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15 Octobre 2022
L'affaire Markovic a eu un retentissement immense à l'époque des faits. Déterrée par Naour et Cassier, elle se rappelle ici à notre bon souvenir (ou pas) à travers un album au cocktail détonnant : sexe, mafia, show business et politique !
L'histoire :
Juin 1968. Georges Pompidou, premier ministre du Général de Gaulle, est en passe d'être remplacé par Maurice Couve de Murville à la tête du gouvernement, après la crise de Mai. Pompidou est alors placé en réserve de la République. Les Pompidou partent en vacances, loin du tumulte parisien. Pendant ce temps-là, Alain Delon est interrogé par la Police sur un kimono rare volé qu'il a en sa possession. Stefan Markovic, homme à tout-faire d'Alain et de Nathalie Delon est pris à partie par l'acteur. Entre les affaires de drogue, les parties fines et justement ce vol de kimono, c'en est trop pour le yougoslave qui habite chez le couple star ! Sur le tarmac de l'Aéroport de Nice, Alain Delon est interrogé par les journalistes sur le tournage qui va débuter : la Piscine de Jacques Deray. Dans ce film, il retrouve son amour de toujours, Romy Schneider, avec laquelle il n'avait pas tourné depuis 10 ans. A Paris, Stefan Markovic est très anxieux et il confie à un de ses amis une lettre destinée à son frère. Il devra lui remettre s'il lui arrive quelque chose...
Ce qu'en pense la planète BD :
L'affaire Markovic fut, en son temps, l'un des plus grands scandales qui a secoué le cocotier dans les plus hautes sphères de l'État. En octobre 1968, le corps de ce yougoslave nébuleux est retrouvé avec une balle dans la tête. Pourquoi ? Comment ? Qui est le meurtrier ? Cette simple affaire de règlement de comptes s'avère une véritable traînée de poudre qui est répandue, un dossier explosif dont les Pompidou seront les cibles, et Alain Delon sera pris dans la tourmente. Au menu de cette sombre histoire de chantage avec des photos (montage ?) compromettantes, où l'on voit la femme de l'ex-premier ministre au cœur de parties fines. Jean-Yves Le Naour, à qui on doit déjà le quadriptyque sur Charles de Gaulle, chez Bamboo, s'attache à présenter les faits avec une rigueur journalistique. Il décortique les intérêts de chacun des protagonistes, sans donner sa propre version. Les faits seulement les faits, certes un poil romancés. Il livre seulement en fin d'album une version personnelle, avec un supplément texte. Au dessin, Manu Cassier met en scène de manière cinématographique, en multipliant les plans et les situations avec des cadres serrés, et en développant des personnages aux expressions fortes. L'affaire Markovic renvoie au monde des affaires politique de la 5ème République, non sans rappeler une autre affaire qui a alimenté les gazettes de l'époque, l'affaire Boulin... Mais, ça, c'est une autre histoire !
Adolescent, j’avais lu un article sur le sujet – je crois dans un hors-série d’Historia. À la même époque, j’avais vu le film Il n’y a pas de fumée sans feu, d’André Cayatte, avec Annie Girardot, librement inspiré de cette histoire, et transposé dans le cadre d’une commune fictive de la banlieue parisienne. Puis, pendant trente ans, je n’y ai plus pensé. Ce n’est qu’en 2019, en travaillant pour un film documentaire pour France 5 – L’Affaire Marković. Coup bas entre gaullistes – que je m’y suis replongé. J’ai constaté, d’ailleurs, que l’on n’en sait toujours pas plus qu’à l’époque. Il y a toujours de grosses zones d’ombre sur l’assassinat Marković, et sur l’identité de ceux qui ont exploité cette affaire criminelle pour y mouiller Pompidou.
Non, pas vraiment. Cette affaire a été montée pour l’empêcher d’être élu. Quand ce piège a été déjoué, il n’avait plus aucun intérêt. En revanche, Pompidou en a gardé une blessure profonde. Il paraît qu’il portait sur lui en permanence un petit carnet où étaient écrits les noms des personnes qui avaient trempé dans cette ténébreuse histoire.
Je ne sais pas trop. Une affaire de mœurs – inventée – pour nuire à un politique de premier plan, cela n’est pas si fréquent. Mais les affaires louches de manipulation, elles, sont nombreuses. Rappelez-vous l’affaire Clearstream. À la fin, on ne savait plus qui manipulait qui.
Travailler d’abord sur un film documentaire m’a amené à rencontrer des spécialistes – historiens, journalistes ayant suivi l’affaire... –, mais aussi les derniers protagonistes de l’histoire, comme Roland Dumas, l'avocat du frère de Stevan Marković, ou des témoins de premier plan, comme Alain Pompidou, le fils de Georges et Claude Pompidou. Ils m’ont appris beaucoup de choses qu’on ne trouve pas forcément dans les ouvrages. Et en tout cas, ils m’ont fait part de leur ressenti, et de leurs propres hypothèses. Enfin, il y a le dossier judiciaire, qui est consultable par dérogation, mais qui est lourd de 60.000 pièces… de quoi se noyer ! La difficulté est donc de savoir résumer, synthétiser, angler. Mais consulter les archives audiovisuelles de l’INA avant d’écrire le scénario de la BD m’a permis de m’approcher au plus près du réel. Certaines scènes de la BD sont ainsi des découpages de scènes de reportages télévisés.
J’ai souvent revêtu la casquette d’historien, et mes BD sont classées à juste titre comme "historiques". Toutefois, la BD relève des codes de la fiction. Elle n’est heureusement pas un cours d’histoire, c’est-à-dire qu’il faut savoir mettre en scène l’histoire pour qu’elle se lise comme un roman. Pour servir la narration, j’ai ici inventé le personnage d’un journaliste qui enquête sur l’affaire Marković. C’est à travers son enquête, avec toutes les fausses pistes possibles et imaginables, que le lecteur avance et progresse lentement dans les méandres d’une affaire nébuleuse.
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