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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

“Love Actually” a 20 ans… et a bien mal vieilli...

Blagues grossophobes, femmes qui se sacrifient pour les hommes, quasi-absence de diversité… Revoir la comédie romantique de Noël 2003, c’est revenir au monde d’avant – et pas celui que l’on regrette !

Par Hélène Marzolf

C'est devenu LE rituel doudou de Noël : visionner Love Actually entre copains, en amoureux ou en famille, chaussés de pantoufles lapin et une bouillotte en forme de cœur sur les genoux. De génération en génération la comédie feel good de 2003 n’a jamais cessé de faire fondre les cœurs d’artichaut. Il faut dire que ce film à sketchs, patchwork coloré de variations sur l’amour, brasse suffisamment large pour fédérer : une dizaine de personnages et de situations – de l’épouse trompée au petit garçon amoureux pour la première fois – et un casting ébouriffant (Hugh Grant, Andrew Lincoln, Emma Thompson, Liam Neeson, Alan Rickman, Keira Knightley…).

Que reste-t-il vingt ans après ? Quelques morceaux de bravoure (Bill Nighy en rocker sur le retour), des pointes d’humour so british. Pour le reste, la sucrerie a pris un bon coup de pelle. Même le réalisateur Richard Curtis a fait son mea-culpa. Épinglé par sa fille, qui reproche à son œuvre son manque de diversité et sa grossophobie, le scénariste de Quatre Mariages et un enterrement, Bridget Jones et Coup de foudre à Notting Hill a reconnu qu’il faisait des films de boomers ! Revoir la comédie romantique à l’occasion de son vingtième anniversaire, c’est revenir au monde d’avant, et pas celui qu’on regrette le plus : diversité quasi nulle, romantisme réac et ultra genré, et léger relent de xénophobie en prime. Petit florilège.

Une certaine vision de l’amour

Dans Love Actually, le coup de foudre est la règle. Et, de préférence, entre personnes de milieux sociaux différents (syndrome Pretty Woman). À peine David, le Premier ministre anglais (Hugh Grant), aperçoit-il sa secrétaire, Natalie (Martine McCutcheon) que son palpitant s’emballe. Jamie (Colin Firth), écrivain trompé par sa compagne, croise le regard d’Aurelia (Lúcia Moniz), sa nouvelle femme de ménage portugaise, et bim, papillons dans le ventre. L’alchimie, ici, est instantanée et purement physique. Jamie et Aurelia ne parlent pas la même langue ? Qu’à cela ne tienne, il ne leur faudra que quelques jours de cohabitation, entre mime et discussion en espéranto, pour savoir qu’ils sont faits l’un pour l’autre… Sous texte assumé : l’amour dépasse les clivages linguistiques. Avec un peu de mauvais esprit on peut voir ça autrement : ce veinard de Jamie s’est dégoté une femme quasi muette, qui en plus récure ses casseroles, tout en n’hésitant pas à se jeter dans un lac en petite tenue pour repêcher les pages envolées de son manuscrit (moment tee-shirt mouillé)… Sexy, dévouée et pas bavarde, le rêve du macho de base.

Vous les femmes, vous le charme

Une femme, dans Love Actually, est avant tout une brave ménagère… ou une infirmière dans l’âme. Aurelia, donc, brique la maison de son futur amoureux. Le job de Natalie consiste à apporter thé et douceurs au Premier ministre. Karen, mère au foyer (Emma Thompson), confectionne des déguisements de Noël pour la crèche de l’école, pendant que son mari (Alan Rickman), patron d’une entreprise, batifole avec son assistante, laquelle écarte ostensiblement les cuisses à chaque fois qu’il passe devant elle au bureau, et lui susurre « je suis à vous » à la moindre occasion. Sarah (Laura Linney) sacrifie sa vie amoureuse à son frère psychotique. Aux hommes le pouvoir, aux femmes de les servir.

Un papa, une maman

Bon, on était au début des années 2000, mais à l’époque, déjà, ce film choral, se voulait un reflet de la société, un miroir générationnel, dans laquelle chacun pouvait se retrouver. Côté diversité ethnique, Chiwetel Ejiofor, dans le (tout petit) rôle d’un jeune marié, coche vaguement la case. Mais vingt ans après, difficile de ne pas voir que le film a oublié un autre truc. L’amour entre personnes du même sexe… Oups !

Balance ton prince charmant

Hugh Grant, alias David, le nouveau locataire du 10 Downing Street, est beau, riche, célèbre et célibataire ! À première vue, l’homme idéal. Un beau gosse gentiment gaffeur, qui bat des cils, rougit en apercevant sa secrétaire, se déhanche en solo sur les Pointer Sisters dans les salons du ministère… De près, il se révèle plus crapaud que prince charmant. Notamment lorsqu’il demande, en réunion, « Qui faut-il culbuter ici, pour avoir du thé ? », ou, paternaliste, donne du « ma princesse, ma merveille », à sa cheffe de cabinet. Dans la scène la plus surréaliste du film, David surprend le président des États-Unis (Billy Bob Thornton) en train de harceler sa chérie et secrétaire, Natalie. Courageux – mais pas téméraire – il se fend d’un discours anti-américain en conférence de presse, mais en coulisses, s’empresse de virer la pécheresse, qui le trouble plus que de raison et l’empêche de travailler. En 2023, la victime aurait alerté les RH (enfin on espère). Dans la romance de 2003, c’est elle qui s’excuse. « Je suis désolée pour l’autre jour, il m’est tombé dessus. Il ne s’est rien passé je vous jure ! » écrit plus tard une Natalie éplorée et plus amoureuse que jamais, à son ex-employeur dans une carte postale bien nunuche. Même avant #MeToo, ces scènes faisaient déjà tache.

L’amour extra-étroit

Dans le monde merveilleux de la comédie romantique made in Curtis, le poids est une source de rigolade inépuisable. Ainsi, Natalie (qui subit décidément tous les outrages) raconte que son ex l’a plaquée parce qu’elle avait « des cuisses comme des poteaux ». Hugh Grant compatit, mais plus tard, décrira quand même l’élue de son cœur comme une fille « potelée », avant que sa directrice de cabinet ne surenchérisse : « Elle a un postérieur plutôt massif, Monsieur » ! Rhabillée de saindoux pour l’hiver, la petite employée – à la masse corporelle absolument standard par ailleurs – n’est pas non plus épargnée par sa famille, qui l’appelle affectueusement « bouboule ». Running gag aussi fin qu’un pudding au cassoulet.

Quand Portugais rime avec arriérés

À Marseille, terre de contrastes, vit une communauté très étrange. Elle se déplace en troupeau, ne parle ni français ni anglais, s’exprime de manière tonitruante, et embrasse tout le monde sur la bouche. Qui sont ces gens ? Les Portugais. Enfin les Portugais de Marseille, selon Richard Curtis. Quand Jamie débarque sans préavis dans la famille d’Aurelia pour demander sa main, il est accueilli par le paternel, ventru et éructant, portant fièrement le marcel. Le reste du clan ne relève pas le niveau : notamment la sœur, qui beugle dans la rue « le père va vendre Aurelia comme esclave à l’Anglais ! ». Mais même chez ces Thénardier lusophones, on sait finir en beauté, en applaudissant à tout rompre les futurs mariés – qui, rappelons-le, ne parlent toujours pas la même langue – au milieu des vapeurs de bacalao… Au secours !

 

Disponible sur MyCanal (et le 30 décembre sur Ciné+ Émotion).

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