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6 Mai 2021
Joseph DARNAND, Fernand de BRINON et le colonel Edgard PUAUD passent en revue des légionnaires à Vichy en 1943
Homme clé de la politique de collaboration franco-allemande, poussant celle-ci jusque dans ses plus extrêmes limites, le marquis Fernand de Brinon descend d’une famille de noblesse de robe appauvrie de vieille souche bourbonnaise.
Son père est un simple fonctionnaire des Haras nationaux.
Le fils aura davantage d’ambition. Après des études chez les dominicains d’Arcueil, à 23 ans, en 1908, ce natif de Libourne entre dans le journalisme.
Débuts modestes : chroniques judiciaires et billets sur le monde hippique en excellent cavalier qu’il est.
Tout change quand il devient, à 24 ans, l’homme de confiance d’Etienne de Nalèche, le directeur du Journal des débats.
Une ascension sociale confirmée par son mariage avec Rachel Ullmann née Franck, une divorcée, dite « Lisette », d’une grande famille bourgeoise juive de Bruxelles. De douze ans plus jeune que lui, elle s’est convertie par son mariage à la religion catholique. Pendant la guerre, elle sera faite « Aryenne d’honneur ». Brinon toujours entre deux infidélités, les époux s’éloigneront progressivement l’un de l’autre sans pour autant se séparer formellement.
Les portes, désormais, s’ouvrent devant lui. Se spécialisant, à l’ère du briandisme triomphant, dans les questions franco-allemandes, ses enquêtes dans le monde de la politique et de l’économie l’introduisent auprès de nombreux responsables.
Lors de la négociation du traité de Versailles, il rédige une série d’articles relatifs aux réparations économiques. C’est un problème brûlant en Allemagne, car associé au principe de sa responsabilité dans la guerre. Entendue au sens juridique du terme, cette responsabilité y est spontanément interprétée dans un sens moral.
La dimension critique de ses articles attire l’attention en Allemagne. Cela lui vaut un entretien avec Walter Rathenau, le président d’AEG, le trust de l’électricité, qui avait été l’organisateur de l’économie de guerre allemande.
Voilà désormais Brinon introduit dans les milieux weimariens et reçu en France par le monde politique comme entremetteur.
Proche de la mouvance radicale, il pénètre dans le cercle des responsables de premier plan, ainsi Edouard Daladier et Pierre Laval. Il accompagne ce dernier dans son voyage aux Etats-Unis en 1931.
En 1932, chez Melchior de Polignac, il fait la connaissance de Joachim von Ribbentrop, époux d’Annelies Henkell, fille d’un gros producteur de vin mousseux et lui-même importateur du champagne Pommery. Il vient juste – tardivement – d’adhérer au parti nazi ; il est devenu un intime de Hitler.
Introduit à la fois dans le milieu des vieilles familles allemandes et celui des nationaux-socialistes, Ribbentrop devient, pour Brinon, un interlocuteur incontournable.
Brinon est le premier journaliste français à obtenir une interview du nouveau chancelier.
Le 23 novembre 1933, les lecteurs du journal Le Matin peuvent lire de Hitler des paroles apaisantes : « Il n’y a absolument rien qui puisse opposer l’Allemagne à la France. […] L’Alsace-Lorraine, j’ai dit assez souvent que nous y avons renoncé définitivement. […] Combien de temps faudra-t-il répéter que nous ne voulons ni absorber ce qui n’est pas nôtre, ni nous faire aimer de qui ne nous aime pas. »
L’interview a rapporté 20 000 francs à Brinon.
Jusqu’en 1937, il rencontre Hitler à cinq reprises.
C’est un abonné de la grand-messe annuelle de Nuremberg. Désormais incontournable dans tout ce qui a trait aux rapports franco-allemands, il est de toutes les manifestations, appartient à tous les mouvements ou associations s’y rapportant.
Auteur de France-Allemagne, il est l’un des fondateurs, en novembre 1935, du Comité France-Allemagne (qui édite les Cahiers franco-allemands), subventionné par le gouvernement français jusqu’en 1937.
