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6 Janvier 2023
C'est l’Épiphanie ! Entre deux parts de galette, prenez le temps de vous pencher sur la véritable histoire des mages telle qu'elle a été racontée dans la Bible (avant qu'elle soit réécrite par la tradition) et d'en découvrir le sous-texte.
Serez-vous reine ou roi de la galette cette année ? Douze jours après Noël, l’Épiphanie célèbre la visite des mages venus d'Orient, à Jésus nourrisson. Aujourd'hui, on les connaît sous les noms de Gaspard, Melchior et Balthazar, comme les a nommés au VIe siècle la tradition, qui a pérennisé l'idée qu'ils étaient trois, venus de continents différents, et en a fait des rois. En réalité, l'épisode initial tel qu'il est raconté par Saint Matthieu, le seul évangéliste à avoir évoqué ces mages, est extrêmement énigmatique, et surtout très peu historique.
Un très court passage dans la Bible : "Tout l’effort de chercher là un épisode qui se serait véritablement déroulé est erroné."
“Il n’y a pas grand chose d’historique en dépit de tout ce que l’on peut chercher. Je crois que ce texte est déjà volontairement écrit comme une légende", commentait à propos de l'épisode des mages l'anthropologue Jean Lambert, chercheur au CNRS, dans Les Chemins de la connaissance en 1993. Seul Saint Matthieu parle de "mages" dans son Évangile, écrite entre 70 et 90 ans après la naissance de Jésus. Assez peu de lignes sont consacrées à ces mystérieux astrologues ; voici l'extrait central de ce court récit :
D'après le Nouveau Testament, le nombre des mages n'est donc pas mentionné, pas plus que leurs noms, ou que leur provenance précise, comme le soulignait Jean Lambert : "Le texte de Matthieu ne dit pas qu’ils sont des rois, pas plus qu’il ne dit qu’ils sont trois, ou qu’il y en a un qui serait noir et les deux autres arabes. Tout ce que l’on sait, c’est qu’ils viennent, ils donnent, et ils partent par une autre route."
C'est en fait le nombre des cadeaux (or, encens et myrrhe) qu'a retenu la tradition, pour pérenniser l'idée que ces mages étaient au nombre de trois. Et c'est à l'éminent théologien de Carthage, Tertullien, qu'ils doivent leur couronne : au IIe siècle, celui-ci, qui s'est converti au christianisme, rapproche le texte de Saint Matthieu d'autres textes bibliques, et notamment du psaume 72 qui claironne : "Les rois de Tarsis et des îles enverront des présents, les rois de Saba et de Séva paieront le tribut, tous les rois se prosterneront devant lui". Les mages deviennent-ils rois dès ce moment-là ? L'histoire de l'art témoigne qu'il faut quand même attendre le XIIe siècle pour les voir représentés avec une couronne.
Enfin, c'est un manuscrit du.... VIIIe siècle, intitulé Excerpta latina barbari ("Extraits latins d'un barbare") qui les baptisera "Gaspard", "Melchior" et "Balthazar" :
Pour Jean Lambert, le récit de Matthieu a clairement des allures de légende ; il s'agit d'un récit de naissance royale comme il en existe pléthore dans la tradition proche-orientale :
Généalogie de Jésus narrée en trois moments, couple instruit par un ange, arrivée des mages, étoile, Hérode… autant d'éléments auxquels s'ajoute la séquence centrale de la prosternation des mages, qui relève de manière protocolaire du récit d'un rituel d’intronisation royale. Toutes les étapes spécifiques amenant à la reconnaissance du caractère royal du protagoniste sont en effet méthodologiquement respectées, le premier indice étant bien sûr l’étoile ayant guidé les mages. Car l'anthropologue rappelle qu'en Perse, en Iran, les constellations sont le signe par excellence de la désignation qu’un nouvel individu dispose d'un mandat céleste.
A travers ce récit de Saint Matthieu, apparaissent quelques clairs emprunts à des croyances antérieures au christianisme, à commencer par le culte de Mithra (un dieu indo-iranien dont le nom apparaît pour la première fois en 500 avant J.-C. , et dont le culte se diffusa surtout au IIe siècle) :
Parmi les matériaux composites qui constituent l'épisode des mages de Saint Matthieu, on peut aussi relever des emprunts au Mahabharata, la grande épopée sanskrite de la mythologie hindoue. A commencer par la référence au recensement dans le texte de l'évangéliste, qui est également importante dans les traditions indiennes ; mais aussi l'importance de la louange publique et de la proclamation anticipée des mérites du roi qui vient de naître :
Enfin, parmi les textes voisins dont Matthieu aurait pu s’inspirer, Jean Lambert mentionne aussi la naissance de Cyrus le grand, fondateur de l'empire perse, telle qu'elle est relatée par Hérodote au Ve siècle avant J.-C. dans le premier livre de son Enquête : "Une naissance qui ne convient pas au roi, annoncée par des signes célestes... Celui-ci consulte des mages, décide finalement de tuer l’enfant, il y aura substitution d’enfant, déplacement du héros vers le loin, puis une enfance cachée et une réapparition vers une dizaine d’années, où il reviendra chez lui et commencera ses actions spécifiques." Malgré tout, selon le chercheur, si l'évangéliste Matthieu s'amuse avec l'intertextualité, il se démarque pourtant assez clairement des récits dont il s'inspire, et avec un certain humour :
Ni trois, ni rois... La véritable histoire des Rois mages
C'est l'Épiphanie ! Entre deux parts de galette, prenez le temps de vous pencher sur la véritable histoire des mages telle qu'elle a été racontée dans la Bible (avant qu'elle soit réécrite p...
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