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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

À la Treille Muscate, Colette en son jardin tropézien...

De 1925 à 1939, l'écrivain fait de la Treille Muscate, villa au charme authentique et à la terre généreuse, son refuge favori. Le souvenir - encore préservé - d'un temps où le port varois n'était pas à la mode.

A l'époque, Saint-Tropez n'était pas encore Saint-Trop', mais un rude village de pêcheurs méditerranéen niché au creux d'une baie et prolongé d'une presqu'île. Colette y vient une première fois en 1925, invitée par celui qui deviendra dix ans plus tard son troisième mari, Maurice Goudeket, homme d'affaires et écrivain de seize ans son cadet. L'auteur des Claudine, de L'Ingénue libertine, La Vagabonde et Chéri adule sa Puisaye natale, roule les "r" à la bourguignonne et n'aime rien tant que les vifs embruns de la Bretagne, où elle possède la maison de Rozven. Pourtant, à son ami le journaliste Francis Carco, elle confie : "Nous nous établirons à Saint-Tropez et nulle part ailleurs. Quel pays ! Je n'en veux plus d'autre !" 

Derrière un portail bleuté, sur la route des Salins face à la baie des Canebiers, Colette a déniché une petite villa baptisée Tamaris-les-Pins, qu'elle achète le 6 novembre 1925 : "Elle est si ordinaire qu'elle ne peut pas connaître de rivales..." Une maison provençale toute simple : une cuisine, une pièce à vivre et une cabane à outils en bas, deux chambres en haut. "Il a fallu, pour la trouver, que je me détachasse du petit port méditerranéen, des thoniers, des maisons plates, peintes, rose bonbon fané, bleu lavande, vert tilleul, des rues où flotte l'odeur du melon éventré, du nougat et des oursins", écrit-elle. 

Les vignes en friche envahissent les murs

L'ocre franc des murs tranche, aujourd'hui encore, avec le vert épais du jardin qui l'entoure. Lorsque Colette emprunte pour la première fois l'allée qui mène à la maison, elle doit se frayer un chemin à travers les vignes en friche. Elles courent sur les murs et croissent en abondance sur ces sols pourtant gorgés de sable et de sel. Il n'en faut pas plus à Colette pour rebaptiser Tamaris-les-Pins "la Treille Muscate".  

 

De l'autre côté du chemin bordé de canisses, ces petits roseaux provençaux, l'onde toute proche scintille. "J'oubliais, c'est vrai, de vous dire que la mer limite, continue, prolonge, ennoblit, enchante cette parcelle d'un lumineux rivage, la mer que colore et pâlit, selon l'heure, l'astre qui s'élance, à l'aube, d'un Est froid et bleu, pour périr le soir dans une écume de nues longues et légères d'un rose furieux...", peint-elle dans le recueil Prisons et paradis. 

La vigne retorse a cédé la place à de grands pins et à leur ombre bienveillante. Mais la maison comme le jardin fécond qui l'entoure n'ont pas changé. Les murs épais qui abritaient les amours voluptueuses de "Mme Colette" et de Maurice, les terrasses sur lesquelles le couple déguste l'aïoli avec le peintre Dunoyer de Segonzac ou le couple Kessel, la fraîcheur des beaux sols carrelés de damiers blanc et noir ou de rouges tomettes de Salernes qui contraste délicieusement avec le cagnard du dehors... 

"Des fleurs, des bêtes, de l'ail, du poisson"

Lorsqu'elle arrive dans cette sobre maisonnette, Colette réalise quelques travaux. Elle prolonge, par exemple, les deux pièces du bas d'un petit salon. Et crée un patio : trois hauts murs percés d'arches (certaines, dans l'axe du vent, seront comblées). Elle le baptise sa "chambre à dormir dehors". Dans la nouvelle La Treille Muscate, elle décrit : "Je dormais le mistral dans les cheveux. [...] Quel songe valut l'heure de l'insomnie qui me donnait en partage, à moi seule, avant le lever du jour, la Méditerranée endormie ?" Dans la vérité de ces murs, Colette, dont le père était né à Toulon, trouve l'essentiel, qu'elle brosse ainsi dans une lettre à Colette de Jouvenel, sa fille : "Des fleurs, des bêtes, de l'ail, du poisson." 

Le long d'un beau muret de pierres sèches, l'écrivain sarcle, bêche, plante, donne vie à un potager. Les tomates en pleine terre le disputent aux feuillages rampants des courgettes et des melons. Celle qui, de retour à Paris, se fait livrer fruits et légumes de l'éden varois, s'enorgueillit de ce que "l'ail, le piment et l'aubergine comblent, entre les ceps, les sillons de la vigne". Colette s'émerveille et jardine : "Je sais maintenant ce qu'est le jardin provençal : c'est le jardin qui n'a besoin, pour surpasser tous les autres, que de fleurir en Provence...", écrit-elle dans Prisons et paradis. Et si, dans une lettre à sa fille, elle se désole de la disparition de "vieux mimosas tués par l'hiver", elle se régale qu'à Saint- Tropez l'on dise : "Avez-vous vu le jardin de Mme Colette ?", comme on dirait : "Avez-vous visité l'église du XVe siècle ?" 

