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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 1.800 articles.

Chaudon. Pierre Bigard, maçon et restaurateur.

Je les ai toujours compris. En somme, j'étais natif de la terre aussi. Quand on connaît les gens, c'est pas pareil.
Pierre Bigard.

Sur les photos de mariage...

De ma grand-mère Chandebois et de mes grandes tantes...

Prises dans la cour de Chez Bigard...

On peut suivre les dates en fonction de la grosseur du cuisinier, tout de blanc vêtu avec sa toque...

Tout mince pour Louise, l'aînée...

Et de plus en plus gras en fonction des années.

Chez Bigard.

Plus qu'une adresse, un nom !

J'ai connu personnellement Pierre Bigard.

D'une part, parce que les dimanches où nous étions en week-end à La Louise (1972/1979), nous déjeunions régulièrement dans son restaurant...

D'autre part, parce que je l'ai interviewé pour en savoir plus sur les Quemin de Lormaye. Dans le cadre de l'affaire Seznec.

Geneanet

Tout ce qui suit...

Est un décryptage de l'enregistrement de Pierre Bigard sur une K7 enregistrée par les Ondes Buissonnières (Paulette et Roger Buisson) le 28 septembre 1988.

......................................................

Pierre Léon Eugène Bigard est né le 7 août 1901 à Chaudon.

Pierre Bigard est né sur la Grande Route.

A Chaudon.

Ses parents sont descendus au commerce, quand il avait 4 ans, en 1905.

[NDLR Année du mariage de ma grand-mère Louise. 8 juillet 1905.]

La vie était plutôt agréable : sa mère tenait le café et son père était maçon.

Il va à l'école de Chaudon, passe son certificat d'études, et puis...

La guerre de 14.

Il a 13 ans.

Il devait rentrer à Dreux chez un architecte comme apprenti.

Mais le père étant parti, la mère restée toute seule, il continue de travailler dans la culture chez ses grands-parents.

Ses grands-parents étaient cultivateurs du côté de Mamers.

On peut dire qu'il les a vus partir les piou-pious chandonnais de 14 !

Car, avec le café, il connaissait tout le monde.

Mamers, cela a duré jusqu'en fin 1918, début 1919, quand ses parents sont rentrés.

Puis, après, il travaille à la maçonnerie.

Sa mère tenait le café et un petit restaurant.

Il part soldat assez jeune.

Il a eu ses 20 ans soldat. Il est alors en occupation en Allemagne.

Il fait 26 mois.

Une vie plutôt agréable car profitant du change des Marks.

Il se marie en rentrant le 29 septembre 1925 avec une fille du moulin de Mormoulins : Andrée Marthe Boucher.

Ils prennent à leur compte le café en 1931.

Le café s'agrandit peu à peu. Andrée est assez ambitieuse. Et ils ont des relations.

Ils font alors restaurant et ils ont quelques chambres et des locaux à côté.

Pendant les vacances, ils avaient du monde. Des Parisiens.

Ils étaient très connus.

La maison qu'ils avaient, ce sont ses grands-parents qui l'ont débuté à Mormoulins.

La première maison à droite en montant, celle qui est en mosaïque.

C'était le café des grands parents.

Tous les charretiers qui descendaient de Croisilles, de Boissy, s'y arrêtaient.

Comme ça ne plaisait plus beaucoup au châtelain en face, il leur avait acheté une maison à Chaudon, en échange de celle qui était là-bas.

Mon grand-père a monté le fonds à Chaudon. Mon père a repris le café après.

En plus de son boulot de maçon, Pierre aide au café. "Les journées étaient longues dans le commerce !"

Il fallait assurer le ravitaillement au marché de Dreux, les lundis et vendredis.

Pierre a eu sa première voiture à la sortie de la guerre.

On l'avait camouflée pendant la guerre.

Pierre et Andrée auront 10 enfants.

Et il bercera toujours l'espoir que sa fille, Micheline, reprenne le café.

Micheline aurait bien continué mais son mari était menuisier...

