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27 Février 2024
Je ne reviendrai plus dans le quartier des Halles.
Mes diables sont partis, pour Dieu sait quel enfer.
(...) Malgré moi j’ai le coeur éclaté de tendresse,
Saint-Eustache a gagné, les diables sont partis.
Bernard Dimey
27 Février 1969.
Cinquante ans déjà !
Les Halles de Paris déménagent pour Rungis.
C'est "le déménagement du siècle".
"30.000 personnes, 1.000 entreprises de gros, 10.000 km2 de matériel, 5.000 tonnes de marchandises et 1.500 camions. Pour le seul marché aux fleurs ce sont environ 10.000 colis de fleurs et plantes qui prennent la route le 27 février au soir."
Les Halles...
C'est toute mon enfance….
Celles qui n'avaient pas changé depuis Emile Zola et son "Ventre de Paris"....
Le troisième roman des Rougon-Macquart...
Avec sa charcutière bien en chair Lisa Macquart devenu Lisa Quenu.
Et son beau-frère Florent, utopiste maigrichon, échappé du bagne de Guyane, qui n'a faim que de justice.
"Florent se heurtait à mille obstacles, à des porteurs qui se chargeaient, à des marchandes qui discutaient de leurs voix rudes ; il glissait sur le lit épais d'épluchures et de trognons qui couvrait la chaussée, il étouffait dans l'odeur puissante des feuilles écrasées."
Et oui, le fameux combat symbolique du gras contre le maigre.
Les Halles...
L'odeur doucereuse et vaguement écoeurante de certains soirs de juillet.
La vue des rats qui attaquaient les carcasses sanguinolentes des bêtes.
200.000 rongeurs qui menacèrent d'envahir Paris quand les travaux commencèrent.
Lire "Mémoire d'un rat des halles" de Michel Dansel.
Les Halles...
Trente-six métiers, trente-six misères...
J'y ai connu les diables…
Ces hommes "les portefaix" qui trainaient derrière eux d'immenses charrettes à bras remplies de cageots divers.
"La musique des Halles, c'est le fracas de tous les diables dans l'opéra de tous les jours." Robert Doisneau
Les forts des Halles…
L'aristocratie des Halles.
En 1968, ils sont encore 314.
Ces hommes que l'on reconnaissait à leur "coltin", un vaste chapeau caractéristique en cuir jaune à très larges bords et munis d'une calotte de plomb à l'intérieur qui leur permettait de supporter les lourdes charges "coltinées" sur la tête et qui la protégeait, ainsi que le cou et les épaules.
Les forts des halles portaient au revers de leur blouse une plaque rectangulaire - d'argent ou de cuivre - aux armes de Paris, signalant leur titre de "Fort" et gravée à leur nom de famille.
C'est eux qui portaient le muguet à l'Elysée chaque 1er mai.
Une véritable corporation...
"A l'époque moderne, pour en faire partie, le candidat devait remplir ces conditions :
- très robustes physiquement, il fallait passer avec succès une fameuse épreuve consistant à porter sur une distance de 60 mètres une charge de 200 kilos,
- posséder un maximum de culture, sanctionné par un examen du niveau du certificat d'études,
- mesurer une taille d'au moins 1,67 mètres,
- être de nationalité française,
- être libéré des obligations militaires,
- posséder un casier judiciaire vierge."
Les placeuses
Ces femmes qui portaient sur leurs tabliers de mercières des machines / bourses compliquées d'où elles vous sortaient un petit ticket pour garder votre véhicule.
Et que vous deviez impérativement placer sur votre parebrise.
Un genre de parking au grand air.
A l'époque, un fleuriste qui voulait être en place aux Halles se devait d'arriver à 13 heures pour attendre la cloche (qui leur permettrait de rentrer) à 17 heures.
A 18 h 30, la cloche sonnait de nouveau pour signifier la fin du marché et permettre aux particuliers de s'approvisionner à leur tour en fleurs.
C'était l'occasion de croiser des bourgeoises du XVIe et des étudiants fauchés.
La vraie mixité sociale.
Les mandataires
Les riches.
Très riches.
Ceux qui tenaient le haut du pavé.
Et qui assuraient le ravitaillement.
Le lien unique entre les producteurs et les commerçants.
Celui dont dépendaient les petits.
Avec lesquels il fallait marchander.
Et qui acceptaient ou non de vous faire crédit.
C'est ainsi que Monceau Fleurs fit fortune.
