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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Harcèlement moral

Combien de personnes vivent-elles cela sans mettre seulement un nom sur leur douleur ?

Sur leur souffrance.

Parce que, cerise sur le gâteau, pour leur entourage, ce sont elles les faibles.

Tout est alors évoqué.

Surtout pour les femmes.

Les hormones. Les mauvais jours du mois. Les dommages collatéraux de la ménopause.

La dépression.

Le chantage affectif.

Et pendant ce temps-là....

Et bien pendant ce temps-là, la victime souffre mille morts de son bourreau.

Qu'elle n'a pas encore clairement identifié.

Qu'elle n'a donc pas pu définitivement rejeter.

Le pervers narcissique manipulateur est brillant. Intelligent et brillant. Très brillant.

Si la victime a eu, dans son enfance, un problème père.

Trop brillant.

Trop intelligent.

C'est encore bien plus difficile.

Je sais de quoi je parle.

J'en ai vécu un. De la part d'un homme brillant. Et magistralement orchestré par une femme jalouse.

J'étais, dans mon travail, accusée de tout.

Certaines en profitaient pour régler leurs mauvais comptes en y ajoutant une louche.

J'avais l'impression d'être entraînée dans une sarabande mortelle.

Que je ne pouvais freiner.

Injures le matin. Menaces le midi.

J'abordais mes après-midis vacillante et sans forces.

Et puis il y a eu ce foutu jour.

Après une incroyable séance de martyre, j'ai pris ma voiture sur le parking et je suis foutue le camp.

Sauf que...

Mon accélération cardiaque aidant, je me suis déportée sur la gauche de la route.

Et j'ai failli me tuer. Contre la rangée de platanes.

On aurait simplement dit : "Elle était déprimée !"

Ce qui m'a sauvée ?

Ma rage et ma foi.

Ce soir-là, je me vois encore me ruer au pied de la crèche de notre église.

Hoquetant de sanglots.

Je venais déposer mon fardeau.

Je n'avais pas vu notre prêtre.

Car je me serais bien gardée de me laisser ainsi aller.

Mais il a compris.

Tout de suite.

Il savait que je n'étais pas le genre de petite bonne femme à m'attendrir sur mon pauvre sort.

Que ma devise avait toujours été : "Tiens debout et aide les autres à se relever."

Alors oui, il a compris que quelque chose n'allait pas quelque part.

Je lui ai parlé longtemps...

Il a suggéré que je reçoive en février le sacrement des malades donné collectivement lors du dimanche de Notre Dame de Lourdes.

Puis nous avons appelé le bon docteur Jean-Bernard de son bureau.

Et je suis allée consulter.

J'étais un peu honteuse.

Car je n'étais pas malade.
Le bon docteur m'a écoutée. Et il a prononcé cette phrase qui résonne encore à mes oreilles :

"Je vais vous arrêter pour que vous échappiez à votre bourreau."

Le lendemain, il passait me voir.

A défaut d'être bien, je n'étais pas plus mal.

Il m'a parlé de Marie-France Hirigoyen. J'avais son livre dans ma bibliothèque. Il m'a demandé de le lire attentivement et d'en reparler avec lui.

Je l'ai fait.

Puis, à la fin de mon arrêt, j'ai repris le collier.

L'informaticien de la société avait fouillé tout mon ordinateur. Il l'avait même bloqué avec un mot de passe. Trop content de mettre sa nullité au service de son supérieur.

Je l'ai juste signalé. Froidement. Et tout est rentré dans l'ordre.

Enfin, dans l'ordre... dans le désordre serait l'expression plus appropriée.

Les injures, les humiliations ont recommencé de plus belle.

Quoique je fasse, quoique je dise, tout était ma faute. Rien que ma faute.

Epuisée, j'ai été de nouveau arrêtée.

J'étais incapable de penser à autre chose qu'à ma souffrance.

J'étais comme une pauvre mouche se débattant dans une toile d'araignée.

Et puis, un beau matin, un certain 17 janvier, jour anniversaire de la naissance de mon Langellier, la loi est enfin sortie.

J'ai commandé illico le Journal Officiel.

