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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

A ma fille de mai...

Elle va avoir 30 ans en mai prochain….

Elle devait être à nous, rien qu’à nous…

Elle devait atterrir rue de Braque Paris 3e comme un joli petit paquet de la cigogne…

Elle devait être à nous…

Tout a commencé après la première visite au généticien (lire viols)…

Je devais suivre une psychothérapie (car selon lui, trop coincée par mon éducation religieuse – quand tu vois les familles nombreuses des Cathos !)

Mais en même temps il nous avait encouragés à faire les démarches de l’adoption.

Car soyons clairs : pour l’adoption il faut être deux. Et en 1982 il fallait des couples mariés, très mariés.

Il avait même précisé, le généticien fou, que d’adopter pouvait déclencher une grossesse et je n’étais pas contre.

Alors nous nous sommes lancés…

Et nous avons planché sérieusement sur notre projet.

Mon époux voulait une petite fille et je voulais un bébé. Qui n’aurait rien vécu de traumatisant avant nous.

La DASS nous a tout de suite prévenus que le bébé ne serait pas blanc. Mais noir ou maghrébin. Nous avons opté pour une petite fille maghrébine.

Avec mon type méridional, l’enfant ne serait pas égaré !

Et puis je me souviens de nos fous rires quand nous avons évoqué l’image de belle maman emmenant sa dernière petite fille à la messe dominicale de la Chapelle Royale à Dreux…

Surtout que chez les Langellier, on est blond de père en filles !

Je faisais déjà tâche, moi la brunette avec mes cheveux tout frisés, alors…

Alors nous nous sommes lancés…

Et nous avons commencé à gravir marche par marche l’escalade douloureuse des parents adoptifs.

La DASS ne nous a pas ménagés.

Visite de l’appartement d’abord.

Aucun problème, le nôtre était beau, clair, sain et l’enfant aurait sa chambre au deuxième niveau.

Au niveau de notre couple ensuite…

Aucun problème, nous étions stables et il était prévu que j’arrêterais de travailler !

Au niveau de nos finances ensuite…

Il nous a fallu ouvrir nos comptes en banque !

Au niveau des témoignages humains enfin.

Nous devions présenter chacun deux amis : un ami personnel et un collègue de travail.

Je me souviens avoir demandé à Claude de Kempfi pour l’amie personnelle et à Maryse Crispi pour la collègue de L’Express.

Je ne me souviens plus des amis de mon Langellier…

Puis…

Puis la DASS nous a soumis à un feu de questions toutes plus embarrassantes les unes que les autres…

Celle qui revenait régulièrement : Serais-je capable d’instinct maternel pour un enfant que je n’aurais pas porté…

Là, ils ont poussé le bouchon un peu trop loin et je me souviens de ma colère lorsqu’est tombée la question suivante :

« Vous nous dites que vous avez l’instinct maternel, alors dans ce cas pourquoi ne pas adopter un enfant handicapé, nous en avons de nombreux à vous présenter…

J’étais à bout… De tout…

Alors là, je me suis rebellée :

« Je ne sais déjà pas comment je vais réagir avec ce bébé alors on ne multiplie pas les difficultés, on fait simple ! »

Curieusement cela leur a plu !

Et au bout d’une bonne année nous avons été agréés « couple adoptant ».

Je les vois toujours (ils étaient deux enquêteurs de la DASS) nous dire cela sur notre canapé de salon.

Nous étions si heureux…

Nous avions décidé de la prénommer « Leïla ».

Parce que ce nom ne trahirait pas ses racines…

Parce que « Leïla Langellier » cela sonnait haut et beau !

J’ai commencé à regarder les magasins pour enfants en lousdé…

Comment si ce bonheur ne m’était pas encore attribué…

Et j’ai eu bien raison…

Car…

Quand la maladie est arrivée, nous n’avons plus pensé au bébé…

Même si l’équipe médicale de Bobigny m’avait sérieusement engagée à adopter au plus vite.

Je ne pouvais pas tout gérer.