Pierre décide de vendre. 

C'est un café qui rachète.

Il ne fera jamais restaurant.

Entre les deux guerres, il y aura 6 cafés à Chaudon.

Deux sur la Place de la Croix.

Il y en avait un à droite du Familistère.

Et un au milieu de la rue qui monte.

Il y en avait un autre sur la grande route, en face de la mairie (Corsion, puis Malingue, cf Le Clos Fleuri).

Et puis, Bigard, bien sûr !

On a doublé le nombre d'habitants à Chaudon. De 600, on est passé à 1200.

A l'époque, tout le monde travaillait sur place. Il y avait toujours deux/trois personnes dans chaque ferme.

La meilleure saison, c'était l'été.

Les gars de batterie embauchaient.

"Je les ai toujours compris. En somme, j'étais natif de la terre aussi. Quand on connaît les gens, c'est pas pareil."

A Croisilles, le café Joséphine (Moisan) est fermé.

C'était une femme toute seule, et le mari travaillait au-dehors.

Avant, il n'y avait pas de vacances. En été, ce n'était pas possible. A la fin, on fermait un mois à la fin de l'été.

Il y avait plus de contacts entre les gens. Les gens faisaient les veillées l'un chez l'autre.

On se retrouvait dans les étables, le soir. L'hiver. Dans l'étable, parce qu'il y avait de la place et qu'il faisait chaud.

Les garçons faisaient des filets ou des paniers pour aller à la pèche. Les filles travaillaient autrement, surtout des travaux de couture (on réparait beaucoup plus qu'aujourd'hui).

C'était à la bougie.

L'électricité, on l'a eu en 1926 à Chaudon.

Chez ma mère, quand il y avait une soirée, on avait des grosses lampes à pétrole. Et, vers une heure du matin, on voyait les lampes qui baissaient. Il fallait les reprendre une à une pour les remplir.

Les gens voyaient plus clair dans le temps qu'aujourd'hui. Il y avait peu de gens qui portaient des lunettes.

Ma grand-mère paternelle [NDLR Roseline Elise Mabeau] était née en 1854. Sa mère l'avait eue passé 50 ans. Ce qui était assez rare. Alors quand sa mère lui parlait de sa jeunesse à elle, ça remontait jusqu'à Napoléon...

Maintenant, Pierre n'a plus des gens de son âge, d'origine du pays, pour pouvoir échanger...

Pierre aimait beaucoup aller aux champignons seul ou avec un copain.

Il y avait des vignes palissées le long des murs à Chaudon.

On allait à pied à l'école.

On était 35 à 40 par classe.

Le maître nous menait au certificat d'études.

Le premier, s'appelait Blaveau, et, le second Laroche.

On avait la morale à l'école mais on l'avait aussi chez les parents.

Les enfants de Vaubrun apportaient leur manger ou ils avaient parfois des gens chez qui ils pouvaient manger.

La distribution des prix, c'était une fête dans le pays !

A peu près tout le pays était à l'école. Il y avait des classements et chacun essayait d'être assez bien classé.

Les parents suivaient en tout le maître d'école.

Pierre Bigard n'est pas parti à la guerre de 40, car il avait 7 enfants à ce moment-là.

Pendant l'Occupation, les Allemands mettaient des gars à droite à gauche pour prendre l'opinion générale. A Croisilles, c'est ce qui s'est fait.

Nous, on a eu de la chance, car le gars qui est venu pour prendre pension à la maison, mais les Bigard ont dit qu'ils n'avaient pas de place. Il est monté à Croisilles chez la mère Delton.

C'est comme ça qu'il a été amené à connaître le réseau des gars.

Je leur avais dit, notamment à Guinedot, le maréchal, ils ont fait dérailler un train à Marchezais, ils ont brûlé les hangars de paille...

Ils ont été tous ramassés.

A ce moment-là je travaillais à Croisilles avec un gars et un de mes fils chez Léon Bouvet qui a été maire. On avait arrangé le trottoir.

C'était plein d'Allemands.

