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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

ROPE (La Corde) – Alfred Hitchcock (1948)...

Un soir d’été, dans leur appartement new-yorkais, deux riches étudiants étranglent un de leurs amis pour se donner des sensations et pour mettre en pratique la philosophie de leur ancien professeur. Rope (La Corde) représente une étape importante dans la carrière d’Alfred Hitchcock : c’est son premier film en couleur, le premier aussi qu’il maîtrise totalement, puisqu’il en est le producteur exécutif. Amateur de défis, il choisit de s’imposer des contraintes de réalisation qui l’obligèrent à des prouesses.

Rope était le 35e film d’Hitchcock, mais le premier qu’il réalisait pour Transatlantic Pictures, la société qu’il avait créée en 1944 avec son ami, le producteur britannique Sidney Bernstein. Ce dernier s’occupait de la gestion, alors qu’Hitchcock assurait la partie artistique. Pour la première fois de sa carrière, le réalisateur pouvait donc maîtriser tout le processus de création.

Mais cette société de production, qu’Hitchcock avait constituée pour s’affranchir de toute intervention des studios et des producteurs, ne le dispensait pas de chercher l’appui financier d’un grand studio, indispensable pour travailler à Hollywood et pour assurer la distribution. Il signa donc un contrat avec Warner Brothers, s’engageant à tourner des films pour eux, en plus de ceux qu’il réaliserait pour Transatlantic Pictures.

UN NOUVEAU DÉPART

Le dernier film tourné par Hitchcock pour Selznick, The Paradine Case (Procès Paradine), avait été un désastre commercial et critique – en grande partie à cause de Selznick – et le réalisateur voulait réagir avec un début exemplaire pour Transatlantic. Cette société voulait faire collaborer des artistes des deux Côtés de l’Atlantique. Hitchcock avait envisagé de travailler à partir de diverses oeuvres britanniques, avant de se décider finalement à adapter la pièce d’un écrivain anglais de vingt ans, Patrick Hamilton.

Hitchcock demanda au jeune dramaturge d’effectuer une adaptation cinématographique de son texte, mais Hamilton, mal à l’aise au cinéma, refusa. Hitchcock se tourna alors vers un ami, l’acteur Hume Cronyn, qui fut très étonné, car, s’il avait certes publié quelques nouvelles, il n’avait encore jamais rien écrit pour l’écran. Les deux hommes commencèrent à travailler au printemps 1947. Selon Cronyn, quand ils rencontraient un problème, Hitchcock se mettait soudain à parler de tout autre chose. Cronyn était dérouté, jusqu’à ce qu’il comprenne pourquoi le réalisateur adoptait une telle attitude. « On est trop pressé, disait Hitchcock. On ne fait rien de bon sous la pression.»

L’ÉQUIPE

En avril, un autre écrivain dramatique, le new-yorkais Arthur Laurents, fut recruté pour écrire les dialogues. Agé de 29 ans, il avait déjà travaillé à Hollywood pour réécrire The Snake Pit (La Fosse aux serpents, 1948) d’Anatole Litvak, mais il était encore peu connu à cette époque. « Hitchcock m’a retenu parce que Rope devait être tournée comme une pièce et que j’étais un auteur dramatique », devait déclarer Laurents.

En outre, ce dernier était lié avec l’acteur Farley Granger, qu’Hitchcock pressentait pour l’un des deux personnages principaux, Phillip Morgan. Pour l’autre, Brandon Shaw, il souhaitait Montgomery Clift – et le film avait originellement été conçu pour faire tourner Cary Grant dans le rôle de Rupert Cadell, le professeur et mentor des deux meurtriers. Cependant, après avoir lu le script, Grant refusa, tout comme Clift après lui, Le premier ne voulait pas risquer d’être pris pour un homosexuel parce que, tout au long de sa carrière, l’orthodoxie de ses mœurs avait été mise en doute.

Clift renonça à cause de raisons similaires. Pour lui, Hitchcock avait un bon remplaçant en la personne de John Dall, nominé aux Oscars pour son premier rôle au cinéma dans The Corn es green (Le Blé est vert, 1945), d’Irving Rapper. Le retrait de Grant déçut beaucoup Hitchcock et entraîna une brouille entre les deux hommes, car le nom de Grant avait été utilisé pour le montage financier et son refus impliquait des difficultés budgétaires.

