fils sera épicier !"

Ce téléfilm est futé, bien joué, et...

Il rend totalement l'atmosphère délétère qui régnait en France dans ces années-là.

La musique de Claude Bolling rythme le tout de notes joyeuses ...

A voir et à revoir dans notre période morose.

Surtout, surtout, ne pas s'en priver !

 

Liliane Langellier

 

P.S. Lien du replay en bas de l'article.

Ce téléfilm est tiré du livre de Jean Dutourd (Prix Interallié 1952)...

Au sujet duquel François Mauriac écrivait :

" Certains critiques m'avaient détourné de lire "Au bon beurre", laissant entendre qu'il existait, entre Jean Dutourd et le couple immonde qu'il a peint, une obscure connivence. Or, à mesure que, ces jours-ci j'avançais dans le livre, j'éprouvais un sentiment de délivrance : enfin me disais-je, tout de même, cela aura été dit. Ce couple à qui, plus ou moins, nous aurons eu tous affaire, pendant quatre ans, le voilà dénoncé, exposé sur un pilori qui désormais dominera l'histoire de ces noires années. Que l'auteur de ce beau livre soit un homme courageux, il faudrait pour le nier ne rien connaître de la lâcheté qui, aujourd'hui, incite tant de paupières à se baisser opportunément, scelle tant de lèvres ".

 

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