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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Les mémoires de Maigret de Georges Simenon.

On voit, en effet, des hommes, des femmes, toutes les sortes d'hommes et de femmes, dans toutes les situations imaginables, à tous les degrés de l'échelle. On les voit, on enregistre et on essaie de comprendre.

Une mise en abyme du personnage du commissaire Maigret par le romancier, irrésistible et étourdissante conversation entre la créature et son créateur.

 

On comprend que Georges Simenon ait confié avoir une tendresse particulière pour ce roman. Car c'en est un, malgré l'ambiguïté du titre. Il a l'originalité de mettre en présence en les confrontant Maigret et le jeune Simenon, le commissaire et l'écrivain, la créature face à son créateur, dès leur première rencontre dans les bureaux de la Police judiciaire au Quai des Orfèvres. L'expérience est fascinante à observer pour tout écrivain parfaitement au fait des mécanismes de la création littéraire, et passionnante à découvrir pour tout lecteur curieux de l'envers du décor. S'ensuit une mise en abyme drôle, instructive et vertigineuse. Simenon avait écrit ce roman en 1950 à l'occasion des 20 ans d'existence éditoriale du plus célèbre flic de France. C'est un livre tellement à part dans sa bibliographie qu'il avait un temps songé à le publier sans nom d'auteur sur la couverture.

Pour le grand public, Georges Simenon (1903-1989) est d’abord un phénomène : l'homme aux 400 livres et aux 10 000 femmes, et l’auteur de langue française le plus souvent porté à l’écran. Personnage excessif, écrivain de génie, père du célèbre Maigret et d'une importante œuvre  purement romanesque, Simenon restera l'un des écrivains majeurs de ce siècle. L’énigmatique « pudeur Simenon », transmise de génération en génération, aura poussé le mémorialiste en lui à étaler en fin de parcours ce que l’on aurait cru très privé (le tumulte de ses relations avec sa seconde femme, la descente aux enfers de leur fille) tout en faisant l’impasse sur des pans entiers de sa vie (son implication dans l’affaire Stavisky, son attitude pendant la guerre, les vraies raisons de son départ en Amérique à la Libération, la mort de son frère). Quand il nous faisait pénétrer dans la fabrique de son œuvre, nous donnant l’illusion d’être entraînés à sa suite en toute indiscrétion, il procédait à un tri du même ordre; il ne retenait que ce qui confirme la primauté de l’instinct sur la réflexion (mise en transes, promenades en forêt, écriture de « déglutissement ») à l’exclusion de toute préméditation (choix d’un titre-pro- gramme, établissement de dossier sur un projet bien précis, personnages puisés parmi ses relations, intrigues calquées sur des événements vécus) ; son projet d’existence releva autant du calcul et de la projection dans le futur que d’une étonnante faculté de s’adapter aux convulsions de son temps. Mais qui dira jamais à quoi obéissent véritablement le rythme d’une vie et le mouvement d’une œuvre? Le génie de Simenon, c’est qu’il vous parle de vous sans jamais vous interpeller. Il vous fait accéder, directement, à l’universel. Il n’y a pas de gras chez Simenon. On est à l’os tout de suite. De quoi parle-t-il ? De l’amour, de la haine, de  l’envie, de la jalousie, de la honte...

Ses romans sont construits de la même manière. Ils sont structurés comme une tragédie grecque. Simenon a eu du succès tout de suite et dans le monde entier. Il ne se présente jamais comme un écrivain. Il parle de lui comme d’un romancier parce que, comme dit Beckett, bon qu’à ça. Il sait jusqu’où outrepasser ses limites. Il ne va pas faire ce qu’il ne sait pas faire. C’est ce qui s’appelle creuser son sillon. On aurait dû ceindre les deux cents « romans durs » de Simenon d’un bandeau  intitulé « la condition humaine ». C’est une œuvre tragique où la rédemption est difficile à trouver. Lui, un homme comme un autre ? La concentration, la puissance de travail, la faculté d’adaptation, la curiosité, la détermination sont des qualités assez répandues mais on les retrouve rarement en un seul individu, et pratiquement jamais chez un homme qui a eu très tôt, très jeune, le goût d’inventer et de raconter des histoires, et l’intuition animale que seule cette activité serait de nature à lui conserver un équilibre relatif.

