“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 1.700 articles.
27 Décembre 2014
Je n'ai aucun regret...
Que des joies !
Que des bons souvenirs...
Je fus la première de ma promotion à bosser.
Bien avant le résultat du concours de sortie de ma "chère" école rue Soufflot.
J'avais demandé une dérogation spéciale à la directrice.
J'étais très amoureuse.
Et l'amour donne des ailes, c'est bien connu.
J'avais été élevée par des parents qui m'avaient appris la valeur du travail. Mais, ça, je ne le savais pas encore...
Donc, l'amour donne des ailes, et aussi du culot.
J'avais suivi mes deux dernières années d'études avec en option "Journalisme" et "Publicité". Ou dans l'ordre inverse. Comme on veut.
Je voulais bosser dans la pub. Rien que dans la pub. Madame Gorse se donna le mal de me trouver une petite agence. Juste à Boulogne Billancourt. Presque au Pont de Sèvres. Mais, ce qui, pour mes débuts, me permettait de rentrer déjeuner à la table familiale.
J'ai beaucoup appris en six mois.
Cette agence était aussi régie publicitaire. Pour des journaux italiens et africains.
J'ai donc été très rapidement initiée à l'élaboration d'une campagne de publicité. Et aussi à l'achat d'espace presse.
En six mois, j'avais fait le tour du problème.
Et je voulais aller voir ailleurs si j'y étais.
Mon directeur italien, qui, il faut bien l'avouer, avait un faible pour mes mini-jupes et mes longs cheveux, ne voulait pas me laisser partir.
Maman Jeannette eu l'idée aveyronnaise par excellence : "Demande-lui de l'augmentation !"
Ce qui fut dit fut fait.
Et il accepta de me laisser partir.
Entretemps, j'avais joint le service placement de mon école. Qui m'avait trouvé un job de rêve pour février : secrétaire de rédaction à Sélection Reader's Digest, boulevard Saint-Germain.
Mais j'avais tout le mois de janvier à glander.
Et ça, ce n'était pas dans ma nature.
J'ai tout simplement poussé la porte de l'agence d'intérim la plus proche de notre boutique de fleurs. Boulevard Jean Jaurès.
Ils m'ont trouvé un job illico. Un remplacement au service du personnel de Publicis Conseil.
Heureuse, je l'étais, car je passais du petit modèle au plus grand.
Et puis, je trouvais astucieux de voir comment fonctionnait une telle agence.
Et pas des moindres : 750 collaborateurs rangés dans des petits dossiers.
Mon premier job fut de classer les augmentations de salaires de la nouvelle année.
Je compris vite que les créateurs étaient l'âme vive, le coeur battant et les plus payés de l'agence. Je me vois encore avec, en mains, la feuille de l'une d'elles, qui avait pile mon âge et dont le salaire équivalait dix fois au mien.
J'ai demandé pourquoi.
Et, là, j'ai commencé à intéresser le directeur.
A la fin du mois, il m'a proposé un job d'assistante à ses côtés. Mais, moi, j'avais signé boulevard Saint Germain. Et signé c'est signé.
Il m'a simplement dit "C'est bien d'honorer ses promesses. Allez-y. Je vous garde le poste pour une semaine, et vous me direz...."
Boulevard Saint Germain, j'y suis restée trois jours.
Je partageais le bureau de vieilles bourgeoises qui commandaient leur eau minérale chez Fauchon.
J'avais peu de boulot. Et pourtant ils éditaient de superbes livres.
Donc, trois jours plus tard, je réintégrais la place de l'Etoile...
Et Publicis Conseil. 133 Champs-Elysées...
J'y ai connu Marcel Bleustein-Blanchet. Qui, ce joli mois d'été, s'est dérangé personnellement dans mon bureau pour me féliciter de mon mariage.
Mon directeur, Jean, avait pour coutume de nous dire : "Il faudrait repenser tous ces dossiers. Il nous faudrait un petit incendie qui réduise tout en poussière pour que nous puissions tout repenser et tout recommencer."
Il ne fut pas volé en septembre 1972.
J'étais installée à une table du Pub juste à côté, et comme tout avait brûlé, j'avais pour ordre de prendre les noms et adresses des collaborateurs.
Est-ce utile de préciser qu'aucun ne manquait à l'appel.... Ce matin-là...
C'est là que Maurice Levy est apparu. Tout auréolé de sa jeune gloire pour avoir sauvé de l'incendie l'essentiel de l'informatique.
C'était une époque formidable. On bossait comme des fous. Il fallait tout reconstituer.
Et moi qui n'aimais pas la routine, je fus gâtée...
Je suis restée longtemps dans le service de Jean. Il était brillant. Et intransigeant. J'ai beaucoup appris sur le droit du travail.
