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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.500 articles.

Ma petite France. Pierre Péan.

Bien des années plus tard, j'ai eu l'envie irrésistible d'en savoir plus sur ce qui s'était réellement passé à Sablé , où j'ai vécu, à ma façon, quatre ans d'Occupation et presque autant de Libération.
Pierre Péan.

Qui ne connaît pas le grand journaliste Pierre Péan...

Qui nous a quittés le 25 juillet 2019.

Péan, c'est l'auteur d'une quarantaine de livres.

Péan, c'est le grand journaliste d'enquêtes...

Après l'A.F.P., L'Express, Le Nouvel Economiste, il va piger pour Libération, Actuel, Le Canard enchaîné.

Oui, c'est le grand journaliste...

Qui a révélé l'affaire des diamants de Bokassa, publiée dans Le Canard enchaîné en 1979.

Qui contribuera largement à la non-ré-élection de Valery Giscard d'Estaing.

Péan, c'est le livre sur Mitterand "Une jeunesse française (1934-1947)" publié en 1994 chez Fayard.

Qui révélait la jeunesse collaborationniste du Président et qui fut un énorme succès en librairie.

Péan c'est encore "La face cachée du Monde" écrit avec Philippe Cohen et publié aux Mille et Une Nuits en 2003.

Et qui fit grincer bien des dents dans le petit monde de la presse écrite.

Péan, c'est surtout  l'auteur de "Vies et morts de Jean Moulin" publié chez Fayard en 1998.

L'ouvrage référence qui trône sur les bibliothèques de tous les bons historiens.

Alors...

Quand Péan décide de nous raconter son enfance à Sablé-sur-Sarthe...

En mars 2017...

On est toutes ouïes.

D'autant plus que tout cela cause de périodes délicates, très délicates : l'Exode, l'Occupation et la Libération...

Le livre, sous-titré "Chronique d'une ville ordinaire sous l'Occupation", est divisé en deux parties:

- Un bout de France occupée, et,

- les dépouilles maudites.

Le point de départ du livre, c'est "l'affaire Papillon"...

Quand Pierre Péan, minot de 6 ans, entend, le 8 août 1944, jour de la Libération de Sablé-sur-Sarthe, les balles qui assassinent "Papillon"...

Papillon/Roger Hidoux, interprète de la Luftwaffe mais aussi lié à l'armée secrète britannique...

Eugène Péan à son salon de coiffure (à droite) en 1941.

 

Pierre Péan est né le 5 Mars 1938.

A Sablé-sur-Sarthe.

En Sarthe.

A 60 kilomètres du Mans.

Une petite ville de 5.000 habitants en 1939/1945.

Son père, Eugène Péan, est coiffeur au faubourg, rue Saint-Nicolas.

"Le figaro du coin, c'est mon père. Il est aussi barbier".

Le livre débute avec la déclaration de guerre du 3 septembre 1939.

Où l'auteur nous décrit le départ du maire de Sablé, Raphaël Elizé, le premier maire noir de France, Martiniquais et S.F.I.O. :

"L'un d'eux attire tous les regards. Capitaine vétérinaire de réserve, il est mobilisé malgré ses quarante-huit ans et sa fonction de maire. Il apparaît, encore et toujours, comme depuis dix ans, comme le primus inter pares. Avec son mètre quatre-vingt et ses cheveux blancs, on ne voit que lui. En toutes circonstances, il est élégant, habillé avec le plus grand soin, cravate, pochette blanche et boutons de manchettes, et arbore fièrement un petit ruban rouge sur le revers de sa veste."

Un maire qui est tellement aimé dans cette petite ville conservatrice que les petites filles veulent des poupées noires.

Eugène Péan aussi est mobilisé :

"Il a appris le 31 août qu'il était mobilisé. Le jour même, il a brûlé un cierge à la basilique Notre-Dame-du-Chêne, un petit centre de pèlerinage situé à quelques kilomètres de Sablé."

Arrivent alors les premiers réfugiés avec notamment les familles du personnel de l'usine Grandry de Nouzonville (Ardennes).

Dans ce petit coin de Sarthe, comme dans toute la France paysanne, ce sont les femmes qui prennent en charge la direction du foyer.

L'auteur nous parle aussi d'un personnage peu commun : l'Américaine.

Justine Ward, millionnaire originaire du New Jersey, a découvert le chant grégorien via un jésuite musicologue new-yorkais.

Et elle a tout de suite voulu en savoir plus.

Ce qui l'a amenée à Solesmes.

La grande abbaye bénédictine.

Qui se trouve être tout près de Sablé (environ 3 km).

Et dont elle deviendra très rapidement oblate.

Elle vit rue Léon-Legludic avec une autre oblate séculière Agnès Lebreton qui lui sert de dame de compagnie.

Elle va mettre son temps et sa fortune à secourir les réfugiés.

En 1926, arrive aussi à Solesmes, Pierre Reverdy. Le poète, ex-amant de Coco Chanel, intime d'Apollinaire, Aragon, Picasso, etc...

Qui devient aussi oblat de Saint-Benoît.

Quand on laisse un peu l'abbaye de côté...

On se retrouve au bordel.

La maison du 20, rue de la Chartrie : "tenue par Marie Méry, soixante-deux ans, secondée par Eugène Grangier, vingt-huit ans, qu'elle présente comme son fils et qui a l'apparence du souteneur que l'on voit dans les films de l'époque, portant notamment d'étranges chaussures de couleur qui intriguent tant ceux qui le croisent."

