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9 Janvier 2022
15 juin 1940, alors que l’armée allemande est entrée dans Paris la veille, des officiers allemands se présentent à la Banque de France (BdF) pour faire main basse sur la deuxième plus grande réserve d’or du monde. Mais ils arrivent trop tard, l'or a disparu.
En 1939, la France dispose de 1777 tonnes d'or, plus 230 tonnes d'or belge et polonais, soit la deuxième plus grande réserve au monde. Alors que les tensions européennes montent dans les années 30, la Banque de France a déjà envoyé 800 tonnes aux USA pour acheter du matériel militaire.
A l’été 1939, pour des raisons de sécurité, l’or est réparti dans les ports français en 35 convois secrets de 300 camions. Lors de la WW1, l'or fut caché dans le Massif Central. En 1870, il fut envoyé à Brest. Les plans de sécurisation sont préparés par la Banque de France.
"Lorsque la Seconde guerre mondiale a éclaté, on avait en France 2.500 tonnes d'or à la Banque de France", explique à l'AFP l'historien brestois Alain Boulaire. "Le ministre des Finances Lucien Lamoureux décide en septembre 1939 d'éloigner cet or du pays et identifie trois ports d'évacuation: Toulon, le Verdon et Brest", poursuit-il.
Entre Septembre 39 et avril 40, la Marine Nationale convoie en 4 fois, 400 tonnes vers les USA via Halifax, au Canada, à bord des fameux croiseurs rapides. 11 navires sont mobilisés. Tout se passe bien jusqu’au mois de juin, mois de la débâcle.
Début Mai 40, alors que les armées alliées s’écroulent, Lucien Lamoureux, ministre des finances, désobéissant au gouvernement, ordonne l’évacuation de l’Or. Cette initiative sauva l'or de France.
Le 19 mai, le Porte-Avions Béarn part de Toulon avec 195 tonnes d’or rejoint dans l’Atlantique par les croiseurs Emile Bertin et Jeanne d’Arc avec 210 tonnes. Ils atteignent Halifax le 1er juin. L'Emile Bertin appareille seul le 3 mais les nouvelles sont catastrophiques.
Alors que les armées nazies déferlent et que le pays est désorganisé, la course contre la montre pour évacuer les centaines de tonnes d’or restantes a commencé. Des paquebots sont réquisitionnés par la Marine pour accélérer l'évacuation, sous la supervision d’employés de la Banque de France.
Scène improbable, au Verdon le 28 mai, des douaniers essaient d’empêcher l’embarquement de l’or sur le paquebot "Ville d'Oran" car les documents ne sont pas totalement en règle. Ils seront neutralisés par des marins et 200 tonnes seront embarqués pour Casablanca.
L’Emile Bertin, croiseur le plus rapide du monde (40 noeuds, vitesse très élevée encore de nos jours), arrive à Brest le 9 (6 jours pour franchir l’Atlantique!) et appareille le 11 juin après avoir embarqué 250 tonnes d'or, plus grosse cargaison sur un seul navire.
Le 12 juin, il reste 750 tonnes d’or à Brest, 16.200 caisses et sacoches, qu’il faut évacuer en toute urgence. L’essentiel est encore au fort du Portzic, à une dizaine de kilomètres des navires du port de Brest.
Sous la supervision de deux employés de la Banque de France, et d'un officier, 300 marins vont assurer le transfert du fort vers les navires. Il faut charger les caisses sur chariots, charger sur camion, conduire, décharger sur le quai, charger à bord des navires… Et les Allemands arrivent.
16 juin. Alors que la Luftwaffe bombarde déjà la rade de Brest, il n’y a que 6 camions pour effectuer le transfert, mais l’on trouve des camions anglais abandonnés pour aider, et des marins à demi saouls sont sortis de la prison de Pontaniou pour aider à la corvée.
