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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

En votre intime conviction de Clémentine Thiébault...

«L’histoire de la justice est bien d’abord une histoire d’hommes et de femmes concrets, comme l’attestent mille récits minuscules.»
Frédéric Chauvaud, La Chair des prétoires.
«Il faudrait également pouvoir parler des jurés.»
Jean Giono, Notes sur l’affaire Dominici.

7 jours dans la peau d'une jurée

« La loi ne pose aux jurés qu’une seule question qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : “Avez-vous une intime conviction ?” »

" Je ne sais pas s'il existe des procès exemplaires, si celui-ci en est un, mais pour tous, c'est l'instant du verdict. Pour les trois accusés, pour les avocats, les parties civiles, les juges et les jurés, le moment qui va clôturer sept jours d'un procès en appel pour meurtre en bande organisée et complicité de meurtre en bande organisée. La fin d'une tragique histoire de petits bandits, entre règlement de comptes, bêtise sordide et violence sans frein.
Trois types dans un garage, qui ont piégé leur victime avant de la tuer à mains nues. "

Participer en tant que juré à un procès d’assises, peut-on dire qu’on en rêvait ? C’est là, dans l’antre de la justice, que nous emmène la journaliste Clémentine Thiebault, en racontant son expérience par le menu. Convocation, serment, expertises, témoignages et six jours d’un procès en appel pour un meurtre sans cadavre, ce récit à l’os colle au réel. Christian, Alain son père, « pensionné par la Cotorep », et Mourad sont accusés d’avoir tendu un guet-apens à Christophe, dit « Toche », puis de l’avoir assassiné dans un garage, avant de se débarrasser du corps. Un crime sordide, en bande, lâche, sale, vrai. Sans le filtre d’aucune fiction, ce « true crime » ne dit plus rien d’autre que ce qu’il est, et inaugure le label radicalement factuel, « Les Ondes », dans la collection « La Bête noire » chez Robert Laffont.

En votre intime conviction, de Clémentine Thiebault (Robert Laffont, coll. « La Bête noire », 208 pages, 17,90 euros. Parution le 6 janvier 2022).

 

Prologue

Prologue Assises des Bouches-du-Rhône (4e section), cour d’appel d’Aix-en-Provence, un samedi soir de février 2020.

Je ne sais pas s’il existe des procès exemplaires, si celui-ci en est un, mais pour tous, c’est l’instant du verdict. Pour les trois accusés, pour les avocats, les parties civiles, les juges et les jurés, le moment qui va clôturer sept jours d’un procès en appel pour meurtre en bande organisée et complicité de meurtre en bande organisée. La fin d’une tragique histoire de petits bandits, entre règlement de comptes, bêtise sordide et violence sans frein. Trois types dans un garage, qui ont piégé leur victime avant de la tuer à mains nues. Pour laver une plaie d’honneur, sans ironie. Ils n’ont pourtant le sens ni de l’un ni de l’autre.

Quand, avec l’ensemble de la cour, je regagne la salle d’audience après l’inviolable secret des délibérés, le silence est pesant, l’ambiance a changé, franchement écrasante. Un coup d’œil vers le box permet de constater que les gardes de la pénitentiaire qui encadraient les trois accusés depuis le début ont été remplacés par des membres du GIGN. Ils sont nombreux, harnachés (gilet pare-balles et arme lourde), cagoulés, debout. Tout le monde s’est levé selon le protocole, puis plus rien ne bouge, personne ne se regarde. Pas même les accusés entre eux. Surtout pas les accusés entre eux. Christian, le chef dérisoire de cette petite bande, père d’Alain, immobile à sa gauche, un champion convulsif de MMA1. Mourad, lui, en bout de box, celui qui a parlé et a peur, semble vouloir se faire oublier. Leur attitude figée dans l’attente laisse affleurer les tensions qui disent leurs divergences. Ils ne racontent pas la même histoire, ni ne réclament la même issue. Christian et Alain nient tout en bloc, depuis le début, et demandent l’acquittement. Mourad a avoué, chargé et ne peut, lui, qu’espérer la requalification de son crime en complicité.

Dans les rangs des avocats de la défense, deux ont déserté sans attendre l’issue. Le public (une vingtaine de personnes, essentiellement famille et ami.es des accusés) a été repoussé au fond de la salle, contenu derrière un cordon de policiers.
Chacun s’assied, faussement impassible, sauf le GIGN qui reste debout et de marbre. Ignorer la tension de l’instant est impossible. Le président prend la parole, récapitule avec calme les questions posées à la cour et égrène avec le même calme les réponses qui forment le verdict. Les premiers remous se font sentir dans l’assistance, les premiers cris de protestation fusent. La majorité (qualifiée, et même requalifiée pour certains) ayant penché vers la culpabilité. Puis vient l’annonce des peines, lourdes. Forcément, lourdes. Alain, qui était resté impassible à l’annonce de la peine infligée à son père, explose d’une colère difficilement contenue depuis sept jours à l’annonce de la sienne, d’une rage folle, passe sur Christian, se rue sur Mourad, celui de ses complices qui a parlé. La violence il connaît. Il a avoué avoir esquinté une voiture – celle de la victime justement – et son pare-brise de cette façon (il a insisté sur ce fait), on dirait qu’il entend le prouver. Si deux des trois accusés sont facilement évacués du box, les cinq gendarmes du GIGN qui s’agglutinent sur le Costaud ne parviennent pas à le maîtriser. Déchaîné, le champion de MMA est hors de contrôle. Les mouvements de la garde, entravés par les gilets pare-balles et l’étroitesse du box, résonnent de violence confuse dans ce qui prend des airs d’aquarium. Ça secoue. Dans la salle aussi. Le public hue, hurle, malmène le cordon de police, tente de prendre part à la curée. Dans le box, les coups résonnent sur les vitres qui ne laissent percevoir qu’un amalgame de bleu marine aux mouvements épileptiques. Jusqu’à ce qu’une des parois en verre pourtant Securit cède sous la pression et que le Costaud puisse donner sa pleine mesure en projetant des gendarmes dans la salle. L’un allant s’écraser sur le pupitre des plaidoiries qui explose sous le choc. Si la scène n’était pas si hallucinante de violence débridée, on pourrait penser à une bagarre dans un Astérix. C’est à cet instant que la cour livide est évacuée en catastrophe, cloîtrée dans la chambre des délibérés, où parviennent encore les échos de la fureur en cours, entre cris, hurlements, bousculades et mouvements de panique. Nous ne pouvons que nous regarder, hagards, attendre en tendant l’oreille, les jambes en coton pour beaucoup d’entre nous, se demandant où on a atterri, dans quelle folie, dans quelle galère. Nous, les jurés de ce procès.

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