Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

La lettre du commandant Dellaplane (Philippe Noiret) à Irène de Courtil (Sabine Azéma)

C'est dans "La vie et rien d'autre" de Bertrand Tavernier (1989).

 

Bédarieux, le 6 janvier 1922

 

Irène, très chère Irène,

Votre lettre m'a donné une très grande joie parce qu'elle m'apportait un grand espoir. Enfin vous ! Enfin quelques mots me rendaient votre voix, votre regard, l'émouvante silhouette de mes jours et de mes nuits de solitude ! Dieu veille que mon message vous atteigne à New-York avant ce grand départ que vous m'annoncez pour le Wisconsin.

J'ai eu du mal à le découvrir sur mon globe. Comment vous y retrouverais-je si vous aviez l'imprudence d'aller vous y perdre ?

"Nouvelle vie" dites-vous, "nouvelles têtes, nouveau départ". Qu'avez-vous besoin de toute cette nouveauté, vous qui renouvelez si bien toutes choses et notamment le vieux coeur des vieux hommes ?

Vous n'avez compris ni mon trouble ni mon silence. Ai-je compris moi-même ? J'étais, je suis encore tremblant de mon immense tendresse, et votre véhémence, votre flamme me paralysaient... nuit effrayante dans mon souvenir. Il suffisait que je murmure les trois mots dont vous me lanciez le défi et je me suis tu. Aujourd'hui, je les crie cent fois par jour, de toutes les forces qui me restent, souhaitant qu'ils passent la formidable étendue qui nous sépare : "Je vous aime, oui je vous aime, à jamais".

Cet aveu vous donnera peut-être à rire après tant de mois de séparation. Il me soulage. Il m'assure que je suis vivant, en paix avec moi-même. Le reste n'est que broutilles.

J'ai pris de grandes résolutions. Par exemple celle de me séparer de l'armée, laquelle d'ailleurs n'a fait aucune difficulté pour me libérer. Et comme je n'ai de goût ni pour les villes, ni pour les cravates, j'ai regagné la terre de mon enfance où je dispose d'une maison de famille entourée de quelques hectares de rocaille et de vignoble. Je vous offre, sans trop d'illusion, cette royauté dérisoire.

Il est dix heures du soir. L'air sent bon le crottin, la menthe et le caramel parce que j'ai fait tomber du sucre sur ma cuisinière. Demain matin j'irai voir si les sangliers de mon petit bois sont partis pour l'Espagne et je commencerai d'attendre, de vous attendre. J'attends déjà. Je n'attendrai pas plus de cent ans. Mettons cent et un ans.

A vous, ma vie...

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article