La demeure du vice-président du Comité qu’est Brinon devient un lieu de rencontre privilégié entre Français et Allemands. En Allemagne, les membres du club séjournent dans un bel hôtel particulier, près du Tiergarten.
Une vie mondaine s’organise autour du Comité. La noblesse y est très présente. Des personnalités allemandes sont des membres assidus, ainsi Friedrich Sieburg, journaliste et auteur de Dieu est-il français ?, Krug von Nidda, autre journaliste, Feihl, attaché de presse de l’ambassade d’Allemagne. On retrouvera ces hommes après 1940, Sieburg à l’Institut allemand, Feihl à l’ambassade d’Abetz, Krug von Nidda consul d’Allemagne à Vichy.
En relations étroites avec Pierre Laval, Brinon se voit près d’être nommé ambassadeur en Pologne. Les réserves du Quai d’Orsay viennent couper son élan.
L’année 1938 est celle d’une brisure dans l’existence jusqu’alors brillante de Brinon. Elle marque le début d’une succession de coups de force de Hitler qui avait jusque-là avancé masqué.
De recherché qu’il était, Brinon devient brutalement infréquentable. Daladier le tient à l’écart (il avait plus d’une fois fait appel à ses services), tandis que toute une presse antinazie le fustige, l’affublant du sobriquet de « Brinontrop ».
Après l’entrée de Hitler dans Prague en mars 1939, le durcissement français se confirme. En mai 1939, le Comité France-Allemagne – qu’avaient commencé à déserter certains écrivains, tel Jules Romains – suspend ses activités. En août 1939, Otto Abetz est jugé « indésirable » en France.
Pendant la « drôle de guerre », Brinon demeure dans sa propriété d’Orriule (Basses-Pyrénées).
C’est là qu’au lendemain du vote du 10 juillet 1940 il reçoit une invitation de Pierre Laval, nouveau vice-président du Conseil, à le rejoindre à Vichy.
Il y arrive le 15 juillet 1940 pour se voir remettre – avec 100 000 francs pour ses frais – un ordre de mission : « Fernand de Brinon est chargé sous mon autorité de préparer la reprise des relations avec l’Allemagne. Pierre Laval. »
C’est Abetz qu’il est prié de rencontrer à Paris, ce même Abetz « indésirable » un an plus tôt et désormais représentant de Ribbentrop auprès du haut commandement allemand.
Après avoir été reçu par Pétain, Brinon se rend donc à Paris où il établit le contact ouvrant sur la première rencontre, le 20 juillet, entre Laval et Abetz.
Le voilà relancé dans les affaires franco-allemandes. Le 19 juillet, il avait accueilli Laval à la ligne de démarcation, à Moulins. Le 21, il participe au dîner qu’offre Laval à Abetz. Aucun complexe chez un homme ancré dans son rôle d’intercesseur. Ne retrouve-t-il pas les interlocuteurs allemands qui étaient les siens avant la défaite française ?
Les semaines qui suivent le premier voyage de Laval à Paris n’ont pourtant entraîné que des désillusions. Aucun signal n’arrive de Vichy, ni de Berlin.
Pris dans l’étau d’une ligne de démarcation érigée en frontière, le gouvernement français doit à tout prix renouer le contact au niveau le plus élevé possible. Il en sort les rencontres de Montoire les 22 (Hitler-Laval) et 24 (Hitler-Pétain) octobre 1940, où il faut voir avant tout la main de Laval, Abetz et Brinon.
Mais Montoire n’est suivi d’aucun geste quelconque de Hitler envers la France, bien que Laval eût endossé les habits de ministre des Affaires étrangères et Brinon hérité du titre d’ambassadeur de France.
Cette frustration comme la volonté de Pétain de reprendre la main sont à l’origine de la destitution de Laval. La position de Brinon en sort un temps ébranlée avant de se voir confirmée et même renforcée.
