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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 1.800 articles.

Marilyn Monroe. Enquête sur un assassinat. Don Wolfe.

C'est dans le numéro 2467 de L'Express...

Daté du 15 au 21 octobre 1998.

Jean-Pierre Dufeigne écrit une introduction aux bonnes feuilles du livre de Don Wolfe : "Marilyn Monroe. Enquête sur un assassinat" (Albin Michel).

Dufreigne est un fan absolu de la star.

En 1988, je lui ai d'ailleurs rapporté en cadeau de L.A. une copie originale du calendrier où elle pose nue.

Calendrier acheté au 6644 Hollywood Boulevard chez Larry Edmunds Bookshop.

Dans la presse mondiale, la robe de Monica Lewinsky a déclenché une vaste réflexion sur les périls encourus par la démocratie en Amérique à la suite de fredaines. Tout éditorialiste digne de ce titre s'y tailla la plume. Notre Tocqueville, dans sa tombe, en égaie son éternité et rit chaque jour. L'autre matin, sur ABC News, relayé en clair par Canal+, Peter Jennings, le présentateur vedette, s'y alla d'un commentaire désabusé : "Il a suffi de quelques semaines pour que le monde sache tout sur la vie privée de Bill Clinton. Plus de trente ans ont été nécessaires pour en apprendre un peu sur celle de John Fitzgerald Kennedy." Un ange passa dans le studio, un fantôme blond. Une douce source de chaleur qui s''est éteinte par une nuit d'août dans la canicule de Californie.

Marilyn Monroe est morte il y a trente-six ans. Officiellement au matin du dimanche 5 août 1963, à 4 h 25. Elle avait 36 ans. Elle avait peur. Elle comptait encore sur deux ou trois doigts les amis qui ne l'avaient pas trahie. Elle avait un chien, Maf, qui aboyait. Les chiens jappent contre le malheur. On la déclara suicidée. Overdose. Trop de médicaments, trop de dom pérignon, trop de... Pas assez de chaleur humaine pour le corps le plus moelleux qui ne fut jamais photographié. Depuis sa mort, plus de 110 livres sont parus sur sa vie, ses dernières années, ses derniers mois, ses derniers jours, presque sur son Jugement dernier. Tous, quasi tous, sauf certains, bâtis sur commande afin d'engoncer le bon peuple dans la guimauve, ceux ne voulant que la montrer en gloire ou ceux voulant profiter de sa beauté pour faire un peu de pognon - drame posthume qui dupliquait celui d'une vie maltraitée - suggéraient, avançaient que ce suicide tenait du crime, du meurtre, de l'assassinat. L'interrogation n'avait pas attendu longtemps. Quelques semaines après les obsèques, dirigés par Joe Di Maggio, un vrai fidèle, un vrai amour, quoique plutôt nerveux, sinon violent, et dont furent exclus tout Hollywood, tout le cinéma, tout ce que Joe n'aimait pas. 

L'un des premiers livres faisant clairement état d'un assassinat fut écrit en 1964 par un ancien du FBI. Une sorte de Fox Mudler de drôles d'X Files, Frank Cappell, qui s'interrogeait en 70 pages sur L'Etrange Mort de Marilyn Monroe (Strange Death of Marilyn Monroe). Opuscule flingué à mort dès parution. Moqué. Mais lu de près par le tsar du renseignement, le dictateur de la flicaille, Edgar J. Hooer, directeur inamovible et haï du FBI. Lu également par toute une famille du Massachussets qui venait de perdre, en novembre 1963, un de ses fils en la personne d'un président des Etats-Unis. Et ce n'était pas fini.

Lui donner une revanche 

Aujourd'hui sort, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en France, le même jour, le 15 octobre 1998, peut-être ce qui résume toute l'affaire, du moins, et cela est sûr, la somme des enquêtes effectuées depuis la mort de Marilyn, augmentée de douze ans de travaux, de fouinages, d'interviews et de contre-interrogatoires : Marilyn Monroe, enquête sur un assassinat, de Don Wolfe. Ni un flic, ni un journaliste d'investigation, un acharné. Un homme de cinéma, qui collabora avec Spielberg, travailla sur maints films, dont naguère, Certains l'aiment chaud, de Billy Wilder. Starring Marilyn Monroe. Et c'est de ce livre de 600 pages que L'Express, aujourd'hui, vous livre en exclusivité des extraits.

