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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 1.900 articles.

Lestrem. 29 mai 1940. L'enfer au Paradis...

Nous sommes à Lestrem, dans le Pas-de-Calais, le 26 mai 1940, en pleine bataille de France les soldats britanniques du 2e bataillon du Royal Norfolk Regiment, ont pour mission de freiner l'avancée allemande pour permettre l'évacuation des Britanniques à Dunkerque.
Ce jour-là ils défendent le champ d'aviation de Merville contre des allemands dix fois plus nombreux, il parviennent tout de même à abattre un officier, le colonel Goetze, ce qui décuple la fureur des SS.
Le 27 mai, ayant perdu le contact avec leur unité une centaine d'hommes du 2e bataillon se retranchent dans une ferme isolée appelée « la ferme du Paradis » transformée en poste de secours et résistent aux assauts des SS de la 14e compagnie de la Division Totenkopf placée sous le commandement du Hauptsurmführer Fritz Knöchlein (dont c'est l'anniversaire ce 27 mai !). A cours de munitions ils se rendent : ils accrochent un torchon blanc au bout d'un fusil, le passe par la fenêtre, ils ouvrent la porte et sortent les mains en l'air. L'un des soldats demande à son supérieur « Vont-ils nous fusiller ? » celui-ci lui répond « Ils n'oseront pas ».

Le major Ryder, accouchant une évacuée polonaise est jeté dehors sans ménagement, forcé de rejoindre ses compagnons. Les hommes sont conduits le long de la route et sont alors alignés contre un mur, mitraillés et achevés à coups de baïonnettes. Les allemands pensent avoir tués tout le bataillon mais sonné et blessé au bras William (Bill) O'Callaghan émerge d'un lourd sommeil, réveillé par son compagnon Albert Pooley lui-même blessé à la jambe et incapable de bouger, et sent un poids lourd sur lui : c'est l'un de ses camarades achevé par les SS, il regarde autour de lui et ne voit que des cadavres, au total ils sont 97, ce sont les deux seuls survivants de ce massacre. Les SS rodent encore dans les parages, William porte Albert jusqu'à un tas de bois puis vers une porcherie. Ils réussissent à se cacher, aidés par Mme Duquesne Creton et son fils Victor, jusqu'à leur capture, trois jours plus tard, par une unité de la Wehrmacht. Pendant ces trois jours ils se nourrissent de pommes de terres crues et d'eau croupie qui leur tordent les boyaux. Après leur capture, ils sont soignés à Béthune puis séparés.

Les villageois, évacués pour la bataille font leur retour vers le 2 juin, ils trouvent les maisons détruites par le feu et enterrent les camarades de Bill et Albert dans une fosse commune ; c'est notamment le cas de la famille Delassus qui a creusé des tombes, risque majeur en temps d'occupation.

En 1942, les corps sont exhumés par les autorités françaises et transférés dans le cimetière communal appelé aujourd'hui « Le Paradis War Cemetery » où une stèle commémore ce massacre. A peine la moitié d'entre eux sont identifiés, parmi eux il y avait Allan James, Allen Edward George, Allen Thomas William ... Les soldats du massacre du Paradis reposent aux côtés de quelques soldats britanniques tués lors des opérations du 10 mai 1940 : au total ce sont 110 soldats qui y reposent.
Albert, trop mal en point et après avoir passé quatre ans l’hôpital de Béthune est renvoyé en Angleterre à l'été 1943 dans le cadre d'un échange de prisonniers organisé par la Croix-Rouge ; il rédige alors son rapport mais personne ne croit en son récit. Il faut attendre 1945 et la libération de Bill pour que les deux témoignages corroborent et qu'une enquête soit ouverte. Lors de son séjour à l'hôpital, sa femme Connie, a appris que Albert était disparu présumé mort mais elle n'a jamais pu s'y résoudre le croyant toujours vivant quelque part, elle avait raison.
En 1948, Albert retourne, à ses frais, au Paradis pour rassembler des preuves, il se rend chez mme Duquesne Creton, qui l'accueille, stupéfaite, le croyant mort. Il a emporté avec lui la balle extraite de son genou, une comparaison est faite avec les balles du « mur des fusillés », après expertise il s'avèrent que ce sont les mêmes balles : la preuve est indéniable !
En août 1948, à Habourd, Albert et William racontent ce drame lors du procès pour crimes de guerre des officiers SS.
Interrogé par le juge Bill dit avoir eu pour consigne « chacun pour soi » lorsque le contact radio fut perdu avec son état-major.
A l'issue de ce procès Fritz Knöchlein, qui plaide non coupable, est reconnu coupable de crime de guerre et condamné à mort ; il est pendu en Allemagne, à Hemelin, le 21 janvier 1949.
William (Bill) O'Gollaghan est né à Londres le 6 mars 1914 et déménage six ans plus tard à Norfolk. Son père, Hugh a servi dans la Navy pendant la première guerre et a une sœur née en 1921.
A 16 ans il s'engage dans l'armée, la famille ayant du mal à joindre les deux bouts il se disait qu'au moins il aurait trois repas par jour.
Il a 26 ans au moment du massacre. Après son séjour à l'hôpital de Béthune, William a ensuite rejoint un camp de prisonniers en Pologne. Libéré le 18 janvier 1946, Bill rentre chez lui pensant retrouver le cocon familial mais son père était décédé et sa sœur et sa mère avaient déménagés. Il est devenu polisseur et soudeur de métaux.
Il épouse, un mois après leur rencontre, Edith Warren, le couple a deux enfants : Dennis né en juin 1946 et Heather née en 1953.
Il traversera plusieurs fois la Manche dans les années 60 et 70 pour se recueillir avec d'autres vétérans.
Bill a frôlé une seconde fois la mort en 1966 lors d'un accident de travail qui lui casse la colonne vertébrale, le bassin et les côtés mais il décède en 1975, à l'âge de 61 ans du fait de maladie.
Albert Pooley qui est né en 1912, c'était le plus jeune d'une famille de quatre enfants.
Il avait 28 ans au moment du massacre
Il s'est marié avec Connie Judd et a eu deux filles prénommées Pat, née en 1944 et Jeannette, née en 1946 appelée ainsi en hommage à une jeune française qui venait lui rendre visite à l'hôpital de Béthune.
Après la guerre il a travaillé au bureau de poste de Hayes puis à Southall.
Même si Albert ne parlait que rarement à ses filles de ce drame, Jeannette se souvient, enfant, d'être venue en Normandie rendre visite aux personnes qui ont aidés son père à survivre. Marqué par le drame, il ne s'est jamais vraiment remis de sa blessure à la jambe et a du être amputé des deux jambes des années plus tard.
Albert allumait toujours ses cigarettes avec un briquet emprunté à un de ses camarades Nobby Clark, il n'a jamais pu lui rendre et c'était son bien le plus précieux.
A son décès ses cendres ont été placées en juin 1982 au pied de la croix du souvenir, dans le cimetière du Paradis.
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