A Sablé, pour aller au bordel, on dit qu'"On va à la Méry !"

Quand les Allemands arrivent à Sablé, le mercredi 19 juin 1940,...

C'est comme dans tous les "villages français"...

A la première surprise des Saboliens succède la haine ou l'amour, selon.

Très vite certains se mettent à écouter Radio Londres et ses messages.

Les luttes entre la droite catho et la franc-maçonnerie laïque s'accentuent.

Mais peu à peu tout change...

Il y a des tickets de rationnement pour tout : la nourriture, les vêtements, etc...

Les journaux locaux vont tour à tour fermer pour laisser place le 24 avril 1942 au seul et unique Journal de Sablé.

Collaborationniste.

Dont les éditos sont signés AVL, c'est-à-dire par un certain Auguste Vilain, proche, très proche de Laval et qui a la bénédiction de la Propagandastaffel.

L'Américaine, elle, est retournée dans son pays, dès le 6 mai 1941. Avec l'entrée en guerre imminente des Etats-Unis.

Très rapidement la population se divise entre pro et anti Maréchal.

Alors que les religieuses du Prévent de Précigné cachent des enfants juifs...

La municipalité de Sablé décide de donner le nom du Maréchal à la place de de la Mairie.

L'abbaye de Solesmes va plus loin et prête même allégeance à Philippe Pétain par l'intermédiaire de son père abbé Dom Cozien.

Et les moines chantent pour la Saint-Philippe sur un air de guerre des soldats de Charles le Téméraire :

"Réveillez-vous Picards,

Picards et Bourguignons, 

Apprenez la manière d'avoir de bons bâtons,

Car voici le printemps et aussi la saison,

Pour aller à la guerre donner des horions."

(NDLR Ne jamais oublier que de 1981 à 1988, les moines de Solesmes ont hébergé à plusieurs reprises Paul Touvier.)

Ne jamais oublier que le seul journal que les moines lisaient, bien avant la guerre, c'était L'Action Française.

Qu'ils ont fait pénétrer en fraude quand elle a été interdite à la vente.

Pierre Reverdy, quand il le découvrira, ne leur pardonnera pas.

L'évêque aussi est maréchaliste.

Mgr Georges Grente, l'évêque du Mans, surnommé "Georgette Pétensoie" s'il est nationaliste, antimaçon et antisémite, aime aussi intriguer et n'a pas peur de prendre des positions paradoxales.

"Il est plutôt sur la ligne du Sillon de Marc Sangnier en matière sociale et soutient des grèves".

Il sauvera, lui aussi, des enfants juifs.

Et pour finir, le curé Renard, un tradi tourné vers Pétain et la dévotion à Jeanne dArc.

Le petit Péan, lui, dès le printemps  1941, va à l'école la plus proche du salon de coiffure, "l'Asile", c'est-à-dire l'école Saint-Vincent, dirigée par Soeur Marie-Josèphe..

(NDLR Péan fera tout son cursus dans des établissements catholiques (Saint-Joseph de Sablé, Saint-Julien d'Angers et l'université catholique de l'Ouest)).

Il y a aussi des Juifs à Sablé.

Comme la comtesse Elisabeth Cahen d'Anvers..

Mais aussi des familles plus simples avec des enfants.

Qui ont préféré quitter la capitale où la chasse aux Juifs bat son plein.

Les mesures successives anti-juives les atteindront de plein fouet.

A Sablé, il y a aussi une gendarmerie.

Avec de bons et de mauvais gars, comme partout.

Surtout après la rafle parisienne de juillet 1942.

Et, comme partout, il y a des corbeaux...

Oui, des balances, des dénonciateurs...

Qui seraient plutôt là une dénonciatrice : Jeanne Lebossé.

Qui, non seulement répète ce qu'elle entend chez l'épicier, mais encore invente :

"Ce matin, vers onze heures, alors que je me trouvais à l'épicerie Giraud, parmi les nombreuses personnes attendant dans la boutique, j'ai entendu insulter la personne du chef de l'Etat, le maréchal Pétain ainsi que le président Laval. La personne qui proférait ces injures...."

Il y a aussi des cafés...

Avec de blonds Allemands en terrasse et de jolies Saboliennes qui leur courent après.

Et aussi un comte Maximilien von Rennenberg (la noblesse n'excuse pas tout) qui chasse le gros gibier dans le domaine de Pescheseul à Avoise...

Et ne manque pas d'y inviter des Boches.

……………………….

Que se passera-t-il lors de l'établissement du S.T.O. ?

Et du durcissement de l'attitude des forces d'occupation ?

Comment tout ce petit monde va-t-il vivre le 6 juin 1944 ???

Et survivre aux lourds bombardements qui l'ont précédé ?

Comment se déroulera la libération de Sablé ?

Qui sera puni ?

Qui punira ?

Il ne vous reste plus qu'à vous plonger dans le livre de Pierre Péan.

Un beau résumé de ce qu'a été la France pendant la guerre...

Vue du salon de coiffure de ses parents.

Rien de noir, rien de blanc, mais surtout du gris dans toutes ses nuances et des éclaircissements que l'on n'attendait pas...

Pierre Péan - en plus des nombreuses recherches qu'il a su effectuer - a trempé là sa plume dans l'encre du coeur.

Celle qui ne s'efface jamais.

Et que le temps ne peut altérer.

 

Liliane Langellier

 

"Ma petite France" de Pierre Péan.

  • Broché : 320 pages
  • Editeur : Albin Michel (29 mars 2017)
  • Prix : 15 €.
  •  

 

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