Wolfe ne patauge pas dans la pleurnicherie, l'émotion de commande, la nostalgie, le chant d'amour à la beauté saccagée. Il rend justice. Et la justice est sévère. Le livre de Don Wolfe ne fait pas de quartier. Il démontre, montre, il livre, délivre, prouve. Le lyrisme est bridé au profit de la précision. Résultat étonnant autant que détonant. Car, à la lecture de ce réquisitoire fondé uniquement sur des faits, on ne peut s'empêcher de penser au lyrisme fou, incantatoire, halluciné, et qui, par le biais de la fiction, débusquait les crimes d'une société, des romans du cycle de Los Angeles, signés de James Ellroy, et principalement d'American Tabloïd, dont la couverture affichait sur fond de Capitole les profils de médailles bénies de John et Robert Kennedy. Et rapportait, au hasard d'un surcroît d'intuition, matrice de l'intelligence exacerbée par une passion de la vérité, ce que Don Wolfe, méthodique inspiré, vient de démontrer. La vraie mort de Marilyn Monroe.

La comparaison n'a rien de choquant entre un ouvrage de fiction (Ellroy) et le résultat d'une enquête interminable (Wolfe). Les écrivains sont tous des flics sentimentaux ; et non ripoux. Ils traquent l'explication, ce repos soudain de la raison agacée. Qu'Ellroy, en 1995, ait débusqué comme ça, dans l'air, par le raisonnement simple des mots qu'on jette sur le papier et qui tout à coup, sculptent un autre visage aux icônes ce que Don Wolfe le métiuleux bâtit paragraphe par paragraphe, témoignage par témoignage, s'échinant à donner 50 pages de sources dûment répertoriées en fin de volume, ressemble fort à une grande belle vieille statue verdie par les âges mais qui mérite un salut : celle de Liberty Island, à l'entrée de New York.

Les écrivains sont des êtres remarquables qui offrent en effet à leurs personnages, aux sujets humains de leurs études, la plus grande liberté. Comment faire passer dans le sens commun que lire le livre de Don Wolfe est libérer Marilyn ? Non pas la venger, lui donner une revanche. Le repos. Lui faire savoir par-delà l'Au-delà que jamais plus elle ne sera plaquée. Sa terreur. Terreur d'une enfant qui, sortant d'un orphelinat, valsa entre neuf familles d'accueil en quatre ans. Que les mufles autour d'elle - on dut planquer son cadavre dans un placard à balais pour qu'il échappe aux paparazzi - s'ajoutaient aux salauds. Le dernier vient de mourir, il y a peu, et toute la presse a célébré sa voix, son élégance, son génie. L'homme qui la fit violer - et filmer son viol - par un patron de la Mafia : Frank Sinatra. Elle qui pensait l'épouser. Elle en a épousé d'autres qui en ont bien profité. Miller, le grand Arthur Miller, qui déclara lui faire un somptueux cadeau (moyennant 250.000 dollars et vivant à ses crochets) : le scénario des Misfits. Mise en scène John  Huston, co-starring Monty Clift ("la seule personne connue qui m'ait parue plus malheureuse que moi," disait M.M.) et Clark Gable, le père irréel qu'elle s'était choisi sur photo. Sur le tournage tragique - Monty et Gable n'en virent pas la sortie - Clark fut très gentil avec elle, qui jouait le désespoir platine en robe à pois. A sa mort, on accusa Marilyn d'avoir provoqué sa crise cardiaque par ses retards. Gable n'était plus là pour démentir. Et la campagne de dénigrement était orchestrée de très haut. Par ceux pour lesquels Marilyn Monroe ne fut qu'un "morceau de viande" hurla-t-elle le vendredi.

Ses secrets dans un cahier rouge

 Elle mourut le dimanche. Une perdrix dans un tableau de chasse, une voix à écouter par des micros cachés, une arme et un danger dans le maintien au pouvoir. Un objet. Mais cet objet savait écrire, espérer. Croyait en quelque chose qui n'avait déjà plus cours, la bête honnêteté des pères fondateurs. Ignorait que le FBI et la CIA détenaient un dossier à son nom, dont le frère, en cyrillique, reposait au Kremlin. Marilyn avait ses secrets. Elle les inscrivait dans un cahier rouge. Comme des notes de répétitions. Comme un scénario à apprendre par coeur. Il fallait le récupérer.

En lisant Don Wolfe, on sait que la décadence de la démocratie en Amérique date plus de la traque du cahier rouge de l'ex-Norma Jeane chantée si joliment par Birkin que de l'étude de la robe bleue de Monica. Quand l'Etat commet ses crimes, le nettoyage ne se fait pas au pressing pour que la Maison paraisse blanche.

 

Jean-Pierre Dufreigne

Marilyn Monroe, enquête sur un assassinat, par Don Wolfe. Traduit de l'américain par Dominique Peters, Dominique Kugler, Nadine Gassié, Pierre Girard et Andrée Nahline. Albin Michel, 592 p., 22,90 €.

                                  

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