En payant son muguet du premier Mai à Noël.
Ah la trésorerie des petits commerçants !
Les Halles...
En attendant la cloche...
Restait à taper le carton dans les nombreux cafés alentour.
Celui où mon père et ses potes se réfugiaient s'appelait "Le manteau bleu".
Je n'ai jamais retrouvé son adresse.
Je revois encore la sciure répandue sur le carrelage.
Les gens qui s'interpellaient de tables en tables.
La fille du patron qui, faute de manquer de soleil, avait mauvaise santé.
Les bocks qui succédaient aux bocks.
Les engueulades pour les tricheries à la belotte.
Sport national de ces commerçants en attente de l'heure d'entrer au marché.
Les Halles...
Les filles.
Celles qui tapinaient près du Soleil d'Or, rue de Turbigo.
Celles de la rue Saint Denis.
Ces "filles de joie" qui prospèrent surtout du côté Est des Halles.
C'est "Irma la douce" de Billy Wilder avec Shirley Mac Laine (1963).
C'est là que Monsieur Roger, un grand ami de mon père, tenait hôtel avec filles.
Des tentations quotidiennes quand la chair démangeait son homme.
Qui passaient leurs envies dans ces "hôtels aux milles secousses".
Les filles qui allaient prier à Saint-Eustache.
Les Halles...
Les Halles et son église
"Cette cathédrale de la boucherie a une architecture de charcutage. Rafistolée, bricolée. Façade néo-classique, contreforts gothiques, lanterne Viollet-le-Duc et baromètre bloqué sur variable. Comme sa facture improbable. Pourtant elle est chic, ma paroisse. Louis XIV y fut baptisé. Molière y eut droit à des obsèques de nuit, sur ordre du Roi, avant d'être enterré en douce aux flambeaux. Colbert y possède son tombeau, à gauche du cœur. Deux anges, depuis, ceux des côtés, s'en sont envolés ; à l'occasion d'une révolution dit-on. On découvre avec peine, un Rubens plutôt crouteux, dans une chapelle latérale. Il n'est pas très bon, aussi on l'éclaire mal." Jean-Pierre Dufreigne.
Les Halles...
Où la sainte patronne des filles était Sainte Rita.
Cachée au détour d'un pilier du vaisseau Saint-Eustache.
Sainte Rita de Gascia, la sainte des causes désespérées.
La sainte de l'impossible.
C'est là que mon père donnait rendez-vous à sa maîtresse, Léone, une superbe rousse fleuriste de l'avenue de Versailles.
"Sainte Rita, je suis accablée et je me tourne vers vous, avec confiance, dans l'espérance d'être exaucé, puisque vous êtes la "Sainte des impossibles"."
Les Halles...
Et ses 800 bistrots ou restaurants.
C'est Jean Gabin, le restaurateur débonnaire de la rue Berger dans "Voici le temps des assassins" de Julien Duvivier (1956).
Les Halles et sa soupe à l'oignon dégustée partout et n'importe où.
Ses classieux qui côtoient les bouchers aux tabliers ensanglantés.
Ses dîners tardifs "Au pied de cochon"...
Au 6, de la rue Coquillière.
Où mon père m'avait emmenée, un certain fin octobre 1965, pour me faire passer le goût de la cuisine anglaise que je venais, selon lui, de subir pendant deux mois.
"La soupe à l'oignon basique - avec du jus de bœuf, du bouillon, des oignons et du pain, était un plat populaire qui existait depuis longtemps", explique José Dufour, directeur du Pied de Cochon.
Les Halles...
Et ce déménagement crève-coeur pour les vastes allées aseptisées du Marché de Rungis.
Où même la brasserie "Les Maraîchers" ne remplacera jamais le charme unique de ses bistrots.
Où les commerçants erreront longtemps avant de retrouver leurs marques.
Où sur les dix pavillons Baltard un seul, le numéro 8, sera reconstruit à Nogent-sur-Marne.
Et un autre traficoté à Yokohama, au Japon.
Les Halles...
Il faudra 10 ans de travaux pour aboutir à un certain Forum.
Où se pressèrent 190 enseignes sur 4 niveaux.
Avec sa propre station R.E.R.
Forum qui fut, à son tour, rénové.
Mais ça c'est une toute autre histoire.
Liliane Langellier
"Je ne reviendrai plus dans le quartier des Halles.
