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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

5 juillet 1962 : jour sanglant à Oran...

Ce jour-là, la fête dégénère en massacre. Dans la ville, les Européens sont pourchassés et abattus. Bilan : près de 700 morts et disparus.

 

Le 5 juillet 1962, le soleil se lève sur une Algérie indépendante. Dans cette aurore post-guerre, une tragédie va se jouer à Oran. Premier acte : une foule venue des quartiers musulmans déferle dans les rues pour célébrer la proclamation de l’indépendance. Plus qu’une liesse, c’est un défi. « Oran est une ville française, où les pieds-noirs formaient une majorité, il y a peu. S’il y a un endroit sur terre où une telle démonstration ne devrait pas avoir lieu, c’est bien là », écrit l’historien Jean Monneret dans La Tragédie dissimulée, Oran, 5 juillet 1962 (éd. Michalon).

La mécanique du drame est enclenchée. Aucun service d’ordre n’est prévu. L’indépendance ayant été officiellement proclamée, l’armée française n’est plus autorisée à intervenir ; elle se trouve désormais sur un territoire souverain. Défiler dans Oran, c’est acter la défaite de la maîtresse officieuse des lieux : l’Organisation armée secrète (OAS).

La ville sort traumatisée de longs mois d’affrontements entre FLN et OAS

Aux attentats aveugles du Front de libération nationale (FLN), l’OAS a répliqué, faisant 1 500 morts et 2 000 blessés parmi la population musulmane. Dans cette atmosphère inflammable, une foule hystérique prend possession des quartiers européens. « Le décor est planté, tous les ingrédients d’une tragédie sont réunis », résume Jean Monneret. A 11h15, le deuxième acte débute. Les premiers coups de feu retentissent, d’abord assimilés à une démonstration de joie. Mais la rafale devient fusillade. Soudain, un cri déclenche une vague de panique : « C’est l’OAS ! » Pourtant, l’organisation n’est plus présente dans la ville. Fin juin, les services secrets français ont permis l’évacuation de ces combattants clandestins.

Face à cet épouvantail, agité ou non à dessein, des militaires de l’Armée de libération nationale (ALN), bras armé du FLN, ouvrent le feu, suivis par les « auxiliaires temporaires occasionnels » (ATO), mi-service d’ordre mi-milice, et de nombreux manifestants armés. Des soldats français attendant d’être relevés par l’ALN essuient des tirs et ouvrent le feu à leur tour. Des façades d’immeubles sont mitraillées. Des civils répliquent de leur balcon dans un chaos indescriptible. « Bientôt les indigènes armés qui sont là vont se jeter sur tous les Européens qu’ils rencontreront, dans un mouvement de folie et de meurtre collectif. […] C’est un règlement de compte ethnique », décrit Jean Monneret « Le défi est devenu colère », témoignera l’officier colonial Pierre Tanant en 1973. Des hommes en armes écument les rues et abattent des Européens.

À quelques exceptions près, les militaires français restent dans les casernes. Pire, à 12h15, au plus fort de la fusillade, les troupes sont rappelées. Le général Katz, commandant du corps d’armée d’Oran, est pourtant rapidement informé des faits. « Si les gens s’entre-massacrent, ce sera l’affaire des nouvelles autorités », avait averti de Gaulle en Conseil des ministres le 24 mai. Outre des dizaines d’assassinats, de nombreux civils sont enlevés. Près de 300 sont transférés au commissariat central, où ils sont soumis à des brutalités, avant d’être, pour la plupart, libérés le soir. D’autres sont emmenés dans le quartier musulman du Petit Lac, où ils sont torturés, mutilés, voire exécutés. Ceux qui essaient de fuir la ville sont arrêtés et lynchés à des barrages composés de membres de l’ALN et de civils, qui voient en chacun des commandos OAS.

Le dernier acte s'ouvre enfin lorsque les autorités françaises demandent à leurs homologues du FLN à ce que la gendarmerie puisse intervenir. Ce qu’elle fera… mollement. Les tractations, encore aujourd’hui mystérieuses, sont longues, et le couvre-feu n’est décrété qu’à 15 heures. Le commandement local de l’ALN comprend le risque politique que fait peser cette foule déchaînée : elle pourrait pousser la France à revenir sur ses engagements.

Les jours suivants, l’ALN reprend la situation en main avec la plus grande vigueur. Les soldats algériens ouvrent le feu sur des musulmans armés et des ATO. Les groupes qui ont participé aux exactions sont traqués. La justice sera expéditive : le 9 juillet, 49 exécutions ont lieu pour « pillage ». D’autres suivront, officiellement contre des « bandes de brigands ». Des « brigands » qui agissaient pourtant depuis des mois sous le fanion du FLN en se livrant, déjà, à des enlèvements d’Européens dont beaucoup ne furent jamais retrouvés. Mais leur exécution arrange à la fois Paris, qui y voit la punition de coupables, et Alger, qui rend une justice souveraine.

Au total, près de 700 personnes, principalement des hommes mais aussi quelques femmes, sont morts ou ont disparu à Oran ce 5 juillet 1962. Soixante ans après les faits, Emmanuel Macron a déclaré : « Ce massacre doit être regardé en face et reconnu. »

Pourquoi ce jour tragique est-il tombé dans l'oubli ?

L'éclairage de Guy Pervillé, historien spécialiste de l'Algérie coloniale, du nationalisme algérien et de la guerre d'Algérie.

« Le 5 juillet 1962 se déroule dans une situation extrêmement confuse. La souveraineté française a été remise à l’exécutif provisoire algérien, qui n’a en réalité aucun pouvoir. Sur place, l’armée française a ordre d’éviter toute initiative qui causerait la reprise de la guerre. Mais elle doit aussi assurer la sécurité de ses ressortissants… à condition d’être requise par les autorités algériennes. Le général Katz n’a pas voulu donner d’ordres sans être sûr de ne pas être désavoué par la suite. Problème, aucun responsable politique ou militaire français n’est en Algérie et les décisions tardent. Cet évènement devient donc embarrassant pour l’Algérie mais aussi pour la France.

Il tombe dans l’oubli en partie en raison de sa date. En Algérie, le 5 juillet est l’une des principales fêtes nationales : il n’y a pas de place pour Oran dans cet anniversaire glorieux. L’Etat algérien n’en a officiellement jamais entendu parler. Il y a une différence frappante entre la mémoire officielle et les travaux d’historiens algériens qui ont permis des avancées majeures sur la connaissance de cette journée.

Côté français, en juillet 1962, les gens sont en vacances, pour eux la guerre est enfin terminée. L’opinion publique est peu réceptive aux nouvelles arrivant d’Oran. La page devait être tournée, même si on a su rapidement ce qu’il s’était passé : des reporters se trouvaient sur place. Depuis, ni la France, à cause son rôle trouble, ni l’Algérie, qui a bâti son récit national en l’héroïsant, n’ont eu d’intérêt à en reparler. »

 

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