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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Notre critique du film As bestas : la haine est dans le pré, sur Canal +...

 L’Espagnol Rodrigo Sorogoyen signe un long-métrage tendu et dérangeant, à la fois drame intimiste social et thriller paysan. Cette saisissante fable noire a reçu samedi le César du meilleur film étranger. 

La critique d'Olivier Delcroix (Le Figaro) du 28 février 2023..

 

«Incroyable! Merci beaucoup! Être une petite partie du cinéma français est un grand honneur!» a déclaré Rodrigo Sorogoyen (El Reino), samedi soir, sur la scène de l’Olympia, en recevant son César du meilleur film étranger, alors qu’il concourrait face à d’autres œuvres non moins prestigieuses telles que La Conspiration du CaireClose,E.O. ou Sans filtre.

Puissance taurine

C’est sans doute la puissance taurine contenue dans les images d’As bestas qui aura convaincu l’académie de sacrer ce beau film espagnol. Il n’est qu’à regarder la séquence d’ouverture du long-métrage du réalisateur de 41 ans: elle dit tout. Au cœur d’une Galice ancestrale, des aloitadores (sorte de dresseurs locaux) se jettent sur des chevaux dans un corps à corps traditionnel. Ces assauts codifiés s’apparentent à la corrida. La puissance physique et visuelle de cette entrée en matière chorégraphiée installe une maestria qui va résonner longtemps chez le spectateur. Sorogoyen y filme un affrontement sans merci, où les hommes sont comme des bêtes. La lutte sera implacable…

Un couple éduqué face à des villageois qui vivent chichement

As bestas raconte l’histoire d’Antoine et Olga, des néopaysans français venus s’installer sur l’un des versants frontaliers du massif pyrénéen. Denis Ménochet joue Antoine, un ancien prof qui veut pratiquer une agriculture écoresponsable. Imposant comme un bloc de granit, l’acteur impressionne par sa présence, mais aussi par son jeu intense et tout en fragilité. À ses côtés, Olga, incarnée avec sensibilité et détermination par Marina Foïs, paraît presque frêle.

Deux visions du monde s’opposent. D’un côté, un couple éduqué qui a choisi de quitter la ville pour s’installer à la campagne, ressentie comme un lieu fantasmé plus doux et authentique. De l’autre, les villageois qui vivent chichement de leur production maraîchère et ne rêvent que de toucher le pactole pour échapper à cette terre de misère.

Opposition farouche à un projet d’éoliennes

Ici, les visages sont bruts, la peau tannée est brûlée par l’air épais de la montagne. La caméra s’attache à filmer les signes du quotidien qui dénotent l’amour profond unissant les époux. Antoine et Olga sortent les brebis, plantent des tomates, nettoient les cuves d’eau avec application. Leur opposition farouche au projet d’installation d’un champ d’éoliennes dans le village déclenche un grave conflit avec leurs voisins.

Ce combat s’apparente à celui de Don Quichotte contre les moulins à vent. Lorsque Ménochet, minuscule dans le paysage, s’avance vers l’une d’entre elles, on perçoit le côté dérisoire de cette bataille écologique, d’autant que ces éoliennes produisent elles aussi de l’énergie verte. Formidable metteur en scène de la tension, Sorogoyen ménage ses effets. L’animosité monte d’un cran chez les voisins, Xan (saisissant Luis Zahera) et son frère, Lorenzo (Diego Anido). Ces vieux garçons qui vivent encore chez leur mère décident de se montrer de plus en plus menaçants avec ce Français condescendant.

Intimidations et humiliations

Les intimidations se succèdent, mêlées aux petites humiliations et à des tentatives de sabotage. À tel point que le héros se met en tête de filmer leurs exactions avec un caméscope pour pouvoir les traîner en justice…

Avec sa mise en scène nerveuse, son récit âpre et perturbant, Rodrigo Sorogoyen signe une saisissante fable noire sur la xénophobie et la lutte des classes. Logiquement, As bestas a reçu neuf Goya, les César espagnols, dont celui, amplement mérité, du meilleur acteur, pour le roc Denis Ménochet. Avec le César du meilleur film étranger, le réalisateur de Que Dios nos perdone ou Madre s’affirme clairement comme l’un des cinéastes les plus intéressants de sa génération.

 

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