J'ai dactylographié des centaines de contrats. Et aussi des lettres de licenciement.
Mon job avait évolué.
Parmi mes attributions, j'étais chargée de prévoir, pour les nouveaux cadres supérieurs, leurs stages d'initiation au fonctionnement de l'agence. Avec parcours obligatoire dans les différents services.
C'est ainsi que Jean-Pierre est entré dans ma vie professionnelle.
Un remake de Clark Gable. A la voix grave et au parfum de cigare mêlé de vétiver. Toutes les filles se pamaient. Et moi, cela ne me concernait pas vraiment.
Je devais lui recruter d'urgence une assitante pour Publics Province dont il venait de prendre la direction.
Les candidates en interne se bousculaient à la porte.
Un jour que nous faisions un dernier point sur les C.V., il s'est retourné vers moi, et il a juste dit : "J'ai trouvé la collaboratrice que je veux"....
Et avant que je lève le nez de mes dossiers, il a ajouté : "C'est vous !"
J'ai balbutié : "Mais c'est impossible, vous voyez le job que j'occupe." Il m'a juste répondu : "Maurice Levy m'a donné carte blanche".
Quitter Jean, c'était quitter un morceau de ma vie. Il connaissait mon époux, mes parents, il habitait Boulogne, il m'avait appris mon métier...
Mais je l'ai fait, car, là encore, c'était le moment ou jamais.
J'avais un peu peur des réactions de mon jeune époux quand il verrait mon futur boss. Alors, j'avais noirci volontairement le portrait en accentuant son côté snob et mauvais caractère.
Les hommes sont toujours là où on ne les attend pas.
"Ce type est génial" m'a proclamé ma moitié. "Tu vas faire du bon boulot avec lui."
Treize agences dans les principales villes de France pour les budets nationaux, type Renault, Krys, etc.., cela induisait l'organisation de voyages, de séminaires. Et des déplacements, bien entendu.
Je me vois encore préparant un séminaire pour l'équipe Renault province au Normandie Hôtel de Deauville un certain début décembre.
Appel de Maurice Levy : "Combien ça va coûter ?"
Réponse : "Je crois que..."
Je n'ai pas eu le temps de terminer ma phrase : "Vous croyez ou vous êtes sûre ?"
Il avait raison. J'ai refait tous mes calculs. Histoire d'être sûre. Et je n'ai jamais oublié sa phrase.
Malgré tout j'étais quand même consciente de bosser dans la poudre aux yeux. Alors que mon Langellier, lui, était chef de fabrication chez un célèbre éditeur.
Qui avait traduit et qui éditait les nouveaux romanciers américains, comme Erica Jong et son célèbre "Complexe d'Icare".
J'avais très envie - j'écrivais déjà - de quitter mon milieu de pacotille pour les livres.
Ce ne fut pas une bonne expérience. Mais je l'ai tentée. Ainsi je n'ai aucun regret.
Je pris alors la décision de finir mes études de Psy à la fac de Saint-Denis pour m'occuper d'enfants autistes. Parce que, les grands patrons caractériels, je ne pouvais plus rien pour eux.
Je me suis donc inscrite.
Et là encore j'avais trois mois de battement.
Nous habitions déjà rue de Braque, et même si je corrigeais des livres à la maison, je voulais bouger...
Le jour de mon anniversaire, j'ai eu un appel d'une société d'intérim top niveau Paris XVIe, où j'avais passé des tests quelques mois auparavant.
L'Express avait besoin d'une intérimaire au service Fabrication. Pour le lendemain. J'ai dit oui. Tout de suite. C'était l'occasion ou jamais d'aller voir de plus près comment tout cela fonctionnait.
Le tout premier jour, je me suis retrouvée sur les Champs-Elysées pour aller acheter de quoi confectionner un kir à mes collègues du service. C'est connu, l'imprimerie, ça donne soif.
Moi, c'était d'une autre soif dont j'étais habitée.
Je voulais comprendre.
Et voir de près.
Les B.A.T. Les rotos. L'imprimerie de nuit.
Cela a séduit le responsable. Qui, à la fin de ma mission, m'a refilée aux Petites Annonces. Et c'est à ce moment-là que s'est libéré un job à la Promotion des Ventes.
J'avais le profil idéal.
Un C.V. long commme le bras.
Et j'ai été engagée... parce que... parce que j'étais née le même jour que la maman du directeur, comme quoi....
Là, pour le coup, c'était un job de fou.
Comme j'aimais.
Du travail à la petite semaine pour promouvoir chaque nouvelle couverture de l'hebdo.
Et puis l'organisation de voyages prestigieux : Japon, Grèce, Sénégal...
