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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

« 66-5 » : faut-il regarder la nouvelle série judiciaire de Canal+ ?

Dix-huit ans après « Engrenages », Canal+ plonge les téléspectateurs dans l’univers de la justice française. Une série écrite là encore par Anne Landois et portée par la jeune Alice Isaaz.

 

Les flics au placard ! Bienvenue dans le monde pas si feutré des avocats d'affaires ! Voici l'invitation que semblent nous adresser les premières minutes de 66-5, la nouvelle série de Canal+ dont les deux épisodes sont diffusés ce lundi 18 septembre au soir. La chaîne cryptée, qui a depuis longtemps marqué de sa patte les fictions télé, policières avant tout, nous plonge cette fois dans le quotidien de Roxane, avocate d'affaires débutante, dont la vie va soudainement basculer après l'arrestation de son mari, un homme a priori au-dessus de tout soupçon. Du rythme, des héros bien dessinés, des clichés malmenés… Canal+ n'a rien perdu de son talent et fait ses preuves dans la série judiciaire.

Roxane (Alice Isaaz) a 32 ans. Cette avocate d'affaires, impatiente et ambitieuse, est promise à un bel avenir. Mais le vernis de ce tableau idyllique va subitement craquer, le jour où son confrère et mari est accusé de viol par une ancienne stagiaire du cabinet. Roxane se retrouve alors prise de doutes et doucement, comme pour se protéger de la violence de l'instant présent, va se tourner vers son passé, que l'on nous dessine à coups de mini-flash-back intrigants.

66-5, la réponse à L.627

Et la voici de retour à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, dans la cité où elle a grandi, à traîner dans l'appartement de Jasmine (Naila Arzoune), sa meilleure amie, qui fait pousser des tomates sur le toit de son immeuble. À se frotter au pénal pour défendre le petit ami de cette dernière. À tenter de rétablir le dialogue avec sa mère et sa petite sœur légèrement attardée depuis un drame de l'adolescence. À renouer à contrecœur avec Bilal (Raphaël Acloque), un petit voyou aux sombres motivations.

66-5, en référence à l'article de loi qui garantit le secret professionnel de l'avocat, semble proposer une réponse au L.627 de Bertrand Tavernier, référence du film policier sortie en 1992. La série raconte un retour aux sources : celui d'une jeune avocate qui va se réconcilier en partie avec tout ce à quoi elle avait tourné le dos, enivrée de revanche et de réussite et à jamais meurtrie par un événement de son adolescence.

À la plume : la scénariste Anne Landois, ex-madame Engrenages. Cette fois, pas de flics à l'horizon même si leur présence se fait toujours ressentir. C'est à la justice, à ses dysfonctionnements, ses échecs et ses petits succès que 66-5 s'intéresse. La caméra arpente les salles de tribunal, les parloirs, les bureaux élégants du Paris des affaires… et fait le grand écart en nous plongeant progressivement dans la vie de la cité et ses règles bien à elle.

66-5, une autre vision de la cité

Avec sa vie pas si morose, pas si sordide. « Il n'était pas question de tomber dans les clichés en gris et noir de la cité dont personne ne peut sortir grandi. Ici on vit normalement, presque comme dans un village, on s'installe dehors pour bavarder entre voisins », explique Danielle Arbid, l'une des deux réalisatrices de la série. Elle insiste : beaucoup de scènes se déroulent au soleil, les façades sont colorées et viennent rompre avec les filtres bleus et froids habituels. « Pendant les repérages, on est allé dans dix cités, et si dans deux ou trois d'entre elles on ne se sentait pas toujours très en sécurité, toutes les autres étaient plutôt accueillantes », raconte-t-elle avec force conviction.

C'est vrai : 66-5, sans se montrer révolutionnaire, joue avec les clichés pour mieux les faire exploser. Et nous entraîne avec nervosité dans le sillage d'une « battante » comme aime à la définir Alice Isaaz, son interprète (vue dans Notre-Dame, la part du feu sur Netflix ou au cinéma dans Mademoiselle de Joncquières d'Emmanuel Mouret). « Après avoir réussi à s'extirper de son milieu, elle fait un chemin inverse tout aussi chaotique », analyse lors du Festival de la fiction de La Rochelle celle qui est quasiment de tous les plans de la série.

« C'est une sacrée responsabilité de porter une série sur ses épaules mais c'est aussi très excitant », raconte, le regard caché derrière des lunettes noires, la comédienne de 32 ans, pendant que son petit caniche noir tente vainement de grimper sur ses genoux. D'autant que contrairement à B.R.I qui, l'an dernier, faisait appel à Emmanuelle Devos ou Vincent Elbaz pour consolider son cast, ici, pas de vétérans pour soutenir une équipe composée en majorité de jeunes comédiens.

Roxane s'invite donc dans la liste, qui ne cesse de s'allonger, des nouvelles héroïnes télé – menée audience battante par Morgane Alvaro, le personnage principal de HPI  de plus en plus prisées par les producteurs. « Mais à la différence de beaucoup d'autres, insiste Keren Ben Rafael, elle n'est pas définie par sa condition de femme. Elle n'a pas encore de famille et elle n'est pas représentée comme une héroïne du quotidien. Elle a son propre parcours et ne ressemble pas aux personnages féminins habituels. »

66-5, une série de femmes ?

Un bon point supplémentaire à accorder à ces huit épisodes qui sortent des sentiers archibattus de la fiction télé, nous offrant un portrait d'avocate à mi-chemin entre l'indépendante Joséphine Karlsson jouée par Audrey Fleurot dans Engrenages et la fliquette chevronnée incarnée par Sofia Essaïdi dans La Promesse (autre création, pour TF1 cette fois, d'Anne Landois). Un refus de brosser des portraits attendus qui se répercute aussi sur les autres personnages de la série comme celui de Jasmine. « Ce qui m'a intéressée chez elle, c'est qu'elle vit dans la cité, qu'elle y est heureuse. Mais surtout qu'elle va à l'encontre de l'idée qui veut qu'il faille avoir accompli quelque chose d'extraordinaire au premier sens du terme, pour avoir la sensation d'avoir réussi sa vie », analyse Naila Arzoune qui lui prête avec conviction ses traits.

En contrepoint de ces portraits forts, les hommes se retrouvent bien moins gâtés par le scénario et n'ont pas la chance, eux, d'être épargnés par les clichés. Entre le mari violent, le petit voyou séducteur et l'avocat véreux, la gent masculine, aussi convaincante soit-elle, a du mal à susciter l'empathie.

Et si 66-5 était une série de femmes ? Une actrice principale, une scénariste en chef, deux réalisatrices… Toutes ne sont pas d'accord sur le terme mais elles reconnaissent volontiers que leur parcours dans un milieu très masculin les a certainement tacitement rapprochées.

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