Mon copain avait plein de tracts dans son guidon de vélo.

Le pays était bouclé partout. Même dans les champs derrière, c'était étalé. 

A Croisilles, il y avait le gendre à Bouvet : Gilbert Langlois. Taupin, Marigault...

Après les Allemands ont fait des enquêtes sur les amis des résistants. Avec Huveau qui était maire à ce moment-là, on a été convoqué à la Gestapo à Chartres.

Mais le soir-même on a été relâché.

A Chaudon, la résistance, ce n'était pas de l'organisation.

Au café, on était habitué à avoir des Allemands puisqu'ils étaient au château. C'était la Reichsbahn, les transports.

Alors, chez nous au bistrot on était victimes avec eux, on avait beau leur dire qu'on n'avait rien. Alors, ils allaient à la brasserie à Dreux. Ils nous ramenaient de la bière pour qu'on puisse leur en vendre de la bière.

J'ai vu une fois, ils sont allés à Bordeaux. Ils ont ramené du rhum de Bordeaux. Alors, on leur payait et on leur vendait illico.

On avait un Allemand qui parlait assez bien le Français et dont les parents tenaient un grand hôtel en Allemagne...

Le soir, il venait manger chez nous.

Et le gars il venait écouter les Anglais sur mon poste dans la petite salle à manger. On s'est un peu fâché car on a parlé ensemble de la Première Guerre mondiale, moi je faisais partie des troupes d'occupation en Allemagne, et, lui, enfant il avait beaucoup souffert à cause de cela.

Le jour où ils sont partis en convoi pour la Russie, je suis allé me balader à Mormoulins, histoire de voir, le gars était devant son camion, et il s'est dérangé pour venir me dire aurevoir.

Il ne fallait pas avoir peur d'eux. Moi, je les tenais à distance. Je les tenais pour des hommes pas des ennemis.

La plupart étaient comme nous. Il y en avait même un qui était instituteur. J'avais l'un de mes gars qui était chez moi et qui jouait, il parlait avec le gosse, il habitait un logement juste en face. Il disait "Tu vois comment c'est, moi j'ai laissé tous mes enfants là-bas et me voilà là !" Le gars qui avait le moral à zéro et c'était presque le début.

Moi, ça me faisait du bien, je me disais, ça ne va pas durer !

J'avais un copain qui parlait allemand, un soir, on en a pris un dans la cuisine, et mon copain lui faisait la morale en lui parlant d'Hitler. Il nous disait que tout ce qu'il avait fait, c'était du bien. Il nous montrait ses vêtements et il disait "Regarde ça, c'est du peuplier, c'est du bois !" Et c'était vrai, il avait su tirer partie de tout.

Moi j''ai quitté l'Allemagne en 23, c'était en pleine dégringolade du Mark. C'est pas beau un pays quand la monnaie tombe à zéro.

Alors Hitler, il est arrivé après, il les a remontés, alors c'était fatal qu'il ait eu une majorité tout de suite.

Les comportements des Allemands avec les villageois, ça a été. Il n'y a eu qu'à la fin, quand il y a eu les SS. Ils étaient plus arrogants.

A Chaudon, ils ne faisaient pas de rondes la nuit.

L'instituteur était soupçonné d'amitiés avec la résistance. Alors il est parti à Boissy chez l'un de ses amis instituteur aussi.

Mais les Allemands ont fait tout un battage promettant la rafle d'otages. Quand l'instituteur a su ça, il est revenu et s'est rendu.

Ils l'ont embarqué en camp de concentration.

C'était une dénonciation d'une femme. On n'a jamais su qui c'était !

Au sujet d'une réquisition de chevaux.

En 1940, il y a eu l'Exode. Moi je ne voulais pas partir. Quand j'ai vu passer tous les gens des petits pays au-dessus, je me suis dit où vont-ils aller pour quoi faire. Le maire de Chaudon était un copain, il est parti, il a pris un maximum de papiers de la mairie dans sa voiture. Le soir, dans le pays, il n'y avait plus personne, c'était presque mort.

