Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 1.700 articles.

12 septembre 1974. Les guichets du Louvre. Le livre de Roger Boussinot...

Et moi, là-dedans, […] au gré d’un monstrueux hasard, le miracle qui ne s’est pas encore manifesté, la main qui ne s’est pas encore tendue. J’ai le pouvoir d’arracher un être humain au cauchemar, sinon de lui rendre la vie, d’interrompre au moins son agonie. Je suis celui qui peut bloquer le déclic, mettre le cran de sûreté, ne serait-ce que jusqu’à demain : celui qui peut en sauver au moins un, comme a dit Favard, dérisoire et pourtant quelle victoire !

Peut-on réellement qualifier Les guichets du Louvre de roman lorsque le récit est celui d'une journée tristement célèbre imprimée dans la mémoire du narrateur, qui s'avère être celle aussi de l'auteur ?
L'élégance de la plume, l'esthétisme des phrases, le reflux des images claires et précises du passé à peine trahies par les vingt années qui séparent cette journée de la rafle du Vel' d'Hiv du récit plaident en faveur du roman.
Mais l'écriture visuelle qui saisit les couleurs, les lumières, les instants dépouillés, la difficulté à raconter ce qui s'est passé née de la vivacité des émotions dévoilent avant tout le témoignage.
Un témoignage dans lequel le narrateur se cramponne à la volonté d'aider ceux dont il peine à dire le nom tant ils sont ostracisés, à savoir les juifs, en ce jour où des autobus bleus de flics, gendarmes et réservistes barricadent les quartiers populaires de Belleville, du Temple ou encore de Poissonnière. Mis dans la confidence la veille, le jeune étudiant tente maladroitement d'aborder dans la rue ceux qui portent une étoile jaune et de les convaincre de le suivre en-dehors du périmètre encerclé.
C'est un texte captivant. On découvre un récit introspectif riche d'images scellées dans les souvenirs mais aussi de questionnements, de colère sourde, d'indignation face à la distance de ceux qui ignorent ce qui se passe. L'auteur explore aussi tous les niveaux de sa conscience entre élans avortés, maladresses, hésitations, résignations et témérités stupéfiantes, le texte prenant la forme d'un aveu avec toutes ses bonnes intentions et ses renoncements.

Le témoignage n'est pas un exercice aussi simple qu'il pourrait le laisser croire : il est difficile de restituer les faits sans trahir les images du passé par la connaissance ultérieure de ce qui s'est déroulé ou de la portée de l'évènement dans l'Histoire. Les guichets du Louvre n'échappe pas à cet écueil, le récit est envahi d'introspections lourdes de sentiments fragiles et intenses mais aussi d'orgueil et de solennité mêlés. Comme le dit la chanson c'est peut être un détail pour vous, mais pour ma part le témoignage doit revêtir une certaine candeur pour restituer l'imperfection du moment.
Les fragments introspectifs aussi sincères soient-ils ralentissent par ailleurs le récit. le rythme est lent, accablant, comme la chaleur qui frappait cette journée du 16 juillet 1942. le temps semble figé par l'ignominie de l'action.
Toutefois, ces défauts n'altèrent pas la valeur documentaire de ce récit-témoignage qui refuse la complaisance et l'indulgence en relatant des faits et des comportements que les autorités ont longtemps passés sous silence.

Résumé :

Paris, juillet 1942.
Un jeune étudiant provincial est prêt à quitter Paris pour rejoindre la Gironde et la maison familiale. Sa valise est presque bouclée et la chambre est rangée. Mais la visite d’un camarade de classe, d’ordinaire distant, va tout changer. Le jeune homme se voit proposer une mission : une rafle va avoir lieu, ici, à Paris, contre les Juifs. Il faut agir. La marche à suivre semble simple. Pourquoi refuser ? Il ne peut pas ne pas agir contre cette rafle commanditée par les forces d’occupation et la police française. Il ne peut pas ne pas lutter contre les arrestations massives des Juifs de la capitale. Ses vacances attendront, quelques heures encore, qu’ait eu lieu ce qu’on appellera plus tard la « Rafle du Vel d’Hiv ».
Roger Boussinot a attendu plus de vingt ans avant de pouvoir livrer ce témoignage, avant de reconstituer « le miroir brisé » qu’était devenue sa mémoire, après ce 16 juillet 1942. Un récit poignant qui dénonce en toute humilité l’un des épisodes les plus honteux et les plus longtemps tus de l’histoire de la France occupée.
Nouvelle édition à l’occasion des 70 ans de la Rafle du Vel d’Hiv, 16 juillet 1942.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article