Warner Brothers insistait pour avoir une star : ce fut James Stewart. Le cachet qu’il demandait à l’époque, environ 200 000 $, était trop lourd pour le budget du film, et l’acteur accepta d’en abandonner une partie en échange d’un intéressement aux bénéfices. Stewart semble avoir ignoré le problème de l’homosexualité du rôle. Le scénario fait des allusions  claires aux rapports homosexuels du personnage et des deux meurtriers, mais cela ne transparaît pas du tout dans son interprétation.

L’ATTRAIT D’UNE EXPÉRIENCE

Hitchcock avait vu et aimé la pièce au théâtre. Toutefois, ce qui l’attirait dans Rope n’était pas tant l’intrigue que la possibilité que lui offrait cette œuvre de tenter une expérience cinématographique. Pour lui conserver son caractère spécifiquement dramatique, il se proposait de la filmer en plans-séquences très longs, aussi longs que le permettaient les bobines de pellicule, c’est-à-dire dix minutes environ chacun. Dans ses entretiens avec François TruffautHitchcock se montre, avec le recul du temps, assez sévère à propos de ce film : il parle de Rope et de l’exploit technique qu’il représente comme d’un « truc » – qui a marché puisque le film a été un succès. Mais à l’époque, le défi technique l’intéressait.

Le réalisateur avait un autre défi à relever : Warner Brothers voulait un tournage en Technicolor. Hitchcock réalisait ici son premier film en couleurs, et il souhaitait Concevoir les décors et les costumes en conséquence, afin d’en tirer le meilleur parti possible, à la fois sur le plan cinématographique et d’un point de vue émotionnel. Il souhaitait aussi jouer sur la lumière, en l’atténuant graduellement au fur et à mesure que monterait la tension.

La pièce se déroule entièrement dans un salon et Hitchcock se sentait stimulé par cette contrainte du décor unique. L’appartement luxueux, conçu par Perry Ferguson, était cependant beaucoup plus grand que le salon de la pièce puisqu’il comprenait aussi une salle à manger, une entrée et une cuisine, avec des fenêtres donnant sur les gratte-ciel de New York (des maquettes alignées en demi-cercle, avec un arrière-plan de nuages en laine de verre suspendus à des fils). À chaque coupe, les nuages étaient déplacés et la lumière atténuée pour suggérer la tombée de la nuit. Le ciel s’obscurcissant, les lumières des maquettes de gratte-ciel devaient être allumées, de même que les enseignes au néon – dont la silhouette lumineuse d’Hitchcock, l’une de ses deux apparitions dans le film.

LES PLANS-SÉQUENCES

Une légende veut que Rope soit constituée d’un seul plan, sans aucune coupe. En fait, le film est composé de plusieurs plans-séquences, car la durée d’une bobine était très courte. Chacune durant environ 10 minutes, les 80 minutes du film auraient pu se réduire à huit ou neuf plans-séquences. Ce n’est pas le cas : il y en a onze, dont trois seulement dépassent 9 minutes de longueur. Les plans-séquences impairs finissent tous par une coupe, tandis que les plans-séquences pairs se terminent par un fondu au noir sur le dos de l’un des personnages, ou sur le couvercle du coffre qui se relève pour le dixième.

Le budget se montait à 1,5 million de dollars, ce qui était énorme pour un film à décor unique ; mais beaucoup de techniques étaient utilisées pour la première fois et l’expérimentation coûte toujours cher. Les acteurs répétèrent intensément pendant quinze jours avant que la première prise soit tournée. En même temps, Hitchcock réglait les séquences complexes et les mouvements du décor tout en entraînant son équipe.

Le 12 janvier 1948, le tournage commença. Il fallut souvent interrompre une prise parce qu’un technicien se trouvait dans le champ, qu’un acteur avait sauté une réplique ou que l’accessoiriste s’était trompé dans ce ballet complexe. Certaines des séquences les plus longues ont demandé jusqu’à quinze prises, et le réalisateur n’obtint jamais plus d’une prise réussie par jour !