Alors…

Alors quand la catastrophe est survenue ce foutu 14 mars, j’ai pensé à tout sauf au bébé…

J’avais été, selon mes consoeurs du Grand Hebdomadaire « un courageux petit soldat » !

Elles ne m’ont jamais au grand jamais vu pleurer pendant ces six mois terribles.

Et puis voilà qu’en mai…

Appel téléphonique…

« Madame Langellier, j’ai pour vous une grande nouvelle : la petite fille vient d'arriver ! »

J’étais sonnée comme un mauvais boxeur sur un ring.

Il fallait que je leur dise rapidement l’impensable, notre couple adoptant ne se résumait plus qu’à une seule personne : moi-même.

Langellier était parti ailleurs laissant ma vie éparpillée au sol…

L’assistante sociale a encaissé.

Je me suis excusée de ne pas lui avoir envoyé un faire part de deuil.

Il y a eu un blanc…

Puis elle a décoché la phrase qui tue : « Madame Langellier, même seule nous pouvons vous la confier la petite fille ! »

Avec un laps de temps pour ma réponse.

J’ai répondu immédiatement.

Je ne pouvais pas…

Je ne pouvais la prendre alors que je n’avais ni frère ni sœur… Pour me suppléer si je venais à disparaître...

Je ne pouvais pas la prendre parce que mes parents étaient vieillissants…

Je n’avais pas le droit de m’embarquer seule dans une aventure que nous avions prévue à deux…

Je savais, j’avais compris que l’on pouvait mourir en 6 mois…

Je ne pouvais pas…

Je ne pouvais pas reporter sur cette enfant tout l’amour que je venais de perdre. Ce serait trop lourd pour elle !

On n’a pas le droit d’emmener une enfant dans une telle galère…

J’ai raccroché…

Et je me suis effondrée !

Fini le courageux petit soldat.

J’étais au plus mal…

Et je n’avais pas honte de le montrer…

Je n’avais pas mis de mots sur ce drame personnel jusqu’à ce que, l’été 2004, je me retrouve hospitalière à Lourdes.

Il faisait une chaleur terrible en cette fin août.

Au foyer, je découvrais ma compagne de chambre qui était une conteuse de théâtre…

Aux rituelles questions : « Tu es mariée, tu as des enfants ? »

J’ai répondu mécaniquement « Je suis veuve et je n’ai pas pu adopter ma petite fille ! »

L’hospitalière est restée bouche bée et m’a décoché : « Autrement dit en trois mois tu as subi deux deuils : celui de ton mari puis celui de ta fille ! »

Le souffle m’a manqué : j’étais knock out !

Deux deuils..

Et oui, elle avait bien raison ma compagne de chambre : j’avais subi deux deuils en trois mois : celui de la perte de mon mari et celui de la perte de mon enfant. 

Me restait la prière…

Et puis j’étais à Lourdes… Alors…

J’ai fait comme j’ai pu en me concentrant sur les malades que je devais aider.

Mais bien sûr…

Bien sûr que j’y pense à cette petite fille…

A-t-elle trouvé une bonne famille ?

A-t-elle pu suivre des études…

A-t-elle aimé à son tour ?

Et enfin la question de notre époque : « En retrouvant ses racines, ne s’est-elle pas radicalisée ? »

J’y pense…

Surtout qu’en mai prochain, Leïla aura 30 ans…

Trente ans…

Alors…

Liliane Langellier

A ma fille de mai...
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D
Et puis aujurd'hui c'est mon anniversaire.<br /> Bises<br /> David
Répondre
L
Je pense que vous êtes "le" David qui venait rue de Braque avec Mireille, non ?
D
LARMES.<br /> Tu en aurais parlé à l'époque, elle aurait eu parrain (moi) et marraine.<br /> Quand j'ai attendu mon 1er enfant, si c'était une fille, elle se serait appelée Leila (hurlement des futurs grands-parents). J'ai eu 2 fils.<br /> Tu m'auras reconnu j'espère.<br /> David
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