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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 1.800 articles.

Sciatique littéraire...

Je ne connais ni le chagrin ni l'allégresse, le plaisir non plus que la douleur, mais je peux pleurer, jubiler, rire et gémir tout à la fois, immensément. Je suis le CIRQUE.
Pierre Combescot. Les filles du calvaire.

Fin avril 1991...

J'ai enfin terminé ma deuxième année du CFPJ (Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes) de la rue du Louvre, l'été d'avant.

Avec un sujet Société.

Sur Les Chamards, la banlieue maudite de Dreux.

Pour me sortir du bagne, Yann de L'Ecotais a décidé de me confier son projet de L'Express-Paris sur Minitel.

Il avait remarqué mon talent naissant pour élaborer des brèves dans la rubrique télé.

En essayant en peu de mots de garder l'humour.

Pour mettre ce projet au point, je travaille en équipe avec Jean-Pierre, un scientifique.

Le but : résumer les principaux articles du journal en conservant leur ton...

Du côté de L'Express-Paris, le nouveau rédacteur-en-chef est homo.

Et sa cour aussi.

Et son petit ami - qui travaille au journal - aussi...

Et grand nombre de pigistes aussi.

Je ne suis pas homophobe, loin s'en faut.

Mais, tout ça, c'est un peu comme l'équilibre des bans de poissons.

Pour garder cet équilibre, il ne faut pas qu'une espèce soit en surnombre...

Pauvres femmes !

Eglé Salvy et moi, nous en sommes réduites à nous faire des compliments réciproques sur nos jupes, car aucun espoir du côté des mecs…

J'ai dû demander à n'avoir que des stagiaires féminines car le dernier a été harcelé par Pierre Combescot...

Pierre, c'est un critique d'Opéra inégalable.

Et il fait pourtant très mec à regarder de l'extérieur.

Baraqué.

En costard sobre.

Chemise ouverte.

Mais moins mec quand il rend sa copie en l'agrémentant d'un ou deux pas de danse.

A la stupéfaction des visiteurs dans notre salle de rédaction.

Il est brillant.

Très.

Il a aussi la langue vive.

Trop.

Il va me proposer un deal pas banal, banal...

Ne maîtrisant ni la machine à écrire, ni l'ordinateur, il va me rémunérer pour dactylographier le manuscrit de son dernier roman.

Et pour en assurer aussi la ponctuation.

Il me paye bien.

Très bien.

Je prends une petite semaine de vacances à Chaudon.

Pour me consacrer à la tâche.

Et, là, je bosse comme une malade en m'enchaînant à l'ordinateur.

Le dimanche suivant tout est prêt.

A 6 heures du mat, le lundi matin, je me jette sous la douche avant de prendre la route pour Paris.

Et, là, une douleur inconnue saisit le haut de ma cuisse, me faisant hurler dès que je bouge.

Maman a compris.

Et on appelle notre bon docteur Jean-Bernard.

Il est très calme, comme toujours.

Et son diagnostic est sûr.

Très sûr.

C'est une sciatique.

Ma première sciatique.

Je pense pouvoir prendre le volant...

Mais il est catégorique "Vous souhaitez que les pompiers viennent vous sortir de votre voiture une fois arrivée à Gambais ???"

Sa sagesse l'emporte.

L'infirmière arrive avec sa piqure.

Moi, je dois prévenir Pierre.

Qui était déjà juste, juste, dans les délais de remise de son manuscrit à Gallimard.

Et, là, c'est l'émeute !

Il ne peut pas attendre...

L'éditeur attend son roman pour ce lundi matin justement.

Lui vient alors une idée saugrenue : "Il y a une piste d'atterrissage pour les hélicoptères à Chaudon ?"

"Oui, bien sûr, je lui rétorque, juste derrière la mairie, dans la cour d'école !"

Je galèje un peu pour m'en sortir.

Pas lui.

Mais pas du tout.

Le médecin m'a demandé de ne repartir que le mercredi matin.

Je suis sens dessus dessous quand il revient me visiter le soir.

Et je lui raconte l'histoire du manuscrit, de Pierre, de l'hélicoptère...

Il me regarde, calme, très calme, et déclare : "Vous travaillez avec des dingues…"

Je tente d'expliquer.

C'est un manuscrit important.

Très.

Je l'ai lu et c'est plus qu'excellent.

Et j'ajoute avec un sourire : "Il aura certainement le Goncourt."

"Si vous le dites" me répond Jean-Bernard.

………………..

J'ai pu reprendre la route dès le mercredi matin.

Pierre Combescot a bien récupéré son manuscrit.

L'éditeur aussi.

Son roman a obtenu le Goncourt 1991.

Ce manuscrit...

C'était "Les filles du calvaire".

Liliane Langellier

L'équipe de L'Expres Paris, l'été 1991. Combescot est au deuxième rang, entre les deux dames en rouge. Je suis la 4ème au 3ème rang en noir et blanc.

L'équipe de L'Expres Paris, l'été 1991. Combescot est au deuxième rang, entre les deux dames en rouge. Je suis la 4ème au 3ème rang en noir et blanc.

Les filles du calvaire. Goncourt 1991.

Les filles du calvaire. Goncourt 1991.

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