Par ailleurs, certains plans nécessitèrent plusieurs prises à cause de problèmes d’éclairage, pour la partie du film qui se passe au crépuscule. Lorsqu’il vit les rushs, Hitchcock constata que les fonds qu’il espérait assombris apparaissaient rouges et orangés. Il estima nécessaire de refaire les prises avec un éclairage différent, un nouvel opérateur et un conseiller pour le Technicolor. Les acteurs devaient mémoriser de longs dialogues, Le travail était difficile pour ceux venus d’Hollywood, habitués aux scènes courtes, mais ne posait aucun problème à-ceux qui étaient habitués au théâtre, comme Sir Cedric Hardwicke, Constance Collier et John Dall. Collier et Hardwicke animèrent largement le plateau durant le tournage. « C’étaient de vrais boute-en-train », dira Farley Granger. Même James Stewart, qui avait travaillé pour le théâtre avant de bifurquer vers le cinéma dans les années 1930, se montra joyeux et décontracté, après des débuts tendus.

Malgré le caractère théâtral du décor, Hitchcock se préoccupa de détails réalistes. Les voix de la rue, par exemple, après les coups de feu tirés par Rupert à la fin du film, ont été enregistrées du sixième étage d’un immeuble, c’est-à-dire à la hauteur de l’appartement tel qu’on le voit en ouverture du film. Pour les sirènes de police, l’arrivée d’une voiture partie à deux kilomètres de là a été enregistrée depuis les grilles du studio.

ÉPILOGUE

Achevé le 21 février; le film sortit aux États-Unis en septembre 1948 sous le titre Alfred Hitchcock’s Rope (La Corde d’Alfred Hitchcock). C’était la première fois que le nom du réalisateur apparaissait dans un titre, et Hitchcock en était très fier. Les critiques furent néanmoins mitigées, et le succès public tempéré par l’action des ligues de vertu.

Le film n’a pas eu de démêlés avec la censure, mais il a été interdit dans plusieurs régions des États-Unis, ou bien projeté avec des coupures – en général la scène du meurtre. Le National Board of Review le déconseilla au moins de 21 ans. En Europe, il a été tout d’abord interdit en France et en Italie. Rope n’a pas été un triomphe, mais les producteurs sont largement rentrés dans leurs frais. Le pourcentage de Stewart lui a rapporté 300 000 $.

DISTRIBUTION

 

James Stewart (1908-1997) joue Rupert Cadell. Après avoir été pilote pendant la Seconde Guerre mondiale, Stewart souhaitait donner un nouvel élan à sa carrière. Fatigué des héros sympathiques qu’il incarnait souvent – comme dans It’s a Wonderful Life ( Vie est belle, 1946) de Frank Capra – il cherchait à l’époque des rôles plus complexes.
John Dall (1918-1971), qui interprète Brandon Shaw, s’était imposé parmi les têtes d’affiche de Broadway au début des années 1940. Il avait été nominé en 1945 pour l’Oscar du meilleur second rôle, pour sa première apparition au cinéma dans The Corn es green (Le Blé est vert). Par la suite, il s’est consacré essentiellement au théâtre et n’a joué que dans huit films dont Gun Crazy (Le Démon des armes).
Phillip Morgan est joué par Farley Granger (né en 1925). Ce dernier a fait une belle carrière sans jamais devenir une star ; il a tenu son plus grand rôle en 1951, dans Strangers on a Train 
(L’Inconnu du Nord-Express) d’Hitchcock, en interprétant le personnage de Guy Haines. Par la suite, il tourna surtout dans des westerns européens et pour la télévision.
Cedric Hardwicke (1893-1964) interprète le père de David Kentley (quatrième à partir de la droite). Ami d’Hitchcock, il a été le plus grand acteur dramatique britannique de sa génération. Installé à Hollywood après 1938, il a beaucoup tourné, jouant notamment dans Suspicion (Soupçons, 1941) d’Hitchcock.
Pour Mrs Atwater, le réalisateur fit appel à Constance Collier (1878- 1955), une actrice de théâtre âgée de 70 ans ayant déjà beaucoup joué en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Elle avait travaillé avec Hitchcock comme co-auteur (avec Ivor Novello) de la pièce qui avait inspiré un de ses films muets, Downhill (1927)

 

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