17 juin midi. Coup de tonnerre. Le Maréchal Pétain annonce la capitulation française. Mais immédiatement l’Amiral Darlan conteste et annonce par radio à la Marine que la guerre se poursuit à outrance. Le transfert se poursuit donc, les marins ne respectant pas l'ordre de Pétain.
Entre les bombardements et les alertes aériennes, le dernier chargement sur les camions se termine à 4 heures du matin au Portzic. Dans la base navale, la tension est totale. 75 navires doivent quitter Brest avant l'arrivée de l'armée allemande, tout le monde court partout.
La sortie de la rade n’étant pas possible de nuit en raison des mines et des filets, l’amirauté prévient que tout navire qui n’a pas appareillé de Brest à 18 heures sera sabordé, or chargé ou non. Il reste 7 heures pour terminer le chargement sur les cargos.
18 h 30. Depuis 14 heures, la flotte quitte le port de Brest, le dernier cargo, le EL Mansour, appareille à la toute dernière minute, l’or de la Banque de France à son bord. Au même moment, l’or polonais et belge quittent le port de Lorient. L'immense flotte se dirige vers Dakar.
L’Or est à l’abri des nazis, mais un autre problème se pose désormais. A qui appartient cet or ? La France Libre ? Vichy ? Le cas de l’Emile Bertin est révélateur de la confusion des jours qui suivirent l’armistice. Parti de Brest le 11 juin, il arrive à Halifax le 18 avec 250 tonnes d'or.
Refusant de débarquer l’or en l’absence d’ordre précis, la situation est tendue avec les Britanniques qui menacent le croiseur Français. Le 21, l’Amirauté lui ordonne d’appareiller pour la Martinique. Mais trois croiseurs lourds britanniques l’attendent à la sortie pour «escorte».
Profitant de sa vitesse le français sème les Anglais dans la nuit et fonce vers la Martinique. On ne sait pas encore à ce jour si les Anglais avaient ordre de tirer comme ils le firent à Mers El Kebir et Dakar. Le Emile Bertin arrive le 24 à Fort de France.
L’or de la Martinique sera gardé pendant le reste du conflit par l’armée de Terre au fort Desaix, et par l’employé de la Banque de France, Edouard de Katow. Le Bertin restera sous surveillance US, entre deux ordres de sabordage, jusqu’en août 1943 où il rejoindra les Alliés.
En juillet 1940, l’or est donc réparti entre New York (1.145 tonnes), Fort de France (250 tonnes) et Dakar (1.100 tonnes dont l’or belge et polonais). Suite à l’attaque de Mers El Kébir le 3 juillet, l’or de Dakar est sécurisé 70 km dans les terres. L’opération est terminée le 7 juillet.
De Gaulle voulant gagner en crédibilité et en moyens, persuade Churchill d’attaquer la région de Dakar pour s’emparer entre autres, de l’or. Mais l’assaut (23-25sept) sera un échec et la réputation de de Gaulle en souffrira.
La conséquence de cette attaque fut le transfert de l’or vers le « village » de Kayes (Mali, ex "Soudan français"), à 900 km des côtes de Dakar par train. 3 trains par semaines, 18 heures de voyage, pas de téléphone, pas de route réellement praticable.
Très vite, Hitler exigea que Vichy lui remette l’or belge et polonais. Alternant menaces et négociations avec la Banque de France (institution privée n’étant pas aux ordres politiques), l’or belge est finalement sacrifié et remis aux nazis en mai 1942 après un long périple...
La Banque nationale de Belgique, intenta un procès à New York contre la Banque de France en février 1941, dans le but de réclamer une partie de l’or français. Après une longue bataille de procédures, la Banque de France dut rembourser intégralement la Banque Belge en octobre 1944.
La situation restera globalement inchangée jusqu’à la Libération. L’or de Martinique ne reviendra qu’en 1946 en France. En tout, environ 395 kilos manqueront à l’appel, probablement perdus ou volés entre Dakar et Kayes, ou Kayes et Alger. Ce qui est très peu.
L’or français servira à la reconstruction jusqu’au plan Marshall en 1948.
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