Mes diables sont partis, pour Dieu sait quel enfer…
Les touristes ont marché sur les derniers pétales
De nos derniers bouquets, on ne peut rien y faire.
Je ne suis pas client pour les pèlerinages.
Bien le bonjour chez vous ! Je ne reviendrai plus,
J’emporte mes souv’nirs avec le paysage,
Le passé dans ma poche et mon mouchoir dessus.
Lèvres couleur de sang et du velours aux chasses,
La belle sans merci fumaille en rêvassant.
Au pas lent des années j’étais celui qui passe,
Mais de Sainte Apolline au Squar’ des Innocents
On ne me verra plus jamais traîner mes guêtres
Au gré des muscadets de quatre heur’s du matin
Avec mon cinéma tout vivant dans ma tête
Et l’étincelle froide au regard des tapins.
J’allais déambuler… je croisais des fantômes,
Tire-laine en ribote ou pendus décrochés,
Et ça tourbillonnait autour des jolies mômes
Maculées de sang frais par les garçons bouchers.
Les camions de lilas s’ouvraient en avalanches
Et tout autour de moi l’air sentait le printemps.
En des temps très anciens, Saint-Eustache était blanche.
Là-bas j’étais chez moi, bien peinard, et pourtant
On ne me verra plus dans le quartier des Halles,
Ce qui peut s’y passer ne m’intéresse plus…
Les temps sont accomplis, à nous de fair’ la malle,
Je ne suis pas client pour les regrets non plus…
Adieu mes fleurs de sang, mes panthères de jeunesse,
Je vais aller traîner sur les quais de Bercy.
Malgré moi j’ai le coeur éclaté de tendresse,
Saint-Eustache a gagné, les diables sont partis."
Bernard Dimey. Le quartier des Halles (in Je ne dirai pas tout).
Lire :
- "Le ventre de Paris" d'Emile Zola.
- "Paris Les Halles" de Robert Doisneau avec Vladimir Vasak (auteur) et préfacé par Bertrand Delanoë.
Chez Flammarion.
de Parimagine.
Le dernier printemps (1968) des Halles de Paris.
Zola, Le Ventre de Paris, extraits...
« La grande voix des Halles grondait plus haut ; par instants, des volées de cloche, dans un pavillon éloigné, coupaient cette clameur roulante et montante. Ils entrèrent sous une des rues couvertes, entre le pavillon de la marée et le pavillon de la volaille. Florent levait les yeux, regardait la haute voûte, dont les boiseries intérieures luisaient, entre les dentelles noires des charpentes de fonte. Quand il déboucha dans la grande rue du milieu, il songea à quelque ville étrange, avec ses quartiers distincts, ses faubourgs, ses villages, ses promenades et ses routes, ses places et ses carrefours, mise tout entière sous un hangar, un jour de pluie, par quelque caprice gigantesque. L’ombre, sommeillant dans les creux des toitures, multipliait la forêt des piliers, élargissait à l’infini les nervures délicates, les galeries découpées, les 44 persiennes transparentes ; et c’était, au-dessus de la ville, jusqu’au fond des ténèbres, toute une végétation, toute une floraison, monstrueux épanouissement de métal, dont les tiges qui montaient en fusée, les branches qui se tordaient et se nouaient, couvraient un monde avec les légèretés de feuillage d’une futaie séculaire. Des quartiers dormaient encore, clos de leurs grilles. Les pavillons du beurre et de la volaille alignaient leurs petites boutiques treillagées, allongeaient leurs ruelles désertes sous les files des becs de gaz. Le pavillon de la marée venait d’être ouvert ; des femmes traversaient les rangées de pierres blanches, tachées de l’ombre des paniers et des linges oubliés. Aux gros légumes, aux fleurs et aux fruits, le vacarme allait grandissant. De proche en proche, le réveil gagnait la ville, du quartier populeux où les choux s’entassent dès quatre heures du matin, au quartier paresseux et riche qui n’accroche des poulardes et des faisans à ses maisons que vers les huit heures. »
