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27 Janvier 2023
J.D. Salinger est mort. Ne reste que son souvenir, mais a-t-on jamais eu autre chose, depuis 1965, quand parut «Hapworth 16, 1924», son dernier texte ? On savait depuis longtemps qu'on n'aurait plus beaucoup de nouvelles de lui. La dernière est donc tombée aujourd'hui : il s'est éteint hier, dans la maison où il vivait reclus depuis tant d'années.
Il a un jour écrit: «Je vais émettre une opinion qui risque de paraître suspecte: l'anonymat de l'obscurité, ou, si l'on préfère, l'obscurité de l'anonymat, constitue pour un écrivain l'un des dépôts les plus précieux qui soient confiés à sa garde pendant ses années productives.» On ne sait pas bien s'il produisait encore, ces derniers temps; toujours est-il qu'il n'avait pas souhaité sortir de l'obscurité.
« L'Attrape-cœurs », qui l'avait hissé au rang de légende vivante de la littérature américaine, fêtera son demi-siècle dans un an. Son rayonnement a dépassé de très loin le simple cadre de la «génération silencieuse», cette cohorte qui eut la malchance d'être adolescente au début des années 1950.
Holden Caulfield, l'anti-héros de cette errance new-yorkaise, qui avait 17 ans mais qui avait l'impression d'en avoir 13, malgré ses cheveux blancs et son mètre quatre-vingt-dix, a rejoint le panthéon des immortels jeunes gens, aux côtés de Werther et d'Huckleberry Finn. Salinger était un peu plus vieux qu'eux quand il a écrit son roman culte. Mais il y a un parallèle entre la «génération silencieuse» qui a porté son roman et la «génération perdue» du sortir de la Première Guerre mondiale. Comme les guerres, toutes les jeunesses foutues se ressemblent.
Né en 1919 à Manhattan, où son père importait du salami et du fromage, Salinger est vite envoyé dans un pensionnat militaire (qu'on retrouvera dans son œuvre sous le nom de Pencey Prep). On croit qu'il n'y a pas pire pour un ado. Faux : on l'oblige ensuite à faire un stage, à 18 ans, dans des abattoirs d'Europe de l'Est, histoire d'apprendre les métiers de la charcuterie. Lui préfère écrire : trois ans plus tard paraît sa première nouvelle dans le magazine «Story», où Tennessee Williams, Truman Capote et Norman Mailer firent leurs premières armes.
Pendant la guerre, il fait dans le contre-espionnage. On le charge de dépister les agents nazis parmi les civils français et les prisonniers allemands, nous apprend Pierre-Yves Pétillon dans sa prodigieuse «Histoire de la littérature américaine». En août 1944, il débarque à Utah Beach, y survit, puis part rendre visite à un correspondant de guerre qui zone en France libérée: c'est Ernest Hemingway. On voit que Salinger aurait pu vivre bien entouré; il a quand même préféré être seul.
Finalement, à l'inverse du malaise inerte qui saisit Holden Caulfield, c'est le succès de ces années 1950, avec la sortie d'une série de nouvelles dépeignant les différents membres de la famille Glass (1), qui précipitera Salinger dans le mutisme. Pourtant, l'auteur et son jeune héros ne sont pas si différents.
Tout comme Salinger, à qui il arrivait selon sa fille (2) de prier dans des langues inconnues, Caulfield connaît des tas de mots, des plus savants aux plus obscènes. Il connaît le langage des Maîtres. Mais il affirme tout de même: «Je peux pas expliquer. Et même si je pouvais, je suis pas sûr que j'en aurais envie.»
On assure que J.D. Salinger a longtemps continué à écrire, sans publier. Pour quoi faire, demanderont certains. Là encore, c'est le jeune Holden qui aura répondu pour lui: «Si j'étais pianiste, je jouerais enfermé dans un placard.»
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J.D. Salinger, bio express
Né à New York en 1919, Jerome David Salinger grandit dans l'Upper West Side. En 1942, il est appelé sous les drapeaux, et débarque à Utah Beach à l'âge de 24 ans. Après la guerre, il publie en 1950 une nouvelle qui fait sensation, «Un jour rêvé pour le poisson-banane», puis «l'Attrape-coeurs» en 1951, qui raconte l'errance d'un adolescent à New York. C'est l'un des plus grands succès de l'édition mondiale. Plusieurs fois marié, il quitte la scène publique après la publication de «Franny et Zooey» (1961) et de «Seymour, une introduction» (1963). Il est mort le 27 janvier 2010, à l'âge de 91 ans.
La mort de Jerome David Salinger
On savait depuis longtemps qu'on n'aurait plus beaucoup de nouvelles de lui.
https://bibliobs.nouvelobs.com/romans/20100128.BIB4837/la-mort-de-jerome-david-salinger.html
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