Pierre Assouline

Admis à la retraite, Maigret, retiré à Meung-sur-Loire, décide de rédiger ses mémoires afin de rectifier le portrait « plus vrai que nature » qu'a tracé de lui le romancier Sim devenu Simenon. 

 

Maigret est né à la campagne, « non loin de Moulins », où son père était régisseur d'une vaste propriété ; sa mère est morte en couches quand il avait huit ans ; son père l'a alors confié à une tante qui a épousé un boulanger de Nantes. C'est là que Maigret fait ses études, ne revoyant son père que pendant les vacances ; il est fortement marqué par cet homme de la terre, paisible, honnête et compréhensif, auquel il ressemblera moralement plus tard. Maigret est étudiant en médecine lorsque son père meurt. Obligé d'interrompre ses études, il cherche un emploi à Paris ; grâce à un voisin de palier, il a l'occasion d'entrer dans la police.

 

D'abord simple porteur de dépêches, il devient rapidement secrétaire du commissaire du quartier Saint-Georges.  C'est à ce moment qu'il fait la connaissance de Louise, jeune fille calme et sérieuse qui deviendra Mme Maigret. Entré à la Brigade de la voie publique, Maigret  parcourt Paris, ce qui lui permet de connaître ses rues, ses grands magasins, ses gares, ses apaches, ses prostituées, ses garnis miteux renfermant un univers cosmopolite ; il admire l'humilité fière des déracinés, la fierté discrète des pauvres. Il insiste sur le lien existant entre le policier et celui qu'il traque : leurs relations sont avant tout professionnelles, sans haine, mais sans pitié ; il y a entre eux « une sorte d'esprit de famille ». Énumérant les genres de crimes dont il a dû s'occuper, Maigret regrette que Simenon n'ait raconté que les plus exceptionnels, les plus intéressants au point de vue psychologique, ceux qui n'ont constitué en fait qu'« une partie insignifiante » de ses activités ; en réalité, le métier de policier est beaucoup plus monotone qu'on ne pourrait le croire en lisant les romans de Simenon ! 

 

Les mémoires de Maigret s'achèvent avec sa nomination d'inspecteur à la Brigade spéciale du Quai des Orfèvres et ses débuts dans cette nouvelle fonction ; il avait alors trente ans. Il répète que le policier n'est pas un héros, qu'il fait seulement son métier de fonctionnaire. Le récit prend fin sur une évocation de ses anciens collaborateurs. Sa dernière pensée est pour Simenon, devenu son ami.

 

In Wikipedia.

Quatrième de couverture :

" Vers 1928, le commissaire Maigret voit arriver au Quai des Orfèvres un jeune journaliste très sûr de lui, et même passablement arrogant, qui s'appelle Georges Sim. Et qui n'hésite pas à publier un peu plus tard, à grand renfort de publicité, un roman le mettant en scène, lui Maigret, sous son vrai nom !
Bien des années plus tard, devenu l'ami de Simenon, Maigret prend la plume à son tour, désireux de rectifier l'image que le romancier a donnée de lui et de son métier. Quitte à convenir, de plus ou moins bon gré, que la vérité romanesque n'est peut-être pas infidèle à la vérité tout court... Savoureux et ironique dialogue entre un personnage et son auteur, ces Mémoires de Maigret forment aussi un étonnant tableau du Paris louche de l'entre-deux-guerres, avec ses hôtels garnis, ses truands, ses prostituées, ses pickpockets, ses immigrés légaux ou clandestins.
" C'est une partie qui se joue, une partie qui n'a pas de fin. Une fois qu'on l'a commencée, il est bien difficile, sinon impossible, de la quitter " Qui parle, le romancier ou le commissaire ? Allez savoir ! "

Extraits

 

"Pour moi, un homme sans passé n’est pas tout à fait un homme. Au cours de certaines enquêtes, il m’est arrivé de consacrer plus de temps à la famille et à l’entourage d’un suspect qu’au suspect lui-même, et c’est souvent ainsi que j’ai découvert la clé de ce qui aurait pu rester un mystère."