Le 13 décembre 1940, le renvoi de Laval de ses fonctions suivi de son assignation à résidence s’accompagne de la brève arrestation de Brinon, consigné dans sa chambre de l’hôtel Majestic à Vichy.
Il est libéré par l’intervention d’Abetz. Si celui-ci ne peut faire revenir Pétain sur le renvoi de Laval, il sauve Brinon, appelé à devenir le véritable intermédiaire dans les relations franco-allemandes.
Le 5 décembre 1940, l’ambassadeur Brinon se voit attribuer le poste de délégué général du gouvernement dans les territoires occupés. Chargé de représenter le gouvernement français dans lesdits territoires, il se trouve à la jonction entre services français et services allemands, en liaison avec la Commission d’armistice de Wiesbaden. Avec Laval établi à Paris, c’est un quasi contre-gouvernement qui s’installe en zone occupée.
Brinon va généreusement outrepasser les attributions de sa fonction en se faisant l’agent actif des responsables allemands, Abetz avant tout. Sous couvert d’informer et de transmettre, il cherchera à orienter l’action du gouvernement de Vichy dans le sens d’une collaboration extrême, le plus souvent loin des intentions profondes de Hitler.
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Brinon – qu’accompagnent sa femme qui l’a rejoint et ses deux secrétaires – a pris, le 23 avril 1945, le chemin du Tyrol et de la Suisse. Ayant essuyé un refus de ce pays, il s’est trouvé coincé entre les frontières suisse, allemande et italienne. Contraint de signaler sa présence aux autorités militaires américaines, il est arrêté le 9 mai sur demande française.
Transféré à Paris le 20 mai 1945, Brinon est incarcéré à la prison de Fresnes. Début décembre, il est inculpé pour intelligence avec l’ennemi et atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat. Retardé par sa maladie (ablation de la prostate) et une instruction hachée, son procès ne s’ouvre que le 4 mars 1947 devant la Haute Cour de justice. La sentence tombe : peine de mort. Sa grâce refusée par le président de la République Vincent Auriol, Fernand de Brinon est fusillé le 15 avril 1947 au fort de Montrouge.
Une conversation avec Adolf Hitler
Pour la première fois, le chancelier du Reich reçoit un journaliste français
Déclarations sensationnelles
J'ai été reçu par M. Hitler. Durant près de deux heures, de 11 h 20 à 13 heures, le jeudi 16 novembre, abordant tous les sujets et toutes les inquiétudes, j'ai causé avec lui de la manière la plus libre. Il m'expliquait sa pensée et j'avais parfois l'impression de lui découvrir la France. Je serais incapable maintenant de retracer le cours extraordinaire d'une conversation qui emplirait plusieurs colonnes. Mais je peux en restituer les traits essentiels et dire les sentiments qu'elle m'a laissés.
Comment ai-je été introduit chez le maître de l'Allemagne, alors qu'hormis l'ambassadeur de France - qui ne l'a pas vu d'ailleurs depuis le mois de septembre - aucun de nos compatriotes n'a été admis chez lui ? Il faut le dire : j'ai un ami allemand.
Il a fait la guerre contre nous. Il a pleuré sur la défaite de sa patrie. Il a détesté le traité de Versailles. Il s'est donné de toutes ses forces et avec toutes ses ressources au relèvement de l'Allemagne. Depuis des années, chaque fois que je l'ai rencontré, j'ai vu grandir son dévouement au parti nazi et sa passion pour M. Hitler. Mais, j'ai toujours retrouvé aussi son attrait pour la France où il garde des amis fidèles, et jamais je n'ai vu fléchir cette ambition qu'il nourrit depuis douze ans de réconcilier son pays avec le nôtre. Je n'écrirai pas son nom. Il souhaite demeurer dans l'ombre du chancelier, l'artisan obscure d'une haute et noble tâche. Mais, pour la servir de mon coté, je veux citer deux traits.
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Le Matin : derniers télégrammes de la nuit
Le Matin : derniers télégrammes de la nuit -- 1933-11-22 -- periodiques
Le Matin du 22 novembre 1933.