"Mais Claude était monté debout sur le banc, d’enthousiasme. Il força son compagnon à admirer le jour se levant sur les légumes. C’était une mer. Elle s’étendait de la pointe Saint-Eustache à la rue des Halles, entre les deux groupes de pavillons. Et, aux deux bouts, dans les deux carrefours, le flot grandissait encore, les légumes submergeaient les pavés. Le jour se levait lentement, d’un gris très doux, lavant toutes choses d’une teinte claire d’aquarelle. Ces tas moutonnants comme des flots pressés, ce fleuve de verdure qui semblait couler dans l’encaissement de la chaussée, pareil à la débâcle des pluies d’automne, prenaient des ombres délicates et perlées, des violets attendris, des roses teintés de lait, des verts noyés dans des jaunes, toutes les pâleurs qui font du ciel une soie changeante au lever du soleil ; et, à mesure que l’incendie du matin montait en jets de flammes au fond de la rue Rambuteau, les légumes s’éveillaient davantage, sortaient du grand bleuissement traînant à terre. Les salades, les laitues, les scaroles, les chicorées, ouvertes et grasses encore de terreau, montraient leurs cœurs éclatants ; les paquets d’épinards, les paquets d’oseille, les bouquets d’artichauts, les entassements de haricots et de pois, les empilements de romaines, liées d’un brin de paille, chantaient toute la gamme du vert, de la laque verte des cosses au gros vert des feuilles ; gamme soutenue qui allait en se mourant, jusqu’aux panachures des pieds de céleris et des bottes de poireaux. Mais les notes aiguës, ce qui chantait plus haut, c’étaient toujours les taches vives des carottes, les taches pures des navets, semées en quantité prodigieuse le long du marché, l’éclairant du bariolage de leurs deux couleurs. Au carrefour de la rue des Halles, les choux faisaient des montagnes ; les énormes choux blancs, serrés et durs comme des boulets de métal pâle ; les choux frisés, dont les grandes feuilles ressemblaient à des vasques de bronze ; les choux rouges, que l’aube changeait en des floraisons superbes, lie-de-vin, avec des meurtrissures de carmin et de pourpre sombre. À l’autre bout, au carrefour de la pointe Saint-Eustache, l’ouverture de la rue Rambuteau était barrée par une barricade de potirons orangés, sur deux rangs, s’étalant, élargissant leurs ventres. Et le vernis mordoré d’un panier d’oignons, le rouge saignant d’un tas de tomates, l’effacement jaunâtre d’un lot de concombres, le violet sombre d’une grappe d’aubergines, çà et là, s’allumaient ; pendant que de gros radis noirs, rangés en nappes de deuil, laissaient encore quelques trous de ténèbres au milieu des joies vibrantes du réveil. Claude battait des mains, à ce spectacle. Il trouvait « ces gredins de légumes » extravagants, fous, sublimes."
………………….
"C’était un monde de bonnes choses, de choses fondantes, de choses grasses. D’abord, tout en bas, contre la glace, il y avait une rangée de pots de rillettes, entremêlés de pots de moutarde. Les jambonneaux désossés venaient au-dessus, avec leur bonne figure ronde, jaune de chapelure, leur manche terminé par un pompon vert. Ensuite arrivaient les grands plats : les langues fourrées de Strasbourg, rouges et vernies, saignantes à côté de la pâleur des saucisses et des pieds de cochon ; les boudins, noirs, roulés comme des couleuvres bonnes filles ; les andouilles, empilées deux à deux crevant de santé ; les saucissons, pareils à des échines de chantre, dans leurs chapes d’argent ; les pâtés, tout chauds, portant les petits drapeaux de leurs étiquettes ; les gros jambons, les grosses pièces de veau et de porc, glacées, et dont la gelée avait des limpidités de sucre candi. Il y avait encore de larges terrines au fond desquelles dormaient des viandes et des hachis, dans des lacs de graisse figée. Entre les assiettes, entre les plats, sur le lit de rognures bleues, se trouvaient jetés des bocaux d’achards, de coulis, de truffes conservées, des terrines de foies gras, des boîtes moirées de thon et de sardines. Une caisse de fromages laiteux, et une autre caisse, pleine d’escargots bourrés de beurre persillé, étaient posées aux deux coins, négligemment. Enfin, tout en haut, tombant d’une barre à dents de loup, des colliers de saucisses, de saucissons, de cervelas, pendaient, symétriques, semblables à des cordons et à des glands de tentures riches ; tandis que, derrière, des lambeaux de crépine mettaient leur dentelle, leur fond de guipure blanche et charnue. Et là, sur le dernier gradin de cette chapelle du ventre, au milieu des bouts de la crépine, entre deux bouquets de glaïeuls pourpres, le reposoir se couronnait d’un aquarium carré, garni de rocailles, où deux poissons rouges nageaient, continuellement."
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