"La vérité ne paraît jamais vraie. Je ne parle pas seulement en littérature ou en peinture. Je ne vous citerai pas non plus le cas des colonnes doriques dont les lignes nous semblent rigoureusement perpendiculaires et qui ne donnent cette impression que parce qu’elles sont légèrement courbes. C’est si elles étaient droites que notre œil les verrait renflées, comprenez-vous ?"

"[...] ... Il s'agit de connaître.

Connaître le milieu où un crime est commis, connaître le genre de vie, les habitudes, les moeurs, les réactions des gens qui y sont mêlés, victimes, coupables et simples témoins.

Entrer dans leur monde sans étonnement, de plain-pied, et en parler naturellement le langage.

C'est aussi vrai s'il s'agit d'un bistrot de La Villette ou de la Porte d'Italie, des Arabes de la Zone, des Polonais ou des Italiens, des entraîneuses de Pigalle ou des mauvais garçons des Ternes.

C'est encore vrai s'il s'agit du monde des courses ou de celui des cercles de jeu, des spécialistes des coffres-forts ou des vols de bijoux.

Voilà pourquoi nous ne perdons pas notre temps quand, pendant des années, nous arpentons les trottoirs, montons des étages ou guettons les voleuses des grands magasins.

Comme le cordonnier, comme le pâtissier, ce sont les années d'apprentissage, à la différence qu'elles durent à peu près toute notre vie, parce que le nombre des milieux est pratiquement infini.

Les filles, les voleurs à la tire, les joueurs de bonneteau, les spécialistes du vol à l'américaine ou du lavage de chèques se reconnaissent entre eux.

On pourrait en dire autant des policiers après un certain nombre d'années de métier. ... [...]"

"[...] ... Je fus désigné aux gares. Plus exactement je fus affecté à certain bâtiment sombre et sinistre qu'on appelle la gare du Nord.

Comme pour les grands magasins, il y avait l'avantage d'être à l'abri de la pluie. Pas du froid ni du vent, car il n'y a sans doute nulle part au monde autant de courants d'air que dans un hall de gare, que dans le hall de la gare du Nord, et, pendant des mois, j'ai fait, pour les rhumes, concurrence au vieux Lagrume.

Qu'on n'imagine surtout pas que je me plaigne et que je brosse avec une complaisance vengeresse l'envers du décor.

J'étais parfaitement heureux. J'étais heureux quand j'arpentais les rues et je ne l'étais pas moins quand je surveillais les soi-disant kleptomanes dans les grands magasins.

J'avais l'impression d'avancer chaque fois d'un cran, d'apprendre un métier dont la complexité m'apparaissait chaque jour davantage.

En voyant la gare de l'Est, par exemple, je ne peux jamais m'empêcher de m'assombrir, parce qu'elle évoque pour moi des mobilisations. La gare de Lyon, au contraire, tout comme la gare Montparnasse, me fait penser aux vacances.

La gare du Nord, elle, la plus froide, la plus affairée de toutes, évoque à mes yeux une lutte âpre et amer pour le pain quotidien. Est-ce parce qu'elle conduit vers les régions de mines et d'usines ?

Le matin, les premiers trains de nuit, qui s'en viennent de Belgique et d'Allemagne, contiennent généralement quelques fraudeurs, quelques trafiquants au visage dur comme le jour vu derrière les verrières.

Ce n'est pas toujours de la petite fraude. Il y a les professionnels des trafics internationaux, avec leurs agents, leurs hommes de paille, leurs hommes de main, des gens qui jouent gros jeu et sont prêts à se défendre par tous les moyens.

Cette foule-là s'est à peine écoulée que c'est le tour des trains de banlieue, qui ne viennent pas de villages riants comme dans l'Ouest ou dans le Sud, mais d'agglomérations noires et malsaines.

En sens inverse, c'est vers la Belgique, la plus proche frontière, qu'essaient de s'envoler tous ceux qui fuient pour les raisons les plus diverses. ... [...]"

 

 

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