Le lancement de L'Express Paris.
La promotion de Lire.
Les contacts avec les N.M.P.P.
J'ai emmené 100 maisons de la presse au Japon en tant que G.O. Il avait fallu tout préparer. Eux payaient leurs voyages. Nous leur offrions les sacs, les tee-shirts, les stickers, et Dieu sait quoi encore. C'est ainsi que je me suis retrouvée à couvrir de stickers une grande partie des sièges d'un boeing Air France au départ de Paris pour Tokyo.
Si les voyages forment la jeunesse, on peut dire que celui-là, en complète terra incognita, il m'a formée à vie.
Je commençais à connaître la rédaction du journal. Puisque, chaque semaine, j'avais un entretien avec le responsable du "dossier de la cover" afin de pouvoir rapidement briefer notre agence de publicité.
J'assurais aussi l'enregistrement des messages radio promotionnels de Yann de l'Ecotais à IP/RTL. Tard les mercredis soirs. On recommençait parfois dix fois. Car c'était trop long. Trop court. Ou Yann avait trébuché sur un mot. On lui faisait monter un whisky du bar d'en bas. Et on finissait toujours par gagner la course aux mots.
J'assurais aussi les bandeaux de bus. Et les affiches de kiosques....
J'étais la seule dans le service publicitaire, par mon nom de famille certes, mais aussi par l'attention que je portais à leur boulot pour ne pas en trahir le message, à être respectée de la rédaction.
Il y avait des luttes internes dans mon service. Et cela me fatiguait.
C'est à cette période que Sir James Goldsmith a fondé les suppléments.
C'était le moment ou jamais.
D'aller montrer que je savais écrire.
Charitablement, le directeur des abonnements m'a déchoché : "Ils ne vous sélectionneront jamais !" Alors, j'ai mis le paquet. Dans ma lettre de motivation à Guillemette de Sairigné. Pour le supplément féminin "L'Express Style".
Bingo !
J'ai vite appris la puissance de l'argent dans les medias quand Goldsmith a viré Guillemette pour nous coller sa petite amie et son ex petite amie en tant que rédactrices en chef.
Mais j'avais d'autres soucis.
Mon Langellier battait de l'aile. Et il les a refermés un sale jour de mars.
J'ai failli être virée l'été suivant. Mais j'ai été recueillie dans sa rédaction par Yann de l'Ecotais et plus particulièrement par Yves Stavrides au Service Spectacles.
J'avais repris des études via le service formation du journal. Au C.F.P.J. de la rue du Louvre. Car j'avais un handicap. Déjà habituée à écrire, j'avais une facheuse tendance à favoriser plus le style que l'évènement.
Je vais juste vous conter ma première conférence de rédaction aux "Spectacles". Chaque journaliste était une pointure en sa spécialité. Pour le théâtre, René voyait au moins deux pièces par jour, pour la danse, Nicole voyageait dans le monde entier, pour l'art, Pierre Schneider, le spécialiste de Matisse était imbattable, pour le cinéma américain François était incollable. Et il l'est toujours.
A la sortie, j'étais néantisée.
Mais j'avais hérité de la rubrique télé. Et, ça, pour donner goût au lecteur à regarder une émission plutôt qu'une autre en une brève, il fallait aiguiser ses mots et compter ses signes...
Merveilleuse école...
Où j'ai croisé les plus grandes signatures...
Où j'ai déjeuné avec les plus drôles et les plus pointus dans leurs domaines.
Le parfum de Françoise Giroud habitait encore les couloirs. Et les âmes de ceux qui l'avaient connue.
J'aimais les entendre raconter cette période bénie de JJSS et de Françoise.
Nous changions souvent de rubriques.
J'ai terminé à L'Express Paris. Où, là aussi, j'ai beaucoup appris. Chaque mois, un rédacteur en chef occasionnel venait "faire le journal" : "Eddy Mitchell", "Antoine de Caunes", "César", "Christian Lacroix", "Jean-Pierre Coffe". Et nous racontait son Paris à lui. Restos, libraires, fringues, boutiques insolites, endroits cachés et aimés, tout y passait. Et c'était à nous d'enchaîner sur leurs propositions.
Et puis un beau jour, pour des raisons personnelles et familiales, j'ai dû quitter Paris pour affronter une autre vie.
Voilà...
On va s'arrêter là...
Dix ans à Publicis Conseil.
Dix ans à L'Express.
Quand je me retourne sur ce parcours j'ai tout plein de petites lumières dans les yeux.
Et il y a un peu de quoi, non, vous ne trouvez pas ?
Liliane Langellier
Je suis dans le film à 1:12 et vous voyez sur la petite image les gens donner leurs noms...