Et la rage m'a enfin saisie.

Tout s'est ensuite enchaîné.

J'ai appelé l'inspecteur du travail.

J'ai joint le médecin du travail. Là, je savais que je jouais sur du velours, car l'année précédente, mon bourreau avait crisé pour m'empêcher de passer la visite médicale.

Le médecin avait été obligé de se déplacer pour venir me chercher.

Et je savais que tout cela était noté sur mon dossier.

J'ai tenu mon poste jusqu'à l'été. Parce que, seule et sans famille, je voulais bien réfléchir à mes actes.

Et puis lors d'une ultime attaque, je les ai tous plantés là.

J'ai filé chez l'inspecteur du travail et je lui ai dit : "C'est maintenant !"

J'avais eu l'humilité de demander son aide à l'assistante sociale. Et cette jeune femme a été une vraie bouée de sauvetage dans ma tourmente.

Ils m'ont virée pour faute lourde avec mise à pied à titre conservatoire.

La gourdasse de déléguée du personnel ne savait pas même ce que ça voulait dire.

Moi, si.

C'est l'assistante sociale qui m'a emmenée à mon entretien préalable. Je m'étais jurée de ne pas parler. Mais de prononcer les mots de Jésus devant Pilate "C'est vous qui le dites !"

Mon persécuteur a commencé à percevoir une force sous-estimée.

Au moment où nous sortions du parking l'assistante sociale et moi, l'inspecteur du travail y rentrait.

Je me vois toujours. Je m'étais joliment habillée. Avec des couleurs très assorties. Et des talons hauts.

Je portais négligemment nouée sur mes épaules une ravissante chemise jaune pâle en fausse soie.

C'était le foutu "Look good, feel better" californien que j'avais écrit au rouge à lèvres sur le miroir de ma salle de bains.

La suite n'a pas été rose tous les jours.
Mais la rage m'habitait. Et la foi me soutenait.

J'ai demandé l'aide juridictionnelle.

J'ai choisi un avocat au hasard.

Il connaissait mon nom pour l'affaire Seznec.

Il était bâtonnier. Il était surtout plein d'humour et cultivé.

Heureusement pour moi, je notais chaque soir, très scrupuleusement, ce que j'avais vécu dans ma triste et lourde journée.

Il fut donc facile de faire un résumé cohérent pour lui raconter.

Entretemps, la femme jalouse derrière le manipulateur a inventé que j'avais harcelé mon directeur par un mail personnel graveleux chez lui.

Car, ça, elle, dans le graveleux elle s'y connaissait.

Elle a piqué un dessin porno sur une vidéo. Elle l'a truqué. Et me l'a attribué.

Là, je dois dire que j'ai un peu vacillé.
Mais, de rage, j'ai fini par trouver d'où venait le dessin : une vidéo que ce gros nullard d'informaticien avait fait circuler ...
Il m'a fallu quand même trouver des certificats de moralité.

Mais là, la rage ne m'habitait plus, j'étais la rage !

La première convocation aux Prud'hommes a été vaudevillesque.

Déjà, ils ne s'attendaient pas à ce que je sois assistée d'un avocat. Et encore moins du bâtonnier.

Je ne me souviens que d'une seule de ses réparties, alors que sa confrère en face m'accusait d'avoir cité l'Apocalypse selon Saint Jean dans un mail :

"Mais, cher Maître, c'est une très bonne lecture, l'Apocalypse selon Saint Jean, vous devriez vous y mettre..."

A ce moment précis, j'ai su que j'étais sauvée.

Quelle que soit l'issue du procès.

De procès, il n'y en a d'ailleurs pas eu.

Ils ont négocié à l'amiable.

Et j'ai pu enfin avoir mes papiers pour m'inscrire aux Assedic.

Je comptais bien bosser.

Et j'ai donc bossé.

Pas seulement des piges, car elles ne m'auraient guère nourries, mais aussi des gardes malades de nuit ou de jour, selon.

La vie s'offrait à moi. Totalement nouvelle et pure.

Avec cette sensation de liberté absolue que je ne connaissais plus.

Liliane Langellier

Harcèlement moral
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