Il y en a un qui me dit "Tiens, les Allemands sont arrivés à Villemeux !" Je l'ai engueulé. Je lui ai demandé d'arrêter de faire peur aux gens. On est allés voir. Sous le prétexte d'aller chercher du pain. Et...... Ils étaient là !

On voulait s'en aller par Mauzaize mais tout était bouclé. On a pris chacun un pain et on est revenu par où on était venu.

Plus des trois quarts des Chaudonnais sont partis en Exode. 

Ceux qui sont restés se sont occupés des animaux.

J'avais des enfants qui étaient partis avec leur grand-mère pour Chartres. On les a rattrapés (en vélo) pour leur dire que ce n'était plus la peine. Qu'il fallait rentrer.

Il y en a qui étaient partis loin, ils sont revenus presque un mois après. J'avais u garçon qui était parti avec une voisine, ils sont allés jusque dans la Creuse, du côté du barrage de Buzon. C'était une femme qui avait des parents à Châteauroux, alors, elle les avait descendus dans la région.

Ils sont rentrés trois semaines après.

On en avait déjà vu un peu en 14, les gens de l'Aisne. 

Rien de spécial à la Libération. Les Américains sont arrivés dans l'après-midi. Les Allemands avaient fait sauter le pont de Mormoulins. Il y en a trois de ponts, c'était celui du milieu. C'est pas ça qui a empêché les Américains de passer !

Leur ligne de dépassement c'était le chemin de fer. Ils ont campé dans les bois.

C'est un Canadien qui est venu jusqu'ici.

Il n'y avait pas de patois spécifique parlé à Chaudon.

Il y avait beaucoup de petites fermes. Une bonne vingtaine. 

A l'heure actuelle, il n'en reste que 4 ou 5.

Il y a beaucoup moins de cultivateurs, mais les champs sont tous cultivés quand même !

Le pain a été cuit chez soi jusqu'à la guerre de 14.

Le combustible le plus utilisé c'était le bois. Mais au restaurant, dans la grande salle, on chauffait au charbon.

Dans la salle, pour les mariages, on arrivait presque à cent.

Un peu plus, une fois avec les routiers de Dreux. On avait triché un peu, on avait mis trois rangées de tables dans la grande salle. C'était dur à servir, ça faisait un peu serré. Pour servir on avait des gens du pays, des copines de ma femme.

J'ai encore trois filles actuellement, il y en a une à Chartres, deux sur Voves. Elles ne font que ça, des extras dans la restauration.

Il y a un restaurant dans Océanic à Chartres. Avec le chef, les cuisinières, les serveuses... Ils font même des banquets.

Au restaurant, on travaillait assez bien le dimanche, mais il y avait un fond de clients la semaine.

Madame Bigard avait une réputation de cordon bleu. Elle aimait la compagnie et le commerce. Elle avait de l'ambition.

On a eu jusqu'à 30 personnes en chambres avec les deux maisons à côté, celle de l'angle et une autre par derrière. 

On avait pas mal de jeunes pensionnaires qui venaient du Val Girard. Ils partageaient leurs chambres à deux ou à trois.

Dans les fêtes de pays, tout le monde participait.

On mettait des tables dehors.

La rue était barrée.

Mais maintenant, il y a le comité des fêtes, ils ont leur buvette à eux.

A l'ouverture de la chasse et de la pêche, c'était fou ce qu'il venait comme monde à Chaudon.

La fête patronale de la Saint-Médard durait jusqu'à trois jours.

Après des considérations sur le monde actuel...

 Pierre Bigard de conclure :

« Je n’ai rien à regretter…

J’ai des beaux souvenirs de jeunesse.

J’ai eu une vie heureuse, ce que je souhaite à tout le monde. »

……………………………………………………

Le sage Pierre Bigard est parti...

Le 2 juin 1997...

Monter au paradis une succursale de son restaurant chaudonnais.

Les saints et les anges vont se régaler !

 

Liliane Langellier

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