Le potager, les tomates, l'ail et les aubergines ont vécu. Mais les fruitiers, eux, ont tenu bon. Des figuiers tantôt violets tantôt verts, des orangers à foison, un vieux poirier à tronc tortueux et petits fruits, non loin d'un solide laurier-sauce, disent la générosité de cette terre assoiffée. Au fond de la parcelle, à côté du vaste lavoir, le beau puits à godets est intact. Mais, prisonnier d'impressionnants entrelacs de lierre, il ne fonctionne plus. 

Une sieste dans les effluves d'eucalyptus

L'écriture de Colette, poétique, foisonnante et impétueuse, se nourrit alors du soleil puissant et d'une nature têtue qui s'épanouit dans la touffeur sèche. "Ô lumière ! Le mur, au voisinage de tant de feux, rougit comme une joue", poursuit Colette dans La Treille Muscate. C'est dans la petite chambre du haut, qui jouit d'une terrasse couverte, qu'elle travaille. Souvent après une sieste dans les effluves d'eucalyptus, le bruissement des lauriers-roses et le crissement obstiné des cigales.  

"Généralement vers 16 heures, Colette s'installait à un petit bureau de style rustique provençal [...], elle employait un papier vert d'eau, et, de temps en temps, je la voyais froisser rageusement une feuille et la jeter au sol", raconte son ami André Dunoyer de Segonzac. 

Elle puise dans la sensualité débordante des lieux pour les nombreuses oeuvres qu'elle écrit ici : La Seconde, Sido, Le Pur et l'Impur, La Chatte... La Treille Muscate l'inspire et se fait l'écrin de récits magnifiques où la fiction se pare d'éclats vivaces de réalité. Dans La Naissance du jour (1928), notamment, où la narratrice - femme de lettres charnelle et renommée - fait le choix de renoncer à son amant, plus jeune, pour le guider vers une autre femme.  

"Demain, je surprendrai l'aube rouge sur les tamaris mouillés de rosée saline, sur les faux bambous qui retiennent, à la pointe de chaque lance bleue, une perle... [...] Et puis le bain, le travail, le repos... Comme tout pourrait être simple... Aurais-je atteint ici ce que l'on ne recommence point ?" écrit-elle, depuis sa chambre qui lorgne vers la mer. Colette a 55 ans. Déjà pointent dans son oeuvre l'âge qui s'affirme et le temps qui s'échappe. 

"L'autre Saint-Tropez existe encore"

"Est-ce ma dernière maison, celle qui me verra fidèle, celle que je n'abandonnerai plus ?" interroge-t-elle encore dans La Naissance du jour. La réponse, elle ne semble pas l'ignorer, est non. Car la romancière, journaliste et comédienne a, toute sa vie durant, quitté ses maisons comme elle a changé d'amante ou d'amant. Colette a ouvert, sur le port de Saint-Tropez, une boutique de cosmétiques où l'on se presse. Mais elle se dit lassée, s'agace, déjà, de l'affluence tropézienne et dénonce, irritable, "l'envahisseur doté de villas et de garages, de faux mas où l'on danse". 

En 1939, elle revend la Treille Muscate au comédien Charles Vanel. Il la cède en 1940 à la famille qui en est toujours propriétaire aujourd'hui. Si elle refuse les visites, cette dernière respecte, avec un soin jaloux et légitime, l'authenticité de ce havre charmant et humble - "aux antipodes des codes tropéziens et hollywoodiens du secteur !" précise en souriant l'actuel propriétaire de la Treille. Pas de piscine au bleu synthétique, pas de gazon anglais taillé au cordeau, pas de statues pompeuses. Mais des pignes de pin qui craquent sous les pieds et des pousses de mimosas indisciplinées dont "Mme Colette" aurait, éblouie, guetté la croissance. 

A lire: La Treille Muscate, dans le recueil de textes de Colette Prisons et paradis (Poche) ; La Naissance du jour (Flammarion); BellaVista (Poche). 

En pratique: la maison est une propriété privée, elle ne se visite pas. 

Sous la glycine noueuse et centenaire de la terrasse où l'on déjeune, un peu de son esprit flotte à jamais. Celle qui assurait : "L'autre Saint-Tropez. Il existe encore. Il existera toujours pour ceux qui se réveillent avec l'aube." La "Vagabonde", elle, a filé. 

A lire: La Treille Muscate, dans le recueil de textes de Colette Prisons et paradis (Poche) ; La Naissance du jour (Flammarion); BellaVista (Poche). 

En pratique: la maison est une propriété privée, elle ne se visite pas. 

 

Caroline Bonnefoy

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