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16 Janvier 2023
Cécile de France et Edouard Baer sont à l’affiche du dernier film d’Emmanuel Mouret, adaptation d’un épisode de « Jacques le Fataliste », de Diderot.
Le premier film en costumes d’Emmanuel Mouret (Caprice, 2015), drolatique pastelliste des choses de l’amour (L’Art d’aimer fut le titre ovidien d’un de ses films), est l’adaptation d’un épisode bien précis du roman philosophique Jacques le Fataliste, de Diderot, connu des cinéphiles pour avoir déjà prêté son argument aux Dames du bois de Boulogne (1945), de Robert Bresson, sombre et magnétique chef-d’œuvre du cinéma français de l’Occupation. Les deux films racontent, peu ou prou, la même histoire : la vengeance d’une femme bafouée qui ourdit contre son amant volage une machination implacable, vouée à l’humilier publiquement. Pourtant, la version de Mouret se défait significativement de cette parenté intimidante, pour se montrer fidèle à Diderot, investir corps et âme un XVIIIe siècle où les délibérations amoureuses empruntent les subtils cheminements de la philosophie morale.
Madame de La Pommeraye (Cécile de France), jeune veuve vivant recluse dans ses terres, héberge depuis des mois le Marquis des Arcis (Edouard Baer), un libertin patenté qui la poursuit de ses assiduités, tout en lui tenant le registre de ses innombrables conquêtes. Se drapant d’abord dans une posture amicale, la jeune femme se laisse néanmoins séduire et convole bientôt aux bras de l’impétrant. Mais au bout de quelque temps, elle remarque chez lui un certain désintérêt. Elle prêche alors le faux pour savoir le vrai et, ce faisant, donne à son amant une occasion rêvée de retrouver sa liberté. Outragée, la malheureuse imagine alors un piège afin de corriger le coureur de son inconstance. Elle extrait de la misère et de la prostitution une aristocrate déchue et sa fille, Madame et Mademoiselle de Joncquières (Natalia Dontcheva et Alice Isaaz), leur inventant une fiction de piété et d’impécuniosité, pour mieux jeter cette dernière, dotée d’un visage d’ange, dans les pattes concupiscentes du marquis.
Mademoiselle de Joncquières brille d’abord par la clarté de son trait, la bonne tenue de son interprétation, sa limpidité dans l’expression des caractères comme de leurs évolutions. Faisant la part belle au texte et aux plans longs, le film épouse tout autant le cours sinueux des sentiments que la lutte intestine qu’ils recouvrent, puisque, c’est bien connu, l’amour est aussi un champ de bataille, une lutte, à celui qui prendra un réel ascendant sur l’autre, à qui joue ou sera joué. Le siècle des Lumières offre à cela le plus bel écrin qui soit, celui de sa langue, dont les comédiens restituent tout le charme. Une langue empreinte de mille subtilités, pénétrée de précision mais soumise à équivoque. Cet art de la conversation, Mouret le met en scène comme une flânerie entre parcs et jardins, dans une nature dont il extrait parfois des compositions à la Watteau, où le rythme alangui de la marche permet de joindre la réflexion au sentiment.
Le cinéaste trouve là un parfait terrain pour jouer sur ce qui l’a toujours intéressé : l’ironie consciente ou inconsciente du langage ou, pour le dire autrement, la distance qui s’établit entre les mots et les gestes, la parole et les sentiments, ce que l’on prétend et ce que l’on n’ose s’avouer. Les cadres, généralement larges, accueillent cette dialectique de la vérité et du mensonge à travers la position des personnages qui se font face ou se tournent le dos, s’affrontent ou se contournent. La joute amoureuse se mêle ainsi au combat des idées (matière contre esprit, pérennité contre précarité, bonheur contre plaisir), qui sont autant de postures ou d’apparences dont jouent les personnages. Ainsi, lors d’une délectable scène de dîner, le libertin sera amené à renier bouffonnement ses principes pour s’attirer les faveurs de la jeune demoiselle, prétendument dévote, qui lui fait battre le cœur.
Des enjeux contemporains
L’ironie n’engage pas pour autant la cruauté et l’on ne trouvera pas ici de ces jeux de domination ou concerts de persiflages, dans le style des Liaisons dangereuses. La beauté du film tient au contraire à ce qu’il montre une égale bienveillance envers tous ses personnages, curieux de leurs contradictions, mais jamais sévère envers elles. D’amant volage, des Arcis se retrouvera soudain prétendant éconduit, poussé à la dernière extrémité du désir, et accédera ainsi à la douleur d’aimer. Madame de La Pommeraye ne nourrit pas seulement une vengeance égoïste mais au nom du genre féminin, afin de punir et d’éduquer le genre masculin – ce en quoi son émancipation rencontre évidemment des enjeux contemporains sur la régulation des rapports entre les sexes. Ainsi cette vengeance n’apparaît-elle pas autrement que comme un geste d’amour.
Et pourtant, le bonheur amoureux chemine secrètement par des voies inattendues, en même temps qu’un personnage jusqu’alors discret s’épanouit au sein de la fiction. C’est le mouvement le plus étonnant du film : Mademoiselle de Joncquières, instrument de vengeance et objet de désir diaphane, finit par s’animer, par s’incarner en un véritable sujet amoureux, passionné et charnel. En elle s’incarne surtout l’idéal dont le marquis prétendait poursuivre l’image chez toutes les autres de ses conquêtes – poursuite qui ne cachait en définitive que la lente maturation d’un sentiment enfoui. Ce cheminement secret vers l’idéal nous ramène finalement à Bresson et à la fameuse phrase de Pickpocket (1959) qui aurait pu servir d’exergue au film : « Pour aller jusqu’à toi, quel drôle de chemin il m’a fallu prendre. »
Mathieu Macheret
MADEMOISELLE DE JONCQUIÈRES Bande Annonce Edouard Baer, Cécile de France, Alice Isaaz
Madame de La Pommeraye, jeune veuve retirée du monde, cède à la cour du marquis des Arcis, libertin notoire. Après quelques années d'un bonheur sans faille, elle découvre que le marquis s'est...
Bande annonce....
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Mademoiselle de Joncquières - Wikipédia
Mademoiselle de Joncquières est un drame romantique français écrit et réalisé par Emmanuel Mouret, sorti en 2018. Il s'agit de l' adaptation de l'Histoire de Mme de la Pommeraye , insérée da...
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mademoiselle